Les Deux Alfred : Fantaisie 2.0

Membre du jury du festival de Deauville cette année, Bruno Podalydès n’est pas seulement présent lors de cette édition pour voir des films, mais aussi pour présenter son nouveau long-métrage, rescapé de la sélection cannoise et rapatrié sur les terres normandes pour cette édition particulière du 46ème festival du cinéma américain de Deauville. C’est donc avec une certaine gourmandise que nous avons découvert Les Deux Alfred où Podalydès croque les travers de plus en plus présents de l’uberisation de notre société moderne.

Le film se concentre sur Alexandre (Denis Podalydès, évidemment et comme toujours formidable), quinquagénaire qui, dans l’espoir de renouer avec sa femme partie en mission en sous-marin, doit lui prouver qu’il est capable de se débrouiller seul avec leurs deux enfants. Chômeur et désespéré de trouver un emploi, il ne tarde pas à trouver un travail dans une start-up au but incompréhensible. Perdu dans cet environnement faussement serein où l’on ne parle qu’en acronymes et avec des mots anglais, Alexandre doit cependant cacher à son patron très exigeant qu’il a des enfants, la politique de la boîte étant de ne pas embaucher de parents. Galérant à cacher cet important détail de sa vie, il fait rapidement deux rencontres qui vont lui être d’un grand soutien : le lunaire Arcimboldo,  »entrepreneur de lui-même » (Bruno Podalydès lui-même) et l’impulsive Séverine (Sandrine Kiberlain, irrésistible), son binôme de travail.

Après une adaptation fidèle de Bécassine, Bruno Podalydès emprunte à nouveau les chemins de traverse parcourant son cinéma pour un scénario original posant avec humour (mais non sans lucidité) un regard critique sur notre monde qui se modernise tout en se déshumanisant peu à peu. Montres connectées, voitures autonomes, drones de combat, start-up anxiogène, uberisation, applications où l’on échange des services, tout y passe, croqué avec acidité par un cinéaste bien conscient du monde qui l’entoure, mais décidé à ne pas laisser sa modernité l’envahir. Au contraire, la poésie de l’univers du cinéaste y apparaît plus forte que jamais, représentée par trois personnages fantaisistes qui tentent de s’en sortir dans un monde les dépassant de plus en plus.

Le fait que le dirigeant de The Box, la société pour laquelle travaille Alexandre, refuse d’engager des parents en dit long sur la vision du monde de Podalydès. Lui qui a toujours gardé un pas dans l’enfance et partage son cinéma avec sa famille (qu’elle soit de sang ou de cinéma, on retrouve toujours les mêmes visages chez lui) a bien compris l’importance de l’enfance, du pouvoir de l’imagination et du bonheur qu’il y a à se laisser vivre. Les Deux Alfred, fidèle à son style, son goût de la fantaisie, du décalage lunaire et des dialogues croustillants, prolonge donc les thématiques de ses précédents films en insistant sur l’absurdité du monde qui nous entoure sans pour autant verser dans la causticité encadrant Effacer l’historique, autre film français récent dézinguant notre monde moderne. Ici, la tendresse a sa place et la poésie saura toujours se faufiler, au travers d’un couple de peluches, de jouets pour enfants ou d’un sourire. Le monde est fou, mais tant que les Alexandre, les Séverine et les Arcimboldo existeront, il ne sera jamais perdu, joyeux constat d’un cinéaste qui ne se fait guère d’illusions, mais qui sait cependant apporter de l’espoir à cette effarante course à la modernité et l’efficacité. Un film à prescrire d’urgence donc, l’une des belles découvertes de ce festival de Deauville.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*