On The Rocks : Une balade entre père et fille

Summum de la branchitude jusqu’au milieu des 2000’s, le cinéma de Sofia Coppola est tombé depuis 10 ans dans une stagnation ayant provoqué petit à petit un désintérêt quasi total du grand public. Certes, des films comme The Bling Ring ou son remake des Proies de Don Siegel, ont eu droit à des sorties salles en grande pompe, mais force est de constater que les films en question sont loin d’être restés dans les mémoires, l’aspect artificiel présent plus ou moins depuis ses débuts n’ayant fait que s’amplifier au fil des films, devenus coquilles vides au style poseur et vain. Face à cet état de fait, il n’y a donc rien de bien étonnant à la voir débarquer sur une plateforme, à savoir Apple TV, pour son nouveau long, dans un contexte cinématographique mondial de plus en plus chamboulé par les nouveaux modes de consommation. Car si des Scorsese, Cuaron ou Fincher peuvent se retrouver privés de sorties mondiales en salles, il n’y a rien de fondamentalement choquant à regarder du Sofia Coppola chez soi. Et comme si elle avait pleinement conscience de l’image qu’elle a fini par avoir auprès du plus grand nombre, elle semble ici perpétuer tout à fait consciemment un cinéma purement flâneur, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, mais à ce point enfermé dans son petit monde déconnecté des réalités, que l’on finit par se poser de sérieuses questions sur ce qui la motive concrètement à continuer à faire du cinéma.

Racontant l’histoire toute simple d’une femme à un moment charnière de sa vie, écrivaine en mal d’inspiration, partagée entre les voyages incessants de son mari pour son boulot, les enfants dont elle gère donc l’éducation à temps plein, et finissant par suspecter son mari (Marlon Wayans, sobre) de la tromper avec une collègue, elle tente tant bien que mal de continuer à gérer sa vie du mieux possible sans criser. Le film se focalisera sur ses tentatives de compréhension mutuelle d’avec son père, éternel Don Juan d’une désinvolture absolue, dont elle ne partage pas les choix de vie, mais qu’elle essaie malgré tout de comprendre et de ne pas éjecter de sa vie. Ce qui donnera lieu à une balade, essentiellement à New York (mais pas que), ce dernier lui mettant en tête de suivre son mari, face à sa suspicion le concernant.

Un sujet à la fois dans l’air du temps, très contemporain dans les préoccupations de ses personnages, mais paraissant paradoxalement très daté dans sa conception, relique d’un cinéma autocentré ayant fait son temps, et dont le traitement ici laisse un peu à désirer. Non que le résultat soit antipathique et détestable, seulement que l’on a cette impression tenace d’une toute petite chose réellement insignifiante, sans ambition réelle, autre que diriger de bons acteurs dans la Big Apple et s’écouter parler, à propos de problèmes somme toute dérisoires, surtout par rapport à ce qui agite le monde depuis plusieurs mois. Certes, le film a été écrit et conçu sans tous ces éléments du monde nouveau en tête, et il n’y a pas de mal à ne pas se sentir obligé de surfer sur l’actualité, le cinéma étant fait (entre autres choses) pour distraire. A ce niveau-là, selon nos exigences, on peut estimer que le film remplit son rôle, et les personnes ayant envie de penser à autre chose qu’à ce qui plombe l’ambiance générale de notre vie, pourront éventuellement s’y sentir bien.

Mais est-ce une raison suffisante pour se contenter de ce film tout de même bien cliché ? Bien sûr, on voit bien que celui-ci a été écrit pour ses comédiens, et particulièrement pour Bill Murray, que la cinéaste retrouve une bonne fois pour toutes plusieurs années après Lost in translation, film charnière pour les deux personnalités, et en oubliant A very murray christmas, moyen métrage réalisé pour Netflix, simple récréation de Noël. Et on ne niera pas que ce dernier retrouve ici une vigueur qu’on ne lui connaissait plus depuis un bon bout de temps, nous ayant habitués à trimballer sa carcasse blasée de film en film, notamment chez Jarmusch, avec un j’m’en foutisme affiché qui avait de quoi agacer. Certes, il fait ici son Bill Murray, nulle révolution de jeu à prévoir, mais il le fait avec une énergie retrouvée, un timing dans la façon de balancer ses dialogues, un aspect réellement impayable, qui font plaisir pour ses fans et les autres. Son duo avec celle qui joue sa fille, à savoir Rashida Jones, fonctionne du tonnerre, et leurs échanges, dans un premier temps sans grands enjeux, en deviennent très vite porteurs de sous entendus remplis de reproches de la part de la fille, qui ne cautionne pas sa façon de concevoir les relations entre hommes et femmes.

Cette dernière, femme moderne gérant sa vie tant bien que mal, semble correspondre parfaitement à Sofia Coppola elle-même, revendiquant depuis ses débuts un cinéma ouvertement féminin et féministe. C’est ce qui rendait sa vision des Proies particulièrement opportuniste, n’ajoutant à un original déjà très chargé en la matière qu’un discours aseptisé dans l’air du temps, mais finalement bien moins opérant. Sans aller jusqu’à affirmer que son dernier né n’existe que par cet aspect-là, il semble tout de même difficile de ne pas voir les nombreuses allusions à ce combat féminin pour exister en tant qu’individualités, éloignées de tout modèle patriarcal ayant fait son temps. Ce dont on ne niera pas l’importance, mais traité ici de manière artificielle et peu convaincante. Ce sont donc les comédiens et leur façon assez irrésistible de s’approprier les dialogues qui peuvent créer l’illusion un temps, même s’ils s’avéreront impuissants à sauver l’ensemble d’une impression de vacuité et d’un désintérêt allant grandissants, malgré une durée assez courte.

Car oui, il ne s’y passe pas grand-chose, et là où ce cinéma de l’errance et du rien peut séduire chez d’autres (Jim Jarmusch dans ses grands moments), il y a chez Sofia Coppola cette impression de vide que rien ne vient jamais réellement élever, manquant sans doute d’un peu de nerf dans la mise en scène. Quelque chose qui parvienne à réellement hypnotiser, placer le spectateur dans un état somnambulique, ce qu’elle réussissait jusqu’à Lost in translation, avant de tomber dans cette posture éternelle de fille tendance, se délectant à filmer le vide existentiel de personnages objectivement inintéressants. Cela épousait le fond dans un film comme Somewhere, point de bascule dans sa filmographie et mal aimé malgré une démarche intéressante, mais cela s’avère inopérant dans tous ses autres films, dont ce dernier n’échappe pas à la règle. A vrai dire, en écrivant ces lignes, on se rend compte qu’une bonne partie du film s’est déjà évaporée de notre esprit, alors inutile d’en rajouter. Difficile de s’enthousiasmer, même pour des défenseurs de Coppola fille.

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