Possessor : Un hôte qui ne vous veut pas du bien

Attendu depuis huit ans, ce deuxième film du rejeton de David Cronenberg nous arrive précédé d’une rumeur sulfureuse tout autant que mitigée, héritée du Festival de Sundance, seul endroit où il avait été montré jusqu’à présent. Les spectateurs français ayant réussi à dégotter une place lors des deux projections du film à l’étrange festival de Paris, peuvent donc se montrer heureux, d’une part car le film est de notre côté une réussite, mais surtout car la version projetée pour nous est la version Uncut souhaitée par le réalisateur, également disponible, grâce à The Jokers Films, en DVD & Blu-Ray le 14 avril 2021 en France. À savoir que suite à la première à Sundance, Brandon Cronenberg a été prié par des pontes hollywoodiens de revoir quelque peu sa copie, en raison de scènes de violence jugées trop extrêmes pour le public « normal » ! Il est toujours délicat de vendre un film en mettant avant tout en avant ses scènes sulfureuses, le risque étant de le réduire à ça, le rendant du même coup suspect aux yeux d‘un certain nombre de spectateurs qui pourraient craindre une coquille vide n’ayant rien trouvé de mieux pour se faire remarquer qu’arriver avec ses gros sabots d’œuvre estampillée choc, ce qui ressemblerait à du cache-misère. Pour autant, cela faisant ici partie de son ADN général, il semblait utile de le préciser, tout autant pour mettre en garde les futurs spectateurs sur le caractère radical du film. Ceci étant posé, parlons du film, qui a heureusement d’autres atouts en poche pour faire parler de lui.

Tasya est une agent pour une organisation secrète utilisant des implants cérébraux novateurs afin de commettre des meurtres par le biais du corps d’autres personnes. Tout marche pour le mieux pour elle, malgré des répercussions évidentes sur sa psyché, se retrouvant aliénée par des pulsions de plus en plus violentes, jusqu’à ce qu’elle se retrouve un jour piégée dans l’esprit d’un homme pouvant s’avérer encore plus dangereux qu’elle, jusqu’à brouiller les repères entre elle et l’hôte …

Des thématiques ultra contemporaines faisant naturellement écho avec les obsessions de Cronenberg père, ce que l’on a d’ailleurs pu beaucoup reprocher à Brandon lors de la sortie de son premier film, Antiviral, qui avec son atmosphère clinique et son obsession pour le corps malmené par des expériences étranges liées à l’inoculation volontaire de maladies, semblait encore tâtonnant, comme si le jeune cinéaste faisait tout pour créer une filiation sans chercher à trouver son propre chemin. Si ce premier essai un peu figé pouvait laisser quelque peu circonspect concernant le potentiel avenir de son auteur, le temps que celui-ci aura pris avant de revenir avec ce second long métrage (entre temps, il aura tout de même réalisé un court métrage, projeté l’année dernière à l’étrange festival et qui pouvait faire office de prologue thématique au film présent), aura au final été bénéfique, car sans s’éloigner de manière significative de son univers, et par conséquent de celui de son père, il semble ici avoir franchi un palier en matière d’exploration de thématiques à la fois familières (on pense forcément à eXistenZ, entre autres), et novatrices, s’inscrivant parfaitement dans la modernité, faisant écho à des préoccupations très actuelles.

À travers ce dispositif permettant d’habiter l’âme de personnes extérieures afin d’exécuter des missions meurtrières, le cinéaste, au-delà du vertige occasionné par cette éternelle question du libre arbitre et de la responsabilité personnelle concernant les actes de violence, peut également basculer progressivement dans un discours plus large sur la confusion existentielle, les deux âmes finissant par se contaminer l’une et l’autre sans que l’on ne sache plus au bout d’un certain temps qui contrôle qui. Un point de bascule exprimé par la mise en scène lorsque l’homme va se retrouver face à un miroir, et que la caméra basculera de l’autre côté, idée très littérale mais intelligemment exprimée visuellement pour nous faire comprendre explicitement la confusion qui s’empare du personnage à ce moment-là. Par le vertige occasionné à cet instant, le cinéaste explore forcément une certaine idée très contemporaine de la confusion identitaire. Le film n’ira peut-être pas totalement au bout des choses, mais l’espace de quelques instants, provoquera un véritable trouble qui ne s’estompera pas totalement à l’issue de la séance.

L’acte central qui constitue en réalité le cœur du film, explorera donc cette fusion progressive entre deux esprits tentant de prendre l’ascendance sur l’autre, l’hôte s’avérant finalement bien plus dangereux que l’agent et finissant par commettre des actes d’une violence extrême dont on ne sait plus trop s’ils sont toujours guidés par la mission initiale ou par une frustration de longue date dont il pense pouvoir enfin se débarrasser, comme si le fait de savoir qu’il est habité pat une personne extérieure le déresponsabilisait totalement, au point de lui permettre tous les excès.

Les scènes de violence sont donc finalement plutôt éparses, ne constituant pas l’essentiel du film, néanmoins elles apparaissent toujours de manière fulgurante, et ont leur importance narrative, n’étant jamais gratuites. Elles surviennent de manière radicale, comme dans certains films du père, et ont cet aspect organique qui tranche avec le numérique tant utilisé de nos jours, ayant tendance à la déréaliser totalement. Ici, elle a pour fonction de salir le spectateur, même si elle peut tout autant paraître un peu grand guignol à certains moments, atténuant tout de même l’effet produit. Ce qui posera problème sera la presque ultime séquence, basculant clairement dans une sorte de provoc petit bourgeois où la surenchère donne l’impression d’être la seule finalité. Pas sûr que ces quelques détails supplémentaires dans l’horreur aient été réellement bénéfiques pour nourrir le propos final, toujours est-il qu’ils ont été voulus ainsi par le cinéaste, et qu’ils sont la preuve d’une intransigeance de ton bien trop rare aujourd’hui pour qu’on les gomme uniquement pour « protéger » le grand public. Répétons que les spectateurs de ce genre de film sont de toute manière des adultes, et que ces derniers n’ont pas besoin d’être épargnés, sachant très bien dans quoi ils s’embarquent en allant voir ce genre de films. Espérons donc que la version intégrale pourra être vue dans les meilleures conditions, même si on en doute sérieusement.

Malgré ses quelques faiblesses, notamment cette difficulté encore manifeste du cinéaste à incarner réellement ses personnages et son univers, autrement que d’une manière purement théorique, il sera difficile de nier cette fois le pouvoir d’attraction d’un film provocant, déroutant mais toujours fascinant, et surtout pertinent par rapport à des questionnements ne datant pas d’hier, mais trouvant dans notre société contemporaine de sérieux échos difficiles à négliger. Nous sommes donc curieux de voir dans quelle direction le cinéaste va encore pousser ces obsessions à l’avenir, car même s’il est encore sous influence manifeste du paternel, il semble aujourd’hui difficile de nier l’aspect personnel et sincère de ses thématiques, qui ne demandent qu’à être poussées dans d’ultimes retranchements. Attendons, donc.

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