Enragé : L’automobiliste qui a les Crowe

On ne peut pas dire que Russell Crowe est l’acteur le plus prolifique d’Hollywood. Mais ses prestations se font pourtant clairement remarquer. Lui qui ne s’estime pas mériter son oscar du meilleur acteur pour son rôle de Maximus dans Gladiator, il sait pourtant s’imposer dans la peau de ses personnages. Que ce soit avec son réalisateur fétiche, Ridley Scott, ou dans la peau de personnages forts comme Jor-El dans Man of Steel, peu importe la qualité du long-métrage, l’acteur néo-zélandais réussi toujours à tirer son épingle du jeu. Enragé ne fait pas exception concernant l’acteur qui a fêté ses 56 ans durant le confinement. Totalement métamorphosé physiquement pour les besoins du rôle, Crowe y apparaît tel un véritable monstre, aussi féroce qu’imposant.

Enragé semble commencer comme un très bon vigilante. Diverses images d’archives sur les violences aux États-Unis nous rappelle de nombreux film du genre ou encore la récente saga des American Nightmare. Une fois le générique terminé, place à un homme, la mine sombre et déterminée. La sentence qu’il s’apprête à abattre sera fatale, et justifiée à ses yeux. Un acte d’une barbarie rare, orchestré par un homme prêt à ne reculer devant rien. Rachel de son côté éprouve des difficultés à gérer sa vie et les émotions qu’elle lui impose. En retard à son boulot en emmenant son fils à l’école en voiture, coincée dans les bouchons, sa patience vole en éclat lorsqu’un pick-up gris ne redémarre pas à un feu repassé au vert. Et ce malgré les multiples coups de klaxons de la mère de famille. Quelques rues plus tard, le pick-up gris l’a poursuivi en s’arrêtant à son niveau. Le conducteur intime à Rachel d’ouvrir la vitre, et c’est là que le spectateur comprend la terrible erreur que la protagoniste principale vient de commettre.

En faisant une entrée en scène de son antagoniste principal et ne mettant que le visage de Russell Crowe sur l’affiche, Enragé inverse dès l’introduction du film les attentes du spectateur. Tom Cooper (Russell Crowe) se place en héros du film en punissant les comportements et incivilités intolérables au volant. Klaxons intempestifs et non justifiés, téléphone au volant, conduite dangereuse, non respect du code de la route, ou encore maquillage au volant et bien d’autres. Durant toute la première partie du film, l’antagoniste apparaît en réalité comme le véritable héros. Celui qui offre aux spectateurs un exutoire orgasmique de tous ces comportements inconscients, dangereux et stupides sur la route, mais aussi dans la vie. L’une de ses principales excuses ? « Les gens ne sont plus capables de s’excuser et de se remettre en question. Il leur faut continuellement un coupable. Jamais rien n’est de leur propre faute. » Même si sa vengeance semble exagérée et devient vite écoeurante, il lui trouve à chaque fois une justification d’un comportement déviant. C’est ce qui maintient pour une bonne partie du film sa légitimité de bourreaux sanguinaire, rappelant des films comme God Bless America ou le mockumentaire Malcolm dans une moindre mesure.

Sa vengeance devient malheureusement de plus en plus personnelle et exacerbée, au point qu’elle ne justifie plus rien d’autre que de tomber petit à petit vers une sorte de slasher dont le méchant abat ses victimes à visage plus que découvert. Sous prétexte de n’avoir strictement plus rien à perdre, il concède de ne plus rien avoir à défendre non plus. L’histoire dérive subrepticement vers une course poursuite d’horreur dont les morts font passer les campagnes de prévention de la sécurité routière pour des épisodes éducatifs animés. Il était une fois… la conduite. Froide, crue et déroutante, la violence des impacts, des accidents et des mises à morts devient rapidement très oppressante. En cause, la réalisation des cascades et la mise en scène sont extrêmement réalistes. Beaucoup de scènes ont vraiment été tournées dans les rues, comme le montrent certains plans où l’éclaboussure de l’eau après le passage des roues arrières donne une image très saisissante de la course poursuite. L’impertinence du méchant de tuer au vu et au su de tous est une véritable épée de Damoclès au-dessus des autres personnages et de leurs survies. On peut littéralement s’attendre à tout même si le scénario tombe maladroitement dans quelques pièges évitables.

Difficile de tenir un tel scénario sans concéder des comportements de survie plus que douteux et une efficacité du corps judiciaire nettement discutable. Dans de tels cas, les protagonistes développent toujours un instinct de survie immédiat très accru, mais une capacité de raisonnement et de réflexion particulièrement consternante. Donnant l’excuse peu convaincante d’une continuité narrative très poussive. In fine, l’antagoniste reprend sa place de méchant et Rachel, qui ne fut introduit qu’après le prologue, gagne sa place d’héroïne du film. Mais en plaçant l’héroïne comme victime, le message sous-jacent de Enragé perd un peu de sa limpidité. Même si la conclusion remet les choses dans l’ordre lors d’une scène encore une fois légèrement discutable, le spectateur reste dans une forme de confusion. Le personnage qui semblait être le rédempteur de leurs pires cauchemars routiers devient la pire angoisse de leurs voyages automobiles.

On sort tout de même satisfait de la séance d’Enragé considérant que lors de quelques scènes les pires ordures de la route ont eu ce qu’ils méritaient rendu en centuple. Un film haletant, oppressant, dont le méchant est campé par un acteur imposant, fort et écrasant. Le rythme anxiogène et tétanisant dicté par l’antagoniste ne laisse place à aucun répit, ni pour l’héroïne et son entourage, ni pour le spectateur. L’exutoire du début du long-métrage n’est là que pour mieux prendre l’attente du spectateur à revers et le placer dans un inconfort permanent durant la suite de l’histoire. Les faiblesses scénaristiques et raccourcis narratifs sont pardonnés par une maîtrise visuelle au cordeau. L’interdiction aux moins de 12 ans est justifiée. Même si le sang n’est pas la couleur principale de la photographie, la violence de certaines scènes et images laissera une goutte de sueur froide couler le long de votre colonne vertébrale.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*