Prête à Tout : Détruire pour mieux reconstruire

Premier film de commande réalisé par Gus Van Sant, Prête à Tout lui accordera une visibilité plus grande. Il passe d’un statut de réalisateur indépendant à celui que tout Hollywood s’accordera à dire qu’il est un nouveau grand cinéaste qui compte. Ce qu’il confirmera deux ans après, en 1997, avec Will Hunting. Prête à Tout est adapté du roman éponyme de Joyce Maynard qui, lui-même, s’inspirait d’un fait divers : l’affaire Pamela Smart. Le film sort en 1995 et révélera Nicole Kidman comme une grande actrice capable de se sortir de son image de « madame Tom Cruise » qui lui collait à la peau à l’époque. Non content de révéler Kidman, Prête à Tout compte à son casting de futurs grands noms du cinéma hollywoodien parmi lesquels on retiendra, surtout, Matt Dillon (qui avait déjà tourné pour Gus Van Sant dans Drugstore Cowboy), Joaquin Phoenix et Casey Affleck. Mais le film mérite-t-il la réputation qui lui colle à la peau (à savoir l’un des meilleurs Van Sant) ? La ressortie du film dans un joli master HD chez Elephant Films nous permet de répondre à la question.

La belle Suzanne Stone est une jeune femme qui ne cache pas son ambition débordante : elle veut percer dans le milieu de la télévision. Présentatrice météo sur une petite chaîne régionale, elle rêve de devenir grande reporter. Quitte à se débarrasser de tous ceux qui lui mette des bâtons dans les roues, à commencer par son propre mari. Pour cela, elle demande à trois adolescents de l’aider dans sa tâche diabolique.

Avant toute chose, définissons le style Van Sant. Qu’est-ce que Gus Van Sant ? C’est un réalisateur dont l’exercice de style n’a guère évolué depuis ses débuts. Il possède une patte identifiable entre tous. De longs plans qui étirent le temps, une approche documentaire des sujets qu’il traite, les questionnements sur l’identité de ses personnages, un cadre toujours à hauteur des personnes qu’il filme…il y a véritablement un style Gus Van Sant. Prête à Tout est le film qui va aller à l’encontre de ses sujets de prédilection. Très abattu par l’échec cuisant de son film précédent, Even Cowgirls Get The Blues, et ne parvenant pas à faire aboutir son projet sur Harvey Milk (qui ne verra le jour qu’en 2008), il se jette dans l’aventure Prête à Tout sans grande conviction. Il accepte de se conformer à l’exercice de la commande, mais ne manquera pas d’avoir un électrochoc.

Ce film sera celui de sa renaissance, celui qui allie parfaitement ses obsessions de cinéma tout en racontant une histoire destinée à être exploitée dans un circuit « grand public ». Avec Prête à Tout, Gus Van Sant se lance dans une critique acerbe de la télévision. Il jongle entre plusieurs exercices de style afin de dérouler son intrigue. Entre les témoignages face caméra des protagonistes, les flashbacks, la manipulation des éléments de l’intrigue… Il fait de Prête à Tout une comédie noire, une analyse corrosive du petit écran pour lequel il exprime un profond dédain tout en étant fasciné par celle-ci. En faisant du personnage de Suzanne, une personne froide, extravertie, perverse et manipulatrice, il va à l’encontre de tous les personnages qu’il avait développé jusqu’alors. Suzanne ne se questionne jamais sur sa condition. Elle ne se demande pas d’où elle vient, ce qu’elle peut faire, ce qu’elle peut apporter au monde. Elle veut être une star du petit écran, quoiqu’il en coûte. Suzanne est probablement le personnage le plus linéaire jamais vu dans un film de Gus Van Sant. Elle déroute et permet à son réalisateur de composer des schémas narratifs drôles et piquants qui se marrient parfaitement avec son style de mise en scène. Si Suzanne est un personnage qu’on adore détester et qui n’apporte rien à sa propre vie et celle de son entourage, pour sûr qu’elle a élevé Gus Van Sant sur le haut de podium, lui permettant de faire aimer son cinéma à un plus large public.

Prête à Tout, par la chronique criminelle que le film dresse, emprunte aux pères de son réalisateur sans jamais les singer. Pour ne citer que lui, Martin Scorsese ne renierait absolument pas l’épilogue du film, Dan Hedaya marchant fièrement sur les plate-bandes de Robert De Niro. Mais, au-delà de la satire des médias que dresse Van Sant, c’est un portrait cynique d’une Amérique profonde et délaissée qui se dessine petit à petit, et notamment à travers la bande d’adolescents emmenée par Joaquin Phoenix. Ces laissés-pour-compte qu’on tend à vite oublier au cœur d’une American Way of Life qui suggère une vie bien rangée et loin des réalités de la vie. Si Suzanne est d’une vénalité sans pareil, elle représente tout ce que les institutions et les dogmes bien pensants tentent de formater. En réalité, pour Gus Van Sant, il n’y a pas meilleur américain que les marginaux qui voguent au travers de son film. Suzanne est un produit marketing, préfabriquée afin d’entrer dans un moule que Van Sant refuse d’admettre. Un moule dans lequel il s’est jeté bien malgré lui en acceptant cette commande de studio. Et si, en définitive, Van Sant exorcisait sa propre condition au travers Suzanne ? C’est en tout cas une piste sérieuse à considérer lorsque nous revoyons le film.

Prête à Tout est un film à part dans la carrière de Gus Van Sant. Critique acerbe des médias et rejet du consumérisme assumé, il démontre, toutefois, qu’il faut en passer par là afin d’être apprécié à sa juste valeur. Gros succès pour Gus Van Sant, qu’il confirmera avec Will Hunting ensuite, Prête à Tout a sauvé la carrière de son auteur. Nicole Kidman est hallucinante de justesse, vraie peste à qui on a envie de faire mordre la poussière. Objet curieux, loin des meilleures œuvres de l’auteur, mais qu’il est bon de revoir pour comprendre la trajectoire de ses films suivants et la résonance que le film a sur ses projets précédents. Surtout que, nous nous répétons, le master sorti chez Elephant Films est d’une très haute qualité.

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