Tokyo Joe : Playt it again, Joe

Éditeur polyvalent et dénicheur de trésors, Sidonis Calysta sort désormais de façon indépendante des films mis à disposition dans leur coffret massif de l’Encyclopédie du Film Noir concoctée par Patrick Brion. C’est donc au tour de Tokyo Joe de bénéficier d’une sortie en Blu-ray et DVD depuis le 16 juin dernier. L’occasion de découvrir l’un des premiers films américains à parler directement du Japon d’après-guerre et surtout à être allé y filmer quelques séquences en extérieurs sur place, transformant celles-ci en documents historiques précieux en dépit du fait que la silhouette choisie pour représenter Humphrey Bogart ne fait pas illusion un seul instant, l’acteur ayant bien évidemment tourné ses scènes en studio en Amérique.

L’intérêt majeur de Tokyo Joe est donc de nous plonger dans une intrigue mettant en avant l’état du Japon d’après-guerre. Joe Barrett, après avoir servi ses années à l’armée, revient à Tokyo pour y retrouver le bar qu’il tenait avant la guerre. Là, il apprend que la femme qu’il aime et qu’il croyait morte est encore en vie, qu’elle s’est mariée et qu’elle a eu une fille de lui. Décidé à rester en ville pour la reconquérir, Joe tâche de braver toutes les formalités administratives mais tombe très vite en affaire avec un criminel qui le fait chanter. Contraint de travailler avec lui, Joe doit établir un service de fret aérien, ignorant encore que son employeur veut faire revenir au Japon de dangereux dissidents voulant renverser l’autorité américaine sur le pays…

Plutôt bien documenté sur la façon dont le Japon était bouleversé par l’occupation américaine, Tokyo Joe a un certain potentiel qu’il n’exploite malheureusement jamais totalement. Il faut bien le dire ici, en accord avec Bertrand Tavernier dans son introduction au film, Tokyo Joe n’est pas très bon. L’intrigue a de beaux moments (notamment entre Joe et sa fille qui ignore qu’il est son père) mais ne passionne jamais, la faute à un certain désintérêt face au récit, désintérêt qui semble partagé par une partie du casting, incapable de totalement nous impliquer émotionnellement. Bogart lui-même, pourtant dans un rôle qui devrait lui aller comme un gant, est étonnamment peu à l’aise durant tout le long du film et peine à convaincre. Est-ce la faute à un moment de lassitude au moment du tournage ? Au réalisateur Stuart Heisler qui n’arrive pas à le diriger correctement ? Le fait est que Bogart est peu amène dans le film, lui qui a pourtant enchaîné les grands classiques et qui, l’année d’après, livrera l’une de ses plus belles compositions dans Le Violent de Nicholas Ray. Ici, l’acteur semble éteint et sa romance avec Florence Marly ne convainc guère.

Heisler, pourtant cinéaste habile (La clé de verre, Collines brûlantes) n’améliore peut-être pas la chose avec une mise en scène fonctionnelle et solide mais sans passion. Le début du film est laborieux, agrémenté d’une scène de retrouvailles particulièrement gênante entre Joe et son ami japonais qui se livrent au judo au milieu de leur bar, laissant apercevoir grossièrement les doublures cascades. Mettant du temps à vraiment révéler ses enjeux, peinant à avoir des seconds rôles marquants, le film fait pâle figure dans la filmographie bien riche de Bogart et l’on comprend aisément pourquoi on en avait si peu entendu parler jusque-là. C’est bien tout à l’honneur de Sidonis Calysta de nous donner l’opportunité de découvrir Tokyo Joe (surtout que le master blu-ray est superbe) mais force est de constater qu’on l’avait oublié pour une bonne raison. Le film est résolument fade mais, cinéma hollywoodien classique oblige, il se voit néanmoins avec un certain plaisir dû au savoir-faire de l’époque et de ce qu’il raconte de la période à laquelle il a été filmé, livrant un précieux témoignage sur l’occupation américaine au Japon, le point le plus intéressant du scénario (et la raison peut-être pour laquelle le film existe) qui permet de saisir toute la complexité de l’après-guerre avec ses conséquences et ses administrations tâtonnantes.

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