The Room : Rencontre avec Christian Volckman, réalisateur du film.

Une partie de l’équipe de Close-Up Mag avait découvert The Room lors de sa présentation à L’Étrange Festival, le reste l’ayant rattrapé lors du 27e Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, où le film a réussi à sortir du lot par son minimalisme fantastique évitant tous les clichés du genre, et par son approche humaine, critique d’une société consumériste extrême.
L’occasion était forcément trop belle pour discuter avec son réalisateur, Christian Volckman, présent dans les Vosges pour présenter le film, 13 ans après son essai d’animation en noir & blanc, Renaissance, avec la voix de Daniel Craig pour le rôle-titre.

Treize ans après Renaissance, qu’est-ce qui vous a décidé de passer à une mise en scène plus classique ?

Après Renaissance, j’ai eu le sentiment de m’être beaucoup trop dispersé dans du visuel et dans un trop-plein d’informations à l’écran. J’étais frustré par l’écriture caricaturale de mon personnage principal, puis il y avait un phénomène technique où tout se décide au story-board faute de moyens conséquents. J’ai commencé le film à 28 ans avec le story-board, etc. puis à 35 ans, je me suis retrouvé avec le film qui n’avait pas évolué. Sept ans pour se retrouver avec un story-board animé sans la moindre évolution, des problèmes de narration sans la moindre possibilité de remontage, car je n’avais pas de rushs. Je pouvais seulement enlever des choses. Ce qui est problématique pour faire un bon film. Tu te retrouves à prendre des décisions avec une marge de manœuvre restreinte. Suite à cette expérience, j’en ai eu marre. J’ai repris la peinture, ma passion première, dont j’ai une fascination pour la Renaissance et les peintres contemporains comme Bacon. J’ai fait cela pendant quelques années, le cinéma était trop de contraintes, trop de pressions. Qui plus est, tu es balancé dans un monde extrêmement difficile, seul le marché compte. Et je me suis aperçu en peignant que c’était aussi un marché avec les mêmes contraintes multipliées par 1000 ! L’aboutissement de l’art aujourd’hui se fait autour de la spéculation de ta valeur future et potentielle. C’est encore pire, car tu es dans un monde d’ultra-riches qui se foutent de tout et réfléchissent plutôt à comment ils vont pouvoir placer leurs argents.
Je me suis alors dit que le cinéma n’était pas si mal, car il regroupe des passionnés, ce qu’il n’y a plus dans l’art. Les galeristes qui ont défendu Picasso par exemple n’existent plus. Ils ne font que de réagir à l’offre et à la demande malgré eux. Alors qu’au cinéma, en Europe, tu as encore un espace de libertés, que tu peux chercher des producteurs et des coproductions pour monter des petits budgets et explorer tes lubies en étant en accord avec toi-même.Je me suis alors dit que je devais faire le contraire de Renaissance : Une histoire/2-3 personnages/une maison et essayer d’être assez ingénieux pour nouer des rebondissements. Je ne sais pas si j’ai réussi, mais je me suis bien amusé à l’écrire et à le réaliser. J’y ai mis des obsessions du type : le rêve dans le rêve ; la mise en abîme ; la réalité Vs la fiction ; la psychologie/psychanalyse, tout cela me fascine. 

Quel a été le déclencheur dans l’élaboration de l’histoire ?

J’étais dans mon atelier peignant des maisons détruites. Un moment donné, j’ai eu l’envie de travailler sur le thème de la lampe d’Aladdin. Nous sommes aujourd’hui dans cette problématique que tout est accessible, mais en même temps, tu as la notion de ne jamais rien avoir. Internet a donné cette impression de proximité et la possibilité de tout avoir, alors que finalement, rien n’est à toi. Tout est disponible dans l’immédiat dans ta boîte aux lettres ou ton jardin par drones, ce qui a créé une exigence malsaine. La Room est donc une analogie de cette situation ubuesque presque, car aujourd’hui, tu peux commander un être humain via la maternité assistée en choisissant la provenance des gênes de ton enfant et le faire selon tes envies, seul ou pas. 

Justement, vous portez votre regard vers une question de société, polémique actuellement, à savoir la PMA, dont Shane est la représentation. Il fait le bonheur de sa mère, pas celui du père, quelle était votre intention ?

J’aimais bien l’idée que l’humain reste humain, l’idée de ce bébé «Amazon» est la représentation du besoin de liens et d’émotions d’une mère, que l’on voit même avec les animaux domestiques dont leurs maîtres portent un amour fou parfois. Mais quelque part, l’idée d’avoir ce besoin d’une relation affective avec un être vivant est poussée un peu plus loin. Il y a des Asiatiques qui ont des relations affectives avec des robots aujourd’hui.

Vous voyez donc le bébé comme un produit périssable, comme un fruit, sans trop en dévoiler de l’intrigue.

C’est exactement ça. C’est l’analogie de notre présence sur Terre. On arrive sans trop savoir que faire. On ne sait pas pourquoi nous sommes nés, on nous impose à priori un cadre et une situation, on subit notre environnement que ce soit politique et/ou culturel, et ensuite à nous de s’en défaire ou pas. S’accepter soi-même, se débarrasser des poids aux chevilles de son conditionnement, mais à la fin, on disparaît tout de même. Quel en est le sens finalement ? Pourquoi être venus sur Terre pour si peu ? Telle est la question pour ne représenter que seulement 2 secondes de l’univers. 

Le film évite avec cet enfant la notion démoniaque/diabolique. Il murit vite, confiné dans cette maison cherchant à prendre la place du père absent psychiquement. Alors se jouent dans le final des relents oedipiens, comme si l’enfant souhaitait le nid maternel ? Ce qu’il n’a jamais connu en étant un enfant commandé.

C’est un être simple à l’environnement pauvre avec comme seules références ses parents et la maison. La mère fait son éducation dans sa chambre, il n’a que peu de repères. Ce qui renvoie à l’enfant sauvage élevé par les loups qui avait créé un mimétisme fou en devenant un animal. Ce qui pose des questions sur l’environnement biologique. L’enfant est une projection de la mère qui souhaite tout avoir à l’instantané, qui ne souhaite pas le voir sortir et le posséder pour elle toute seule. Ce qui ne va bien sûr pas fonctionner. 

L’autre point fort du film, c’est la maison. Quelle utilisation souhaitiez-vous en faire ? Elle devient rapidement que le décor autour des maux de ce couple ?

Mon inspiration première est Tesla pour la maison. L’inventeur du courant alternatif dont il y a un mystère autour de lui. On connait peu de chose de l’homme. Je me suis imaginé une sorte de Tesla qui aurait fabriqué la maison avec toutes les possibilités qu’offre l’électricité. Ce système qui ouvre un monde parallèle, et donc il y aurait possiblement une suite au film avec plusieurs maisons reliées avec tout un système complexe. Je n’ai pas pu tout mettre dans le film, alors cela ouvre des possibilités pour plusieurs films. 

On parlait de l’enfant démoniaque, mais vous évitez aussi le piège de la maison hantée, on pense énormément à Amytiville au début.

Oui, j’ai voulu absolument éviter toutes connexions. Ou alors cela dérape sur du Cronenberg et tu y vas à fond avec l’enfant qui devient une forme bizarre reliée à la maison, identique à Tetsuo de Shin’ya Tsukamoto. J’ai souhaité au départ jouer des clichés pour mieux m’en détacher ensuite. J’avais la volonté de déjouer les attentes du genre, éviter le sang et le gore, éléments galvaudés maintenant au cinéma. 

La grande force du film est son côté humain, cela se ressent partout, l’humain prime avant le fantastique.

Exactement, merci de le remarquer, car c’était une volonté de rester terre-à-terre, ne pas déraper. J’ai voulu une approche réaliste en réponse à tous les événements qui surviennent au couple pendant le film. D’y répondre par ce prisme, comme la question de la chambre ou de l’enfant, voire même la question autour de John Doe.
La chambre n’est que la projection de ses habitants. Elle est froide et neutre, sans la moindre notion démoniaque, car tout répond à un système électrique. Chaque habitant de cette maison va avoir leurs propres histoires. Exemple avec John Doe et ses parents qui interviennent via le fait divers entourant la maison.

Justement, on retrouve l’humanité recherchée par le traitement de John Doe qui, dans une production typique, ne serait qu’un simple fou ou un serial killer de plus.

À l’écriture, il y a des facilités inhérentes au genre. C’est un pari ensuite de jouer avec et contourner les codes attendus par un certain public qui sera, du coup, peut être déçu. J’ai préféré rester dans un aspect humain pour mieux comprendre les personnages face à moi. Si tu te poses des questions sur l’origine du mal, forcément tu es obligé de t’intéresser au parcours personnel du personnage, sauf si tu entres dans une histoire fantastique ou horrifique. Mais avec The Room, ce n’était pas le cas. Mon approche ne l’était pas en tout cas. Le Sixième Sens par exemple est un film que j’aime beaucoup parce que tu t’aperçois que les fantômes sont seulement des êtres qui veulent entrés en contact avec cet enfant pour essayer de comprendre, puis il y a tout un cheminement ensuite qui s’échappe du fantastique, alors qu’au départ, il se servait de cet élément pour nous happer dans l’histoire. C’est assez bluffant.

Le couple composé d’Olga Kurylenko et Kevin Janssens a une belle alchimie. Comment se sont passés le tournage et le travail avec eux ?

Ce n’était pas évident. On a eu beaucoup de problèmes. Au départ, on souhaitait un couple d’Anglo-saxons, et comme je venais de nulle part, les agents ne nous prenaient pas au sérieux. Ils nous ont baladés pendant un an en nous spécifiant envoyer le scénario et nous confirmant les disponibilités. Il s’est avéré que personne n’a reçu le scénario. Un problème très américain, sourire de façade, mais ce sont des gens conditionnés par l’argent. Il y aurait eu l’argent, cela aurait été moins compliqué, mais pour une production étriquée comme nous, ils nous ont pris de haut. Il faut garantir une somme à l’acteur avant même de lui envoyer le scénario. Je souhaitais absolument avoir James McAvoy, je l’adore, mais cela n’a jamais été possible. Jamais le scénario ne lui a été envoyé, je n’ai jamais pu discuter avec lui du film et de mes intentions. Ensuite nous devions tourner au Canada avec le producteur de David Cronenberg, Martin Katz, mais nous n’avons pas trouvés les financements nécessaires sur place. Il nous a demandé d’attendre, mais à force, nous sommes finalement revenus à des choses plus simples, en Europe, là où nous avions des contacts. On a commencé à faire lire et Kevin Janssens a dit oui instantanément. Il a adoré l’histoire et l’alchimie a prise de suite. 

Le casting français ne s’est jamais présenté ?

Non, car je souhaitais absolument faire le film en anglais. Je n’ai jamais envisagé The Room comme un film français. Cela me faisait peur d’avoir la double peine, à savoir : film français qui ne plaît à personne et ne se vends nulle part, vu que le film de genre a mauvaise presse en France et que les distributeurs ne veulent pas les sortir, que les producteurs ne veulent pas les produire. Il fallait éviter une certaine pression inutile et tourner en anglais pour une meilleure exportation. Et même avec ce schéma, on se retrouve dans une sorte d’impasse.Les distributeurs français ont peur du genre. Après le film sortira directement sur Canal+ en France, le film bénéficie d’un doublage. Par contre, le film est sorti partout dans le monde, en Espagne, en Italie, et donc on va voir son parcours. Il a très bien marché en Russie, en Corée du Sud aussi, où il a rencontré un beau succès.

Propos recueillis par Mathieu Le berre et Alexandre Coudray. 
Remerciements à Christian Volckman pour sa disponibilité
et à Anne-Lise Kontz pour la possibilité de cette rencontre
.

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