VS : Des mots qui exorcisent des maux

Faire un premier long-métrage est souvent un travail de longue haleine. Parfois, la chance sourit et on se retrouve avec des petits miracles et des entrées en grandes pompes. D’autres fois, il faut emprunter la petite porte de derrière et prier pour avoir la chance d’exister un minimum. Cela ne veut pas forcément dire que le film sera dénué de qualités, c’est bien souvent le contraire qui se produit d’ailleurs. C’est le chemin que semble prendre VS. par chez nous. Premier film réalisé par le britannique Ed Lilly en 2018, il lui aura fallut beaucoup de patience (et probablement le succès de Sex Education sur Netflix puisque son héros est interprété par celui qui y joue Adam, Connor Swindells) pour pointer le bout de son nez sur nos plates-formes VOD. Une chance quand l’on sait que des milliers de films ne verront jamais le jour dans nos circuits. S’il est disponible désormais, c’est qu’il compte surfer sur la popularité de Sex Education, car il traite d’un milieu quasiment inexistant dans notre culture, celui des rap battles.
Naturellement doué pour les mots, Adam, un adolescent baladé de famille d’accueil en famille d’accueil, révèle tout son talent dans le milieu du rap battle. Mais quand il décide de renouer contact avec sa mère, il va se retrouver confronté au pire de tous les adversaires : son passé.

Si 8 Mile avait montré prodigieusement la voie en 2002, imposant définitivement Eminem comme l’un des meilleurs rappeurs de sa génération, le genre s’était aussitôt évaporé. C’était comme si personne n’aurait pu avoir le cran de rivaliser avec le talent d’Eminem. On ne parle pas des biopics musicaux classiques sur des stars du rap comme il y en a eu à la pelle où chacun voulait inscrire son nom à l’édifice. Baladés entre des projets ridicules (vous vous souvenez de Réussir ou Mourir ? Ce film où 50 Cent tente de nous faire croire à son passé gangsta !) et d’autres trop lissés pour qu’on approuve totalement (Straight Outta Compton où, certes, la musique de NWA fait toujours son effet, mais où Dr. Dre et Ice Cube, respectivement producteurs du film, gomment grossièrement leur passé pas très catholique). Seulement, le milieu fascinant des rap battles, l’art de manier les mots avec aisance et cette notion de rythme et de punchline, était complètement laissé aux oubliettes. C’est un milieu trop connoté, bien ancré dans la culture urbaine américaine et anglo-saxonne, qu’il ne fera pas vendre chez nous, car ne s’adressant qu’à une certaine niche. Pourtant, on se souvient de Bodied, ce film fabuleux de Joseph Kahn qui nous avait fait rire et bondir dans tous les sens. Premier film acheté pour la plate-forme YouTube Premium (qu’on a vite oublié depuis), il reste encore introuvable chez nous, et n’a pas bénéficié d’une vraie sortie officielle, même en VOD. Espérons que VS. saura trouver grâce aux yeux des spectateurs et permettra de combler la route ouverte il y a près de 20 ans par 8 Mile.

VS. est le genre de film où l’argot et quelques notions anglophones seront utiles pour bien comprendre la subtilité des vannes. Si les traducteurs essaient tant bien que mal de fournir des sous-titres au plus proche de la vérité, pas sûr que les protagonistes du film citent réellement Jul ou Jean-Jacques Goldman comme nous le suggère la version sortie par chez nous. Dur travail que celui de traduire des punchlines ancrées dans un moment et un contexte bien particulier. Surtout que le premier film d’Ed Lilly ne déroge pas aux règles des rap battles. Bien qu’ayant des élocutions un peu plus lente que la normal, surfant parfois avec le slam, les protagonistes du film jouent avec des changements de tempos constants. L’exercice risque fort de ne parler qu’aux amateurs, mais VS. possède également une histoire qui dessert parfaitement ses héros.
Ed Lilly a coécrit son film avec Daniel Hayes. Les deux amis offrent du corps à leurs personnages. Nous sommes projetés au beau milieu de leur vie. Si ce n’est Adam, on ne sait pas à qui nous avons affaire, d’où viennent les héros, quel est leur passé… Tout ce qui importe, c’est leur manière de faire sonner les mots et de s’approprier la vie de leurs adversaires afin d’épater la foule. C’est un jeu de dupes, une confrontation qui passe par le regard et les informations prisent ci et là au gré des discussions. Car, si le ring les rend impitoyables, les protagonistes du film ne sont pas moins que des amis. Le film nous immisce au cœur d’une famille habité par et pour l’amour du rap. Sans fioritures ni accentuations grotesques, VS. ne fait jamais de ses personnages des truands glorifiant la vie de gangster comme prétexte légitimant leurs actes. Ce sont de jeunes gens qui connaissent une vie difficile et qui ont du mal à joindre les deux bouts, certes. Mais ce qui rend le film impactant, c’est qu’il ne diabolise pas le milieu. Il montre que n’importe qui peut y être amené pour peu qu’il soit passionné par la beauté et la musicalité des mots. Le film aborde l’abandon comme ligne de front et les thématiques qui en découlent donneront une profondeur très appréciable aux duels. On regrettera toutefois une confrontation finale attendue et beaucoup trop édulcorée. Un happy-end presque forcé où le duel ressemble trait pour trait à l’affrontement B. Rabbit contre Papa Doc à la fin de 8 Mile (battle mythique que VS. cite explicitement tant son impact résonne encore, même 18 ans après).

On ne va pas se cacher, VS. est un film un poil élitiste qui risque de ne plaire qu’aux amateurs de rap. Seulement, c’est un milieu qui englobe une grosse niche de la culture urbaine qu’on aimerait voir plus souvent sur nos écrans. Pour peu qu’on soit amateur de rimes et de musicalité des mots, pas besoin d’apprécier le rap pour y voir la beauté de l’exercice. VS. n’est, certes, pas le meilleur film du genre, mais s’il peut ouvrir la voie à d’autres projets de cette envergure, on ne peut que vous encourager à aller le voir.

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