Falling : Fossé émotionnel

La première chose que l’on constate quand on se cale dans notre fauteuil de cinéma pour découvrir Falling, premier long-métrage réalisé par Viggo Mortensen, c’est combien il est étonnant que l’acteur, que l’on sait également poète, peintre, musicien et photographe n’ait pas été tenté plus tôt que ça par la réalisation. Il faut en tout cas avouer que ce cap coule de source tant Mortensen s’impose rapidement comme un artiste avec une vision du monde à défendre et une véritable sensibilité qui font de Falling l’une des plus belles découvertes de l’année et, on l’espère, le début d’une carrière de cinéaste pour cet acteur qui a toujours été d’une incroyable justesse.

Inspiré par les sentiments qu’il a ressenti suite au décès de sa mère et à ses souvenirs familiaux remontant à la surface, Viggo Mortensen a écrit le scénario de Falling. Soit l’histoire de John, vivant en Californie avec son mari Eric et leur fille adoptive Monica, ayant quitté depuis bien longtemps la vie familiale rurale et conservatrice menée par son père Willis. Celui-ci est un homme borné et amer, se refusant à changer son mode de vie alors qu’il présente des signes de démence. John l’emmène tout de même en Californie en espérant que sa sœur et lui puissent le faire changer d’avis afin qu’il puisse venir vivre près d’eux. C’est sans compter sur le caractère immuable de Willis, enfermé dans une époque révolue et loin d’être prêt à faire le moindre effort…

Sur le papier, Falling ressemble à beaucoup d’autres films où un fils s’occupe d’un père vieillissant. Le sujet est largement rebattu mais Falling évite les clichés en refusant la moindre touche mélodramatique. Ici, pas question d’agiter la carte des bons sentiments et d’espérer une fin heureuse, au contraire Mortensen ausculte avec une acuité étonnante ses personnages et nous les livre à l’écran tels qu’ils sont sans tâcher de les rendre sympathiques. La véracité qui se dégage de l’ensemble est d’autant plus bluffante que la construction du scénario est habile. En effet, Falling ne cesse d’effectuer des allers et retours dans le passé à mesure que John et Willis se souviennent de certains moments clés de leur histoire familiale. On découvre alors combien l’enfance de John a été rude et combien Willis s’est toujours montré incapable d’exprimer autre chose que des sentiments négatifs, lui qui, dès la naissance de son fils, s’excuse de l’avoir mis au monde pour qu’il finisse par mourir.

Pour renforcer ce lien omniprésent avec le passé et la mémoire (que le chef-opérateur du film décrit comme un sentiment), Viggo Mortensen fait preuve d’une mise en scène délicate, s’opérant par touches sensorielles où le moindre détail peut ramener un personnage en arrière. Cette façon de travailler sur la mémoire, par bribes et par couches (à la manière d’un peintre) s’avère redoutablement pertinente, conférant à Falling une incroyable puissance émotionnelle à partir d’un rien. Avouons que le casting n’est pas pour rien dans la réussite du film. En père irascible et buté, Lance Henriksen est d’une justesse ébouriffante, trouvant là le plus beau rôle de sa carrière, arrivant à faire deviner les profondes fêlures de cet homme amer. On ne sera pas surpris que Mortensen soit aussi touchant en fils aimant son père malgré tout, essayant de tisser des liens avec lui. Les scènes entre les deux acteurs, culminant dans une explosion de colère dans un salon (la scène la plus intense du film) sont   aussi bouleversantes que subtilement écrites.

Si Mortensen se dévoile (sans surprise) être un habile directeur d’acteurs (Sverrir Gudnason, Hannah Gross, Laura Linney et même le compère David Cronenberg sont de la partie, tous très justes), on pourra lui reprocher, si l’on veut pinailler un peu, quelques longueurs, à vrai dire généralement inhérentes à tout premier long-métrage. En effet, Falling comporte une ou deux scènes qui sont peut-être un peu redondantes et n’apportent pas forcément grand-chose surtout une fois que l’on a compris que Willis ne changerait jamais. Un défaut mineur cependant face à un film aussi beau, habité par une puissance aussi bien narrative que formelle, dépeignant sans fards la relation entre un père et son fils essayant de franchir le fossé les séparant. Avec un premier film aussi poignant, nous guetterons avec attention le prochain film de cet acteur, s’imposant en un seul film, comme un cinéaste sur lequel il faut compter.

2 Rétroliens / Pings

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