The Eddy : Chroniques d’une vie parisienne

Voilà maintenant quelque temps que Netflix tend à diversifier ses contenus. Bien que la plate-forme continue à abonder son catalogue de titres ultra populaires, on se surprend à voir y apparaître des noms un peu plus « élitistes ». Il y a toujours eu quelques films de patrimoine et quelques œuvres réservées à un public un peu plus exigeant sur Netflix. Dire le contraire serait mentir. Seulement, il semblerait que la politique de communication de la plate-forme ait décidé de changer de fusil d’épaule. Certes, le catalogue regorge toujours autant d’un cinéma divers et populaire, mais la mise en avant de films des studios Ghibli, de Truffaut, Lynch et autres Chaplin démontrent cette envie d’aller chercher d’autres potentiels nouveaux abonnés. Avec l’ajout d’un cinéma moins facile d’approche au sein du catalogue, Netflix dégaine sa nouvelle mini-série, The Eddy, qui s’inscrit directement dans les volontés susmentionnées.

Auparavant adulé à New-York, le pianiste Elliot Udo est à présent copropriétaire d’un club de jazz en faillite à Paris qu’il co-dirige avec son meilleur ami Farid. Un club dont les secrets vont avoir de sérieuses répercussions sur leur groupe de musique. La femme de Farid, Amira, soutient tant bien que mal le club. De son côté, Elliot entretient une relation amoureuse mouvementée avec Maja, la chanteuse de son groupe. Et quand sa fille de quinze ans, Julie, réapparaît soudainement dans sa vie, et que Farid est assassiné pour d’obscures raisons, Elliot devra surmonter ses faiblesses et apprendre à grandir.

Vendu comme la création de Damien Chazelle (que nenni !), The Eddy est avant tout un projet musical créé par Glen Ballard. Célèbre producteur ayant travaillé avec Michael Jackson, Elton John ou encore Céline Dion, il est surtout connu pour avoir produit le fameux album Jagged Little Pill d’Alanis Morissette (33 millions d’exemplaires vendus au monde). Musicien et ancien élève de Quincy Jones (rien que ça !), il a imaginé, il y a sept ans, une trentaine de chansons qui relatent du jazz et de Paris. Avec ces chansons, il monte un groupe qu’il baptise The Eddy. S’ensuit la sortie d’un album hybride mêlant jazz contemporain et comédie musicale. Un album qui réunit de grandes pointures de la musique. Mais gardons-nous de chroniquer cet album, là n’est pas le sujet. S’il importe beaucoup à la genèse de la série, l’album de The Eddy n’en reste que sa solide fondation. Glen Ballard s’est attribué les services de Jack Thorne (scénariste de Skins et Shameless) pour l’écriture de la série. Thorne va accoucher de huit épisodes costauds. Huit épisodes qu’il va falloir ingurgiter non sans une certaine difficulté.

The Eddy reprend le découpage scénaristique qui avait fait la popularité de Skins. Chacun des épisodes va se focaliser sur un personnage en particulier. Nous suivrons avec intérêt (ou non) les déboires de ces personnages et constaterons leurs apports au club et à l’avancée de l’intrigue principale. The Eddy développe des arcs narratifs divers. La série construit une gigantesque toile d’araignée dans laquelle il sera difficile de s’en dépêtrer par moment. En cause : un scénario parfois trop conventionnel qui n’hésite pas à tirer jusqu’à la longueur la plus interminable chacune de ses situations. Si cela fonctionne sur certains épisodes, The Eddy souffre d’un sérieux manque de rythme en milieu de saison. La faute à des personnages qui n’ont pas grand chose à nous faire vivre malheureusement. The Eddy, dans ses pires moments, tombe dans le cliché excessif des protagonistes qui font étirer longuement (très longuement) le silence pour ne rien dire au bout du compte. Des silences desquels la série sait tirer parti aux moments les plus opportuns malgré tout. Certaines séquences jouent avec une tension folle. Comme un bon morceau de jazz, il y a des montées en puissance qui exultent et brillent de mille feux le long de certains épisodes. Mention spéciale pour une séquence de fête post-mortem fabuleuse. On n’avait pas filmé la musique avec autant d’émotion depuis la fin d’Alabama Monroe. Pour ce qui est du superflu, tous les moments dispensables, mis bout à bout, représentent facilement la durée de deux épisodes. C’est bien dommage de sentir la série tiraillée en permanence. Ses qualités deviennent ses plus gros défauts. Et trouver le moyen de s’ennuyer autant de fois sur huit malheureux épisodes démontre tout simplement les faiblesses d’écriture de Thorne. La série aurait gagné en puissance si son récit avait trouvé le moyen d’aérer le tout en nous évitant moult dérives mielleuses qui n’apportent rien ni aux personnages ni à l’avancée de l’intrigue. À trop vouloir en faire, à trop vouloir revenir sur chaque chose, comme une rengaine qui s’entête à ne pas vouloir nous sortir du crâne, The Eddy pèche par excès de gourmandise. Le cocon douillet dans lequel nous sommes installé par ses sublimes envolées musicales et qui doit voler en éclats (car c’est à la fois le souhait des compositions et de l’histoire) n’atteint jamais la grandeur espérée.

The Eddy n’est pas la série de Damien Chazelle comme on a pu le lire un peu partout. Le jeune prodige à qui l’on doit les sublimes Whiplash, La La Land et First Man n’a réalisé que les deux premiers épisodes de la série. Les suivants seront réalisés tour à tour par Houda Banyamina (réalisatrice de Divines), Laïla Marrakchi (Rock the Casbah) et Alan Poul (producteur et réalisateur de certains épisodes de Six Feet Under). Damien Chazelle participe néanmoins à la production de la série. Il a la lourde tâche d’ouvrir le bal. Et l’ouverture de The Eddy ne manque pas de nous rappeler à quel point Damien Chazelle est doué pour capter toute l’atmosphère d’un lieu et de figer le temps avec une délicatesse imparable. En l’espace d’un plan-séquence (décidément, il se complaît dans l’exercice), il pose tous les problèmes auxquels nous allons être confrontés. Il installe les personnages, il installe le lieu, il sublime la musique comme jamais. Pas de doute, nous sommes en terrain connu. Et pourtant, The Eddy va casser cet aspect routinier que l’on retrouve chez Chazelle. Si le premier épisode aborde fièrement le sceau de son réalisateur, le second va casser tous ses codes. Chazelle s’extirpe de sa zone de confort et emmène sa réalisation vers des astres qu’il n’avait pas encore côtoyé. Les épisodes suivants seront plutôt classiques dans leur réalisation, même si l’on dénotera de très belles idées disséminées à droite et à gauche. Les réalisateurs de The Eddy offrent un vrai cachet à la série, c’est un vrai régal de mise en scène.

On regrettera un casting mitigé. Adil Dehbi est une bonne révélation dans la peau de Sim. Il campe un adolescent banlieusard qui a des objectifs et tente de tout faire pour s’en sortir dans la vie, et il le fait avec brio. Si Tahar Rahim et Leila Bekhti inondent l’image par un charisme qui n’est plus à prouver, nous serons mitigés pour ce qui est de tout le reste des comédiens. André Holland, dans la posture d’un héros paumé, manque parfois de nuances. Sa fille, interprétée par la talentueuse Amandla Stenberg (Hunger Games, The Hate U Give) est un rayon de soleil gâché par une écriture faiblarde. Si son personnage n’était pas présent, l’histoire serait quasiment inchangée. On ne lui offre jamais rien d’intéressant à faire si ce n’est créer la pagaille partout où elle passe (et notamment ses incursions au milieu de la cité qui valent de gros ennuis au personnage de Sim). La troupe du club n’est jamais aussi douée que lorsqu’elle joue. Pour ce qui est des moments de pure comédie, il y a à boire et à manger. Et tantôt nous les trouverons crédibles, tantôt il décevront la scène suivante. La faute, probablement, au mélange des langues. Chacun des dialogues passent sans cesse du français à l’anglais (parfois même à l’arabe, au russe ou encore au croate). Le tout est bercé dans une monotonie morne à souhait. Si le jazz est là pour célébrer la pluralité des nations et les fédérer au cœur de la série, les dialogues sont nettement moins enjoués. L’envie de créer une ville de Paris cosmopolite était belle en soit, dommage que l’exécution s’en retrouve bancale. On appréciera toutefois les participations de Benjamin Biolay, Tchéky Karyo et Alexis Manenti qui viennent consolider la structure fragile du projet.

The Eddy s’offre une première saison en demi-teinte. La série possède un potentiel fort, une musique envoûtante et des personnages qui peuvent être très intéressants à suivre. Il faudra, néanmoins, resserrer l’écriture lors de la prochaine saison. Les deux derniers épisodes réussissent à consolider « lancinant » et « contemplatif » avec « efficacité ». Il faut poursuivre dans cette voie !

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