Phase IV : Test Blu-ray

Réalisateur : Saul Bass / Casting : Nigel Davenport, Michael Murphy, Lynne Frederick / Genre : Science-fiction / Compositeur : Brian Gascoigne / Date de sortie : 1er octobre 1975 (sortie française) / Durée : 83 minutes / Pays : États-Unis

Synopsis : Des fourmis du désert se regroupent subitement pour constituer une intelligence collective et déclarent la guerre aux humains. C’est à deux scientifiques et une fille qu’ils ont sauvé des mandibules des fourmis qu’échoue la mission de les détruite.

Critique film : Certainement le plus célèbres de tous les graphistes américains, Saul Bass a commencé dans la publicité avant de se spécialiser dans la conception de générique de films, ses plus célèbres collaborations étant avec Otto Preminger et Alfred Hitchcock. Mais l’homme était polyvalent et avait également de belles ambitions de cinéaste. Lauréat d’un Oscar du Meilleur Court-Métrage Documentaire en 1969 avec Why Man Creates, Bass a toujours été fasciné par l’infiniment grand et l’infiniment petit.

Aussi quand Paramount, réfléchissant encore à faire des films de monstres comme ceux des années 50, propose à Saul Bass de réaliser un film mettant en scène une nouvelle espèce de fourmi intelligente, le cinéaste accepte mais ne tarde pas à détourner la commande. Plus proche de 2001, l’odyssée de l’espace que Des monstres attaquent la ville, Phase IV est un film aux limites de l’expérimental où Bass s’intéresse aux exactions de cette nouvelle espèce de fourmi avec un véritable intérêt scientifique. L’ouverture du film, suivant pendant de longues minutes des fourmis filmées en très gros plans est absolument saisissante et dès l’apparition des personnages humains, le réalisateur n’a de cesse de les filmer de loin, perdus au milieu du désert de l’Arizona comme des insectes.

Ainsi, pour Bass, ces deux scientifiques venus étudier le comportement des fourmis et tenter d’endiguer leur prolifération, sont condamnés d’avance par une espèce qui n’a aucun ego et aucun individualisme. Alors que l’un des scientifiques, avec ses gros ordinateurs et ses profondes convictions, n’a de cesse de tout ramener à lui, les fourmis n’hésitent pas à se sacrifier par centaines pour mettre à mal les installations électriques du bunker dans lequel les humains sont réfugiés. Saul Bass réalise ainsi avec Phase IV un film profondément écologique (où la nature reprend ses droits face à des humains qui n’ont fait que la saccager) mais aussi profondément cosmique dans le sens où il a bien conscience que l’humain, persuadé d’être le centre de l’univers, n’est absolument rien à l’échelle de l’univers et c’est ce qu’il va s’acharner à nous dire tout au long du récit, qui emprunte finalement bien peu à la fiction, la narration pure étant loin d’être son moteur principal.

Phase IV ressemblerait presque à un documentaire, notamment quand il se concentre sur les fourmis avec des plans incroyables de par leur promiscuité avec les insectes qui nous apparaissent comme des créatures venues d’un autre univers (saluons à ce niveau le travail de Ken Middleham, responsable de toutes les images mettant en scène les insectes). Quand il est centré sur les humains, Bass vient rappeler son talent de graphiste en n’hésitant pas à jouer avec les formes et les échelles de plan pour créer une atmosphère inédite, de malaise sourd et de menace sous-jacente achevant de faire de Phase IV une expérience singulière à vivre frontalement pour mieux se laisser happer et réaliser combien l’univers est immense…

Date de sortie vidéo : 17 juin 2020 chez Carlotta Films

Informations Techniques : BD 50 – Master Haute Définition – 1080/29.98p – Encodage AVC – Version Originale / Version Française DTS-HD Master Audio 1.0 – Sous-Titres Français – Format 1.85 respecté – Couleurs

Test Blu-ray / DVD :

Image : La copie est impeccable, d’une qualité incroyable (tous les plans sur les fourmis sont exceptionnels) mais conserve tout de même du grain, permettant de découvrir le film sous sa meilleure version possible. Les contrastes sont profonds et les couleurs ont un rendu de haut vol.

Son : Comme souvent la version originale est de meilleure qualité que la version française, un peu plus étouffée. Mais les deux pistes sont très solides avec un mixage parfaitement équilibré entre dialogues et musique.

Bonus Blu-ray :

Une vie de fourmi (21′) : Les réalisateurs Jasper Sharp et Sean Hogan reviennent sur Phase IV et inscrivent le film dans son contexte pour mieux nous en faire comprendre les enjeux et l’état d’esprit de Saul Bass au moment où il fait le film, précurseur des films d’horreur cosmique d’aujourd’hui. Intéressant mais de loin le bonus le plus dispensable de cette édition.

Fin originale de Saul Bass (18′) : La fin originale du film telle que Saul Bass l’aurait voulue avant que le studio n’intervienne et la coupe. Cette fin magnifique inscrit effectivement Phase IV comme un grand film cosmique et témoigne de la radicalité expérimentale de son artiste tout en accentuant son propos.

6 courts métrages de Saul Bass :

C’est là où l’on voit la qualité du travail éditorial de Carlotta qui, non content de nous offrir Phase IV dans une formidable édition, alimente encore plus celle-ci en nous offrant tous les courts-métrages réalisés par Saul Bass. Une façon pour ce coffret ultra-collector d’être le plus complet possible autour du travail de cet incroyable artiste.

The Searching Eye (18′) : Conçu pour la foire internationale de New York en 1964 et financé par Kodak, ce court-métrage prouve l’inventivité constante de Saul Bass qui se refuse à faire la promotion directe de l’investisseur du film. Avec The Searching Eye, il se livre à une réflexion passionnante autour du regard humain, de ce qu’il perçoit et de ce qu’il ne perçoit pas. Avec déjà une appétence pour tout ce qui dépasse l’être humain, préfigurant un peu à sa manière Phase IV.

Why Man Creates (25′) : Gagnant de l’Oscar du Meilleur Court-Métrage Documentaire, Why Man Creates est le fruit de nombreuses réflexions de Saul Bass autour de la créativité, de ce qui motive l’être humain et de ce qui le pousse à créer inlassablement. Un film expérimental totalement libre et protéiforme totalement passionnant.

Bass on Titles (34′) : Réalisé en 1977 alors que Saul Bass a arrêté pour un temps de créer des génériques (il y reviendra pour quelques films de Scorsese notamment), Bass on Titles est un court mettant en scène Bass lui-même qui revient sur sa façon de concevoir les génériques et parle de certaines de ses plus grandes réussites, le tout accompagné ensuite des génériques en question diffusés en entier. Un film qui permet de mieux l’importance du travail du graphiste sur le cinéma hollywoodien et l’évolution de ses génériques.

Notes on the popular arts (20′) : Un court fort sympathique où Saul Bass se laisse aller à des réflexions autour des arts populaires et en illustre la valeur à travers des vignettes humoristiques parfois absurdes. Il y révèle là son amour débordant pour chaque fort d’art en n’en méprisant aucun et éclairant au contraire sur les valeurs que chacun d’entre eux portent.

The Solar Film (10′) : Réalisé à la demande de Robert Redford afin qu’il soit projeté en première partie du Cavalier électrique de Sydney Pollack, The Solar Film est un court-métrage mettant en valeur l’intérêt de se pencher sur l’énergie solaire pour alimenter nos besoins en énergie alors que l’on risque fort d’épuiser les autres ressources sur lesquelles on compte. Le film le plus ouvertement didactique de tous les courts de Saul Bass où le cinéaste met en avant ses profondes convictions écologiques.

Quest (30′) : Sans aucun doute la perle de cette édition, la possibilité d’enfin découvrir Quest dans les meilleures conditions possibles. Ce film de fiction (finalement le seul que Bass réalisera avec Phase IV) financé par une secte japonaise, écrit par Ray Bradbury et co-réalisé par Elaine Bass, la femme du cinéaste est une petite merveille faisant largement écho à Phase IV et à sa dimension cosmique. Dans un monde où l’être humain ne vit que six jours, un enfant est formé à un long voyage pour aller ouvrir une porte à l’autre bout du territoire, une porte qui permettrait enfin à l’humanité de vivre plus longtemps. Le périple est bien évidemment semé d’embûches et complexe au fur et à mesure que le héros vieillit. De cette formidable idée, Bass tire un film hypnotique et profond, réflexion émouvante sur la quête de sens et du bonheur de l’humanité dont la vie n’est pas grand-chose à l’échelle cosmique. Un chef-d’œuvre assurément traversé par des visions imprimées à jamais sur notre rétine.

+ Le livre  »Phase IV, éclipse de l’humanité » par Frank Lafond : 200 pages d’un travail minutieux (de fourmi !) effectué par Frank Lafond autour de Phase IV. Lafond s’est plongé dans les archives de Saul Bass, a mis la main sur les différentes moutures du scénario, a contacté les protagonistes encore en vie du projet (notamment son scénariste Mayo Simon) et livre donc une œuvre complète autour de la genèse du film. De sa conception à sa première projection en passant par son écriture et son tournage, on saura tout sur Phase IV, confirmant une fois de plus l’extraordinaire travail éditorial effectué par Carlotta autour de ce film singulier existant désormais dans cette formidable édition définitive.

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