365 jours : Female gaze sur le male gaze ?

Plus le temps passe, plus le monde semble marcher sur la tête. Alors que l’on doit subir à longueur de temps des discours moralisateurs nous disant quoi penser, nous mettant en garde, nous empêchant de réfléchir et tirant un peu plus chaque jour notre société vers le bas, il était permis d’espérer que cela permette au moins à certains modes de pensée rétrogrades d’être un tant soit peu modifiés de manière générale. Au lieu de ça, l’heure est plutôt à la grande confusion idéologique, chacun étant persuadé de pouvoir apporter sa pierre à l’édifice en matière de bonne conscience hypocrite, ce dont le cinéma se fait forcément le témoin et passeur privilégié. Mais là où la majorité des films ou séries actuels sont obligés de rentrer dans le moule aseptisé général, assénant les mêmes discours la plupart du temps contre productifs à force de manque de recul sur un sujet réellement préoccupant, il arrive parfois de se retrouver face à un produit semblant échappé d’un autre monde, une époque dont on voudrait nous faire croire qu’elle est bel et bien révolue, dans une société qui serait désormais égalitaire. A ce niveau, le film qui nous intéresse ici est un tel cas d’école qu’il semble presque dérisoire de s’y attarder, du moins sur le moment, tant le contenu concret a de quoi estomaquer jusqu’au public le plus bas du front. Néanmoins de par le petit buzz qu’il est en train de provoquer, il nous semblait intéressant de rebondir dessus rapidement, avant qu’il ne finisse englouti dans la masse de contenus Netflix.

Accumulant dès sa scène d’ouverture une somme de clichés comme on ne pensait pas qu’ils existaient encore, il semble très rapidement évident que l’on aura pas à faire à un sommet de bon goût. Décor carte postale, couchers de soleil d’un kitsch presque fascinant, et soupe musicale qui fait saigner les oreilles, on se prépare pour un grand moment de ringardise en se disant que finalement, si tout ceci est égayé par quelques scènes de sexe torrides, on ne perdra peut-être pas totalement notre temps. Mais pour arriver à cela, il faut d’abord en passer par un pitch qui à lui seul vaut son pesant d’or et pose quelques questions sur ses instigateurs. A la mort de son père, un chef mafieux a une illumination. Alors qu’il pense mourir lui aussi, lui apparaît une femme sublime dans un flash mystique, qu’il va se mettre en tête de trouver dans la vraie vie. Il se trouve que cette femme existe, et qu’elle se trouve en Sicile pour des vacances censées redonner un peu de peps à son couple battant de l’aile. Se mettant en tête de l’avoir pour lui tout seul, il va la kidnapper et la séquestrer avec comme but ultime de la faire tomber amoureuse de lui. Elle aura 365 jours pour ce faire, délai au-delà duquel il la laissera partir. Reconnaissez qu’un pitch pareil, alors qu’on nous parle d’égalité, qu’on nous rabat les oreilles à longueur de temps sur le male gaze, l’oppression que subissent les Femmes au quotidien (ce que l’on osera pas remettre en question néanmoins), il semblait totalement improbable de se retrouver face à ce genre de spécimen filmique aujourd’hui. Et pourtant, cette production polonaise se trouve bien là, devant nous, et il faut bien s’y faire, le résultat est particulièrement costaud en matière de caractérisation foireuse provoquant son lot de malaise et d’hilarité embarrassée.

Le fantasme masculin moderne semble être ce Massimo, gangster dominateur prenant les choses en main sans demander la permission, qui quasiment dès le début du film, durant un voyage en avion, saute sur une hôtesse pour se faire prodiguer une fellation façon Rocco, à l’issue de laquelle la victime de ces assauts … sourit. Et oui, il semblerait qu’en 2020, une femme ne demanderait qu’à se faire sauter dessus et à donner du plaisir à un macho man entreprenant. La glamourisation du viol, il faut admettre qu’il fallait oser. Et précisons d’ailleurs pour rester dans cet ordre d’idées, que les 3 premières scènes de rapports sexuels sont des fellations, ce qui ne manque pas d’intriguer sur l’image des rapports hommes / femmes qu’ont les auteurs de ce bidule.

La femme, face à son sort, réagit en se faisant trimballer dans les magasins de luxe, car quitte à se faire kidnapper, autant ne pas trop souffrir de la situation et vivre dans le luxe. Au milieu de cet étalage de signes extérieurs de richesse proprement gerbants, avec des jeunes gens avantagés par la nature, se jouent évidemment des rapports de force, qui valent eux aussi leur pesant de hoquets stupéfaits de la part du spectateur. L’étalon italien, sûr de ses charmes, précise bien à la demoiselle que malgré la situation pouvant prêter à confusion, il n’est pas le monstre qu’elle pense et qu’il ne la touchera pas sans sa permission. Non non, il lui donne tout simplement l’opportunité de vivre une histoire d’amour passionnée avec lui, et ce n’est qu’une question de temps. Madame sourit en coin, comme si elle avait encore son libre arbitre, jouant au jeu de la séduction, je t’allume mais je ne te donne pas ce que tu veux, alors que tout le monde sait, elle, lui, nous, qu’elle a déjà succombé. Tout ceci n’est qu’une question de temps. En attendant, pour lui montrer ce qu’elle manque, il l’attache à un lit (Cinquante nuances de Grey n’est pas loin bien entendu) pendant qu’il se fait encore une fois fellationner par une figurante sous ses yeux. De temps en temps, il l’attrape fermement par le cou en haussant le ton, « Ne joue pas avec moi ! ». « Sinon quoi ? » ! Voilà, le film c’est ça, un gros pas pour la psychologie féminine, et la fameuse guerre des sexes, sauf qu’ici il semblerait que le fantasme ultime de la femme riche et sexy de 2020 soit ce latin lover violeur au physique d’apollon, et pour cela il n’y a qu’à entendre la description très parlante qu’en fait l’héroïne à son amie. On croit rêver.

Passée cette présentation d’une richesse psychologique proprement vertigineuse, arrivent enfin les fameuses scènes de cul promises, dont il se murmure qu’elles ne seraient pas simulées. Ouhlalalala, on sent déjà d’ici les joues rougies des spectatrices, mais pas de panique, simulées ou non, celles-ci sont surtout particulièrement ridicules, évoquant surtout ces fameux téléfilms du dimanche soir sur M6, mais pour les déçus de la pudibonderie des adaptations des Cinquantes nuances , il y aura au moins de quoi se rincer l’oeil, quelle que soit la catégorie de spectateurs, face à ces jeunes gens très beaux et bien foutus, se chevauchant dans tous les sens avec beaucoup de vigueur.

Il semble tout de même difficile de terminer cet état des lieux proprement accablant sans préciser que la réalisation est tenue par une femme. Co-écrit par cette dernière et 3 autres personnes (hommes et femmes), cela pose question sur le positionnement du film et le public visé. Nul doute que s’il avait été entièrement écrit par un homme, le carnage aurait été total quant à sa réception. Pour le moment, il est encore un peu trop tôt pour se prononcer sur la réception globale de ce chef d’oeuvre, mais il semble tout de même improbable que cela passe comme une lettre à la poste, tant l’accumulation terrifiante de premier degré de clichés à faire frémir Harvey Weinstein, a de quoi poser de sérieuses questions, même si l’on évitera de se torturer trop longtemps l’esprit face à ce qui s’apparenterait plutôt, si l’on est de bonne humeur, à un énorme nanar inconscient de sa condition, ce qui en accentue évidemment son hilarante bêtise.

Osant de plus clôturer cette fascinante histoire par un drame en suspend annonçant une suite que personne ne réclamera, il y a véritablement de quoi rester la bouche ouverte à l’apparition du générique, car même le cinéphage endurci se coltinant tout et n’importe quoi sur Netflix n’était pas préparé à ce monument de finesse et de bon goût, qui pris au premier degré constitue tout simplement le degré zéro du cinéma et de la profondeur. A voir pour le croire, mais on le conseillera tout de même avec modération, l’expérience pouvant s’avérer mauvaise pour la santé mentale.

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