L’heure du crime : Trouble jeu

En plus de Tokyo Joe, Sidonis Calysta a également agrémenté d’un autre titre sa collection de films noirs depuis le 16 juin dernier. L’heure du crime vient ainsi rejoindre fièrement le grand catalogue de son éditeur avec, on peut le regretter, seulement un DVD de disponible et pas de copie Blu-ray. Cela n’empêchera cependant pas de profiter de la découverte. En effet, autant Tokyo Joe s’est avéré être un titre un peu faible de la collection, autant L’heure du crime est une belle réussite et ce à plusieurs égards.

D’une part, le film vaut le détour car il s’agit du premier long-métrage de Robert Rossen. Le cinéaste à qui l’on doit de fameux titres comme L’Arnaqueur ou Les fous du roi était auparavant un scénariste sacrément prolifique. Seulement en 1947, après dix ans passés à écrire pour les autres, Rossen veut réaliser. L’occasion se présente assez facilement quand Dick Powell, acteur populaire pour ses compositions de séducteur dans des comédies musicales affiche une volonté de changer de registre. Déjà en 1944, Powell est le premier acteur à incarner Philip Marlowe dans Adieu, ma belle et il souhaite continuer sur cette lancée. Rossen veut réaliser, Powell veut jouer dans un film noir : les deux hommes s’entendent et Rossen peut donc passer à la réalisation tout en écrivant également le film d’après une idée de Milton Holmes.

L’heure du crime (Johnny O’Clock en version originale, soit le nom du personnage joué par Powell) nous plonge dans le quotidien de Johnny, partenaire minoritaire d’un casino tenu par le gangster Guido Marchettis. Johnny est un homme populaire : la femme de Marchettis est amoureuse de lui et un policier lui colle aux basques, persuadé qu’il a quelque chose à voir avec la mort d’une femme travaillant au casino et avec la disparition d’un flic corrompu jusqu’à l’os. Dans une situation intenable et n’étant pas insensible aux charmes de la sœur de la jeune défunte, Johnny a tout intérêt à trouver le coupable s’il ne veut pas plonger…

Autant le dire tout de suite, l’intrigue n’est pas totalement limpide et s’avère même trouble pendant une bonne partie du récit. Si l’on saisit les enjeux, difficile d’en comprendre tous les tenants et les aboutissants tant Rossen ne se complaît pas à les étaler au grand jour. De même, il fait de Johnny un personnage insaisissable dont on ne sait pas dans quelle mesure l’on doit éprouver de l’empathie pour lui. Malgré cela, l’intérêt de L’heure du crime se situe ailleurs. Dans la mise en scène évidemment que Rossen aborde pour la première fois avec un véritable instinct pour l’exercice. Aidé par la photographie de Burnett Guffey (qui a éclairé Le Violent, Tant qu’il y aura des hommes ou encore Bonnie and Clyde), Rossen se délecte à jouer avec les codes du film noir et ne cesse de s’amuser avec les ombres pour jeter le trouble sur une situation ou ajouter de suspense. De même, la qualité du scénario de Rossen, bénéficiant d’un remarquable travail sur les dialogues (au point que l’on pourrait presque reprocher au film le fait qu’il soit trop bavard) y est pour beaucoup dans la réussite de ce film noir atypique, que l’on peut difficilement comparer à d’autres œuvres du genre tant il aime à être atypique, se montrant imprévisible de bout en bout.

Bien évidemment, on ne peut qu’admirer la composition de Dick Powell dans le rôle principal. L’acteur est passé de crooner charmeur à dur à cuire de l’écran avec une très belle aisance, jouant avec naturel toutes les nuances de son personnage, charismatique mais égoïste, ne faisant pas toujours attention aux autres pour mener sa barque. D’ailleurs, si l’on excepte la composition un peu larmoyante de Evelyn Keyes, tout le casting du film est impeccable, du toujours solide Lee J. Cobb à Ellen Drew en passant par Thomas Gomez et Nina Foch. Tous incarnent des archétypes du genre détournés par le malin scénario de Rossen et composent une galerie de personnages troubles dont on ne saisit pas toujours les motivations. Cette sensation de toujours être sur le qui-vive fait de L’heure du crime une franche réussite, un premier film d’une superbe qualité et qui mérite amplement la découverte.

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