Petit Pays : Grande histoire

En 2016, Gaël Faye, que certains ont connu grâce à son premier album, sort un livre nommé Petit Pays et pour lequel il reçoit divers prix dont le prix Goncourt des lycéens. Livre partiellement autobiographique revenant sur les relations géopolitiques compliquées entre le Rwanda et le Burundi, notamment à partir des premières élections démocratiques du Burundi. En 2019, Eric Barbier se charge de la réalisation d’une adaptation éponyme du roman de Gaël Faye avec lequel il collabore étroitement. Comme beaucoup s’en doutent, le roman est éminemment plus complet et aborde énormément d’aspect au travers de la vue de Gabriel, l’enfant héros de cette histoire.

Alors qu’il vit une vie paisible au sein d’une famille aisée à Kinanira, au Burundi, avec sa petite sœur, Gabriel a un quotidien insouciant où il vole des mangues qu’il revend à des passants avec ses amis et camarades de classe. Mais cette vie sans complexe ne durera qu’un temps lorsqu’il assiste à la séparation de ses parents, dont la mère est rwandaise et le père un expatrié français et entrepreneur au Burundi. La vie au Burundi devient de moins en moins joyeuse et les tensions deviennent de plus en plus présentes lorsque le pays organise des élections démocratiques en 1993. Cette élection amorce une nouvelle vague de violence obligeant la famille à se réfugier et prendre des mesures sécuritaires.

Dans son film, Eric Barbier se centre beaucoup plus sur la politique du pays, vécu par Gabriel. Il occulte de nombreux passages plus légers et diverses intrigues secondaires narrés par Gaël Faye dans son roman. Contrairement à la vision qu’avaient d’autres réalisateurs de se centrer sur l’enfant et la vie qu’il mène, Eric Barbier quant à lui souhaitait mettre la politique au centre de l’histoire. La vision de l’enfant n’est qu’un prétexte pour rendre la narration plus fluide et accessible. C’est ce qui a plu à l’auteur et l’a convaincu de lui faire confiance. Ainsi, alors qu’on entre dans l’histoire au travers des yeux de l’enfant, on amorce progressivement une chute émotionnelle vers l’enfer d’une guerre civile sans que l’on s’en rende compte à la première péripétie.

Bien que le film aborde une problématique conflictuelle entre deux communautés et dont le genre s’approche de la comédie par bien des aspects, on est très loin de ce que le cinéma français nous offre habituellement lorsqu’il tente de questionner sur des problématiques ethniques. Avec Petit Pays, on ne tombe pas dans la prétention d’inculquer au spectateur quelle est la différence entre le peuple Hutu et le peuple Tutsi et encore moins de lui enseigner l’origine de ce conflit. Le but n’est pas là, le conflit est déjà présent lorsque l’histoire commence, tout comme il l’est lorsque Gabriel vient au monde. Le film ne cherche pas non plus à faire endosser la responsabilité des enjeux à un pays plutôt qu’un autre et esquive d’autant mieux la provocation de prétendre que des pays tierces (comme la France, la Belgique ou l’Angleterre qui ont été de puissants empires coloniaux en Afrique) ont été de quelconques prétendus sauveurs de la situation. Cependant la narration est suffisamment claire pour que l’on comprenne aisément les enjeux géopolitiques.

Malgré la présence de Jean-Paul Rouve, découvert par le grand public grâce à ses débuts comme comique au sein de la troupe des Robin des Bois, l’acteur a su démontrer son talent au cinéma à travers de nombreux rôles dramatiques très profonds. C’est une nouvelle fois le cas ici où il joue l’entrepreneur expatrié français et père de Gabriel. Le film épouse merveilleusement bien le style dramatique sans oblitérer une part de comédie en débutant de manière heureuse et anodine une situation qui devient complexe, tragique et violente pour se conclure sur une vision plus positive et néanmoins inéluctable de la situation. L’évolution est cohérente et saisissante et le parti pris du film dès le début est respecté tout au long du film. Ce n’est pas l’histoire du pays que l’on voit mais celle de Gabriel au milieu du conflit entre Hutus et Tutsis.

Il y a un véritable juste milieu dans la direction artistique que prend le film entre drame et comédie avec une évolution progressive de l’intensité de ses enjeux. Eric Barbier n’hésite pas à rendre son film à la fois très édifiant avec des passages chocs mais aussi poignant par sa sincérité d’âme. Petit Pays prend le temps de développer ses personnages avec beaucoup de tendresse pour mieux leur faire avancer l’histoire dès que cela devient nécessaire. Toute sa construction scénaristique s’avère fluide, complète et sans ambages pour une histoire vraiment passionnante. Alors que son auteur d’origine regrette qu’il n’y ait aucune véritable itération du Burundi dans la culture populaire actuelle et guère plus ne mentionnant le Rwanda, Gaël Faye peut être fier du travail culturel qu’il a offert avec son livre et l’adaptation qui en a découlé. D’autant que le film a pu se tourner directement au Rwanda.

Le jeu d’acteur est très convaincant et grandement renforcé par un travail d’écriture très soigné. L’assiduité de la direction d’acteur concernant les enfants et pré-adolescents du film a été bien orchestré pour leur donner un ton sérieux et crédible plutôt qu’un ressenti attendrissant et empathique. Ce qui semble démarrer comme une histoire familiale très abordable finie par être un véritable voyage au cœur d’une ethnie tourmentée et blessée par son histoire. Petit Pays prend alors une dimension tout à fait inattendue et sérieusement captivante avec une force narrative et une tension de plus en plus palpable au fil que les enjeux se multiplient. Une véritable réussite ne cherchant pas à pousser l’émotion au delà de ce que l’histoire est capable de raconter. On a connu Eric Barbier moins inspiré par le passé, mais lorsqu’il est tenu par la main au scénario, il prouve sa capacité à retranscrire l’essence même de ce qu’il doit raconter.

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