Phil Tippett, des Rêves et des Monstres : Quand les rêves prennent vie

Le duo Gilles Penso et Alexandre Poncet continue d’explorer leur attrait pour le cinéma fantastique. En 2013 est sorti un film hommage au maître du stop-motion, Ray Harryhausen, qui revenait sur l’ensemble de sa carrière et des influences que son travail a laissé sur le monde du cinéma. Le film brassait les diverses créations cultes de son auteur et laissait entrevoir des pistes pour un autre documentaire beaucoup plus vaste. C’est ainsi que naquit Le Complexe de Frankenstein. Sorti en 2015, il faisait l’étale des plus grandes créatures du cinéma fantastique, des prémices du cinéma à aujourd’hui. Avec l’intervention des maîtres d’œuvre qui ont fait la gloire des films qu’il citait, le documentaire de Penso et Poncet était un vibrant hommage aux films qui ont nourrit l’inconscient collectif des amoureux de ce genre de cinéma. Mais l’amour des effets-spéciaux ne s’arrêta pas à ces deux films. Voilà que Carlotta nous propose le dernier bébé du duo dans une édition blu-ray sobre, élégante et soignée. Phil Tippett : Des Rêves et des Monstres met en lumière un artisan aussi apprécié et reconnu que Ray Harryhausen.

De nature très modeste et pudique, Phil Tippett se refuse catégoriquement d’être connoté comme le digne descendant de Harryhausen. En dépit d’une influence certaine de l’ensemble des œuvres de Harryhausen, Tippett doit son amour du stop-motion et des effets-spéciaux au King Kong de Merian C. Cooper qu’il a découvert à l’âge de 5 ans. Totalement envoûté par l’animation du gorille, il nourrira cet amour jusqu’à travailler sur la conception de créatures qui auront façonné l’imagerie d’un nombre incroyable de cinéphiles. Il a donné vie aux créatures les plus mémorables du cinéma hollywoodien des quarante dernières années : Jabba Le Hutt et les AT-AT de Star Wars, le tyrannosaure de Jurassic Park, ED-209 dans RoboCop, les insectes géants de Starship Troopers ou encore les poissons carnivores dans Piranhas de Joe Dante.

Le documentaire possède cette dynamique que l’on retrouvait déjà dans les films précédents de Gilles Penso et Alexandre Poncet : intuitif, intimiste, instructif. Le spectateur est plongé d’emblée dans le superbe atelier débordant d’archives merveilleuses du Tippett Studio. Phil Tippett nous conte son parcours avec une modestie incroyable. Il véhicule sa passion avec ferveur. Jamais racoleur, le grand barbu de 68 ans ne se vante jamais d’avoir été au cœur des révolutions qui ont contribué à la naissance de la société ILM fondée par George Lucas en 1975. De nature assez réservée, il décidera de s’émanciper de la grosse machine en devenir afin de fonder son propre studio. Après les succès consécutifs de la première trilogie Star Wars, Phil Tippett ressent le besoin de revenir aux fondamentaux, à ce qui lui a donné l’amour du stop-motion. En essayant de soigner une déprime, et épaulé par son épouse (véritable actrice de l’ombre sur laquelle repose toutes les fondations du Tippett Studio, à qui le film fait honneur), Phil Tippett va, sans le vouloir, repousser le principe de stop-motion dans ses derniers retranchements en mettant en scène son œuvre cathartique, le point de rupture qui tourne la page entre l’enfant rêveur qu’il a été et l’adulte qu’il peine à devenir. Prehistoric Beast est un drame expérimental d’une dizaine de minutes totalement réalisé par ses soins. Il y anime des dinosaures plus vrais que nature et procède à une réalisation minutieuse en osant des mouvements de caméra le plus proche du réel possible. Phil Tippett signe, avec ce film, le couronnement de son art à l’orée des premières images de synthèse. Le passage au numérique lui aura donné un sacré coup au moral d’ailleurs. Le film arrive parfaitement à nous transmettre le malaise de Tippett quant aux avancées technologiques. Une fois encore, la force de la réalisation de Penso et Poncet permet de garder le cercle intime sans jamais tomber dans le voyeurisme. Il faut dire que Tippett est du genre à avoir un visage très expressif. Pas besoin de forcer le pathos, il émeut naturellement.

Si les témoignages de Tippett font mouche, le documentaire s’offre les interventions de ses plus proches collaborateurs qui lui donnent un cachet supplémentaire. Chacun ira de son éloge et insistera sur l’héritage fabuleux que leur aura laissé Tippett. Ce qui ressort de ces interventions est unanime : Phil Tippett est un homme fortement apprécié et travailleur. On apprendra, notamment, qu’en plus de superviser les effets-spéciaux de RoboCop 2, il aura réalisé l’entièreté de l’affrontement final du film. Ces scènes ont été les premières à être filmées et Irvin Kershner, le réalisateur, n’était absolument pas familier avec la mise en scène d’autant d’effets. Il a laissé volontiers Tippett se charger de tourner les séquences qui donneraient l’identité souhaitée au film. Voilà ce qu’est Phil Tippett : un passionné qui ne se ménage pas. Verhoeven saluera son courage, notamment sur le tournage de Starship Troopers, où il courait dans tous les sens afin d’assurer la gestion des insectes disséminés sur deux plateaux de tournage consécutifs. Afin d’assurer la bonne connivence entre la première et la seconde équipe de tournage, Phil Tippett s’est donné comme jamais sous un soleil de plomb, puisque le tournage se passait, en grande partie, dans le désert. Si Verhoeven ne tarit pas d’éloges à son égard, c’est également le cas de Joe Dante qui assure que c’est grâce à ses poissons qu’il a pu avoir la carrière qu’on lui connaît aujourd’hui. Mais Phil Tippett ne s’attribue jamais les mérites des réussites qu’il a suscité. Lauréat de deux Oscars pour les effets qu’il a mené sur Le Retour du Jedi et Jurassic Park, il ne s’en vantera jamais. Pour lui, tout ce qui importe, c’est le projet suivant. Il y a cette crainte de ne plus être appelé ni apprécié. Le film dresse le portrait d’un homme méthodique et consciencieux. On en sortira avec l’envie de prendre notre caméra et d’aller animer divers objets. La passion de Phil Tippett est une douce et jolie maladie qui se transmet avec plaisir.

Phil Tippett : Des Rêves et des Monstres est un documentaire qui vient parfaitement compléter la trilogie de Gilles Penso et Alexandre Poncet sur le sujet. De plus, l’édition blu-ray propose un commentaire audio enrichissant, et aussi un film qui retrace les coulisses du documentaire. Un film complet, plus long que le documentaire lui-même, qui montre en détail tout le processus créatif de ce dernier, mais surtout l’amour que portent les deux réalisateurs pour leur sujet. Phil Tippett : Des Rêves et des Monstres est un joli bébé qui complétera à merveille votre collection vidéo.

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