Green Boys : Rencontre avec la réalisatrice Ariane Doublet

En cette période de confinement, on a besoin de s’aérer l’esprit et certains d’entre nous confinés en ville se languissent de verdure. Green Boys est donc un film qui a tout pour plaire, pétri d’une belle humanité qui raconte l’histoire d’une amitié entre Alhassane, 17 ans qui a quitté sa Guinée natale pour la France et Louka, 13 ans. Ensemble, au cœur de la Normandie, les deux amis décident de construire une cabane. Ce cadre idyllique, rare pour un film au sujet social fort (l’immigration et ses innombrables difficultés) est la force de Green Boys qui raconte énormément de choses sans pour autant verser dans la facilité. Au contraire, la réalisatrice Ariane Doublet aborde son film avec une tranquillité et une bienveillance qui permettent de bien mettre en valeur la force de volonté d’Alhassane et son amitié avec Louka. La sortie du film, disponible en VOD depuis le 6 mai, nous a donné envie d’en savoir plus sur sa genèse et c’est avec une infinie gentillesse qu’Ariane Doublet a bien voulu répondre à nos questions par téléphone, confinement oblige :

Pouvez-vous nous raconter la genèse du film ?

J’accueille des gens chez moi depuis le démantèlement de la jungle de Calais. Et puis à force d’accueillir des personnes, j’ai rencontré d’autres accueillants et pris conscience aussi de l’arrivée de plus en plus fréquente de jeunes garçons qui dormaient dans la gare du Havre. Depuis 3 ans environ, on a donc créé une association qui s’appelle Des lits solidaires et cela nous a permis d’accueillir en tout près de 80 jeunes. Maintenant on est une quarantaine dans l’association et le but est d’accueillir ces jeunes gens pour faire reconnaître leur minorité à l’état, car ils ne sont pas expulsables quand ils sont mineurs et cela leur permet d’être logés dans un hôtel où ils sont cependant livrés à eux-mêmes. C’est important que leur minorité soit reconnue. Une fois qu’ils seront majeurs, cela peut leur permettre d’obtenir un titre de séjour. Alhassane est un des premiers jeunes accueillis à travers l’association, je l’ai logé chez moi. Il se sentait seul et cherchait quelqu’un pour jouer au foot avec lui, c’est ainsi qu’il a rencontré Louka qui s’est présenté à lui et qui venait le voir tous les jours. C’est vraiment de la rencontre entre ces deux-là qu’est né le film, je voulais observer cette relation à distance.

Comment avez-vous convaincu Alhassane et Louka de faire le film ? Comment avez-vous fait en sorte qu’ils acceptent la caméra ?

Je regarde toujours des films avec les jeunes que j’accueille. Alhassane savait que c’était mon métier et il était très partant et enthousiaste à l’idée de faire le film. C’est Louka qui a été le plus difficile à convaincre, je crois qu’il voulait garder sa relation privilégiée avec Alhassane. Le film s’est fait entre nous trois de toute façon, si l’un d’entre eux n’était pas d’accord sur une chose, on ne la faisait pas. Il a fallu aussi trouver une sorte de fil rouge au film car la relation entre eux tournait autour du foot, mais il me fallait autre chose à la caméra. C’est Alhassane qui a proposé de construire la cabane, je crois que c’était quelque chose qu’il portait depuis longtemps, il avait très clairement le plan en tête. On a juste choisi l’emplacement ensemble pour des questions cinématographiques. Il y avait donc cette idée de la cabane et le fait que Louka ne connaisse pas l’histoire d’Alhassane. Alhassane ne lui avait rien raconté de ses difficultés par pudeur, il ne voulait pas le heurter. Tout ce qu’Alhassane lui raconte dans le film est donc spontané, Louka n’en savait rien. Même chose pour la scène où l’on voit Alhassane prier, jusqu’à présent il s’éloignait toujours pour faire sa prière. Ce jour-là il a accepté que je le filme, mais Louka n’était pas au courant, il découvre totalement le rituel et il a cette première réaction touchante de vouloir couper la caméra, pour protéger Alhassane avant que celui-ci ne lui explique qu’il était d’accord. Quand je fais mes films, je ne veux pas faire oublier la caméra de toute façon, on fait le film ensemble. Je prévois certaines situations, certaines rencontres et inévitablement le réel prend le dessus. Et chose très rare dans ma carrière, je leur ai montré à tous les deux le montage fini, si quelque chose ne leur convenait pas, j’étais prête à l’enlever, c’était le deal dès le début.

La plus grande réussite du film est qu’il ne fait jamais oublier son message social fort, mais qu’au lieu des documentaires habituels sur le sujet où l’on serait tout de suite plongé dans un enfer administratif grisâtre, on se retrouve ici dans un cadre idyllique, c’était votre volonté dès le début de trancher avec ça ?

Oui tout à fait et vous me rassurez beaucoup en disant ça d’ailleurs ! Je trouve ça terrible que dans le fond, les migrants sont toujours rattachés aux drames. C’est bien entendu dramatique ce qui leur arrive, mais j’avais envie de montrer autre chose. Quand on récupère les jeunes, ils sont épuisés, ils dorment littéralement pendant des jours. C’est une période de repos que je trouve fascinante. C’est un moment où j’ai vu Alhassane se reconstruire, tisser des liens très forts avec Louka, il retrouve sa part d’enfance, je tenais vraiment à montrer ça. Je pense que si Alhassane a accepté de faire le film, c’est d’ailleurs parce qu’il se sentait aussi bien, c’est vraiment une période charnière pour lui. Mais c’est aussi pour ça que la voix-off ponctue le film, pour ne pas occulter le drame malgré tout.

Justement la voix-off, comment avez-vous travaillé dessus ? Comment a-t-elle été écrite ?

Dès le début, je savais que je voulais une voix-off car je me suis refusé à filmer Alhassane raconter son périple et ses difficultés. C’est quelque chose qu’il m’avait déjà raconté, c’était important pour lui de le faire dans le film. Un matin on s’est installés avec un petit enregistreur et il m’a raconté son histoire à nouveau. Ce sont ses mots que j’ai gardé et que je lui ai demandé de traduire du français au malinké, sa langue maternelle (qu’il appelle sa langue de lait) pour avoir le plus d’authenticité possible. Et les plans que l’on voit dans le film où l’on entend la voix-off sont des plans qui ont été filmés à ce simple but, pour accompagner la voix-off, elle a été construite très rapidement.

Une question que l’on doit vous poser souvent : pourquoi ce titre ?

C’est effectivement une question très récurrente ! J’y vois plein de sens, mais j’avoue ne pas y avoir pensé plus que ça avant de me rendre compte que cela soulevait beaucoup de questionnements ! C’est lié à la chanson Nature Boy que l’on peut entendre dans le film évidemment – et dont j’ai appris qu’on l’entendait dans le film Le garçon aux cheveux verts de Losey ! À l’origine, il y a une équipe de foot turque qui s’appelle Green Boys et Alhassane et Louka jouaient souvent au foot habillés en vert, je les appelais les Green Boys. Il y a aussi l’importance de la nature dans le film, presque un côté animiste et élémentaire. Mais je crois que la meilleure signification du titre se trouve dans ce qu’il veut dire en anglais. Des green boys, ce sont des garçons qui ne sont pas encore adultes. Pour moi c’est ce qui illustre le film au mieux.

La fin du film tranche radicalement avec le cadre champêtre vu précédemment, c’était important pour vous de montrer Alhassane trouver un apprentissage et travailler ?

C’était essentiel. La rupture est très forte car il se retrouve en ville et à nouveau seul. Aujourd’hui, il a 19 ans et demi, il travaille en mécanique et c’est vraiment devenu un homme, vous ne le reconnaîtriez pas. C’était une fin à laquelle je tenais absolument pour renforcer le moment de reconstruction qu’il a vécu avec Louka. C’est une fin heureuse en plus, mélancolique car il se retrouve seul, mais c’est une victoire juridique, il a quelque chose à construire, il a trouvé son apprentissage. C’est une fin qu’Alhassane est fier de présenter quand on montre le film car ça donne de l’espoir à d’autres jeunes gens comme lui. Il le dit dans le film, il a réalisé son rêve : il s’est intégré, va travailler, retourne à l’hôtel dormir et retourne travailler le lendemain.

Que devient-il aujourd’hui ? Il est toujours en contact avec Louka ?

Oui ils sont toujours en contact, ils s’enlacent dès qu’ils se retrouvent, ils ont vraiment une belle relation. Je pense qu’ils se sont enrichis l’un de l’autre, ils sont dans un idéal d’amitié, les deux se sont beaucoup apportés. Quant à Alhassane, il a obtenu son titre de séjour et il s’est lié avec le gérant de l’hôtel où il logeait, celui-ci ne l’a pas expulsé quand Alhassane a eu 18 ans. Durant ce confinement, Alhassane s’est même retrouvé seul à l’hôtel, le gérant est parti se confiner avec sa famille et lui a fait entièrement confiance. Alhassane y a accueilli un autre migrant, cela comble un peu sa solitude. C’est devenu un homme comme je le disais, avec une sacrée détermination, il a pu retourner en Guinée voir sa mère qu’il n’avait pas vu depuis 4 ans, celle-ci a eu du mal à le reconnaître, elle n’y croyait pas. Là-bas, Alhassane n’avait qu’une hâte, c’était de rentrer en France ! Il a une capacité d’adaptation énorme, c’est peut-être lié à la jeunesse. Maintenant, les jeunes quittent de plus en plus tôt leur pays pour arriver en France et être sûrs de ne pas se faire expulser tant qu’ils sont mineurs, on en voit arriver qui ont 15 ou 16 ans.

Que pensez-vous de la sortie VOD du film ? Vous regrettez qu’il ne sorte pas en salles ?

Je regrette surtout les rencontres avec le public, on avait prévu de nombreuses séances à travers la France et c’est toujours enrichissant. Après je pense que le film a sa place en VOD et qu’il peut faire du bien aux gens en cette période difficile. On ne table pas sur une réouverture des salles de cinéma avant juillet si tout va bien donc on fait avec. Mais dès la réouverture des salles, le film sera retiré des plate-formes VOD et les exploitants qui souhaitent le projeter pourront le faire.

Propos recueillis par téléphone le 2 mai 2020. Un grand merci à Mathilde Cellier pour la possibilité de cet entretien et à Ariane Doublet pour sa disponibilité.

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