Le Photographe : Photographie d’un amour retenu

Nous avions fait la rencontre de Ritesh Batra avec sa recette miracle qu’est The Lunchbox. Une histoire romantique sous couvert d’erreur dans la livraison du déjeuner préparé par une femme mariée à un homme vieillissant. Un amour impossible, autour des mets délicats et des saveurs enivrantes, va alors se forger. Une histoire tendre nous ayant ravagées lors de sa présentation à la presse en 2013. Depuis, on suit Ritesh Batra avec attention. Un drame britannique avec Jim Broadbent qui incarne un vieil homme divorcé et retraité hanté par son passé tumultueux, jalonné d’histoires d’amour chaotiques et d’amitiés brisées dans À l’heure des Souvenirs. Puis le réalisateur indien s’envole pour Hollywood orchestrant un nouveau drame romantique pour les besoins de Netflix avec Robert Redford et Jane Fonda, se retrouvant au cinéma 50 ans après Pieds Nus dans le Parc de Gene Saks, pour Nos Âmes la Nuit en 2017.
Deux ans plus tard, voici Ritesh Batra de retour en Inde pour son nouveau film, Le Photographe. Le photographe en question est Rafi, qui fait la rencontre d’une muse improbable, Miloni, jeune femme issue de la classe moyenne de Bombay. Quand la grand-mère du garçon débarque, en pressant son petit-fils de se marier, Miloni accepte de se faire passer pour la petite amie de Rafi. Peu à peu, ce qui n’était jusque-là qu’un jeu se confond avec la réalité…

À Hollywood, Le Photographe aurait été un grand film romantique au cœur d’une ville sous inspiration des monuments et d’une musique langoureuse. On pense évidemment à Nora Ephron et son couple vedette Tom Hanks et Meg Ryan. Mais Le Photographe prend le parti d’être dans l’entre-deux, dans la partie crispante d’un amour naissant ne se révélant jamais vraiment. Tout d’abord la gêne du mensonge envers la grand-mère, le faux-couple faisant preuve de retenue, comme un rôle pour mieux l’embobiner. Ce qui fonctionne en réalité que peu, car finalement Dadi (la grand-mère) n’est pas dupe. Rafi est sous le charme de Miloni et vice-versa. Mais les coutumes indiennes imposent un mariage arrangé entre bonnes familles avec dots, etc. Miloni est promise par des parents cherchant le bon parti. Tout se déroule en parallèle tels les drames communs du cinéma indien. Les thèmes chers à William Shakespeare n’ont toujours pas fini d’investir les grandes histoires d’amour contrariées. Non pas que celle du Photographe ne soit une «grande» histoire, mais elle recèle une énième fois les sempiternels passages obligés.
Ritesh Batra fait alors preuve de malice. Il ne cadre jamais les rapports convenus entre un homme et une femme en plein amour de cinéma, mais il se concentre sur la retenue des deux personnages quitte parfois à nous les rendre irritants. Heureusement, il peut s’appuyer sur Farrukh Jaffar qui incarne avec gouaille la grand-mère de Rafi. Elle emporte le film en étant une figure tendre et colorée dynamitant un deuxième acte tournant en rond où le couple n’en finit plus de se regarder sans se parler. En termes de retenue, Sanya Malhotra est un comble de timidité passant son temps à l’écran à s’effacer. On la perd pour ne jamais s’y attacher. Seul Nawazuddin Siddiqui s’impose en homme dévoué à sa grand-mère essayant de trouver son chemin dans ses rues bondées de Bombay. Il est amoureux essayant en permanence de rassurer sa grand-mère et Miloni sur ses bonnes intentions. L’homme est tendre, loin des autres hommes proches de la jeune femme. On assiste à un amour naissant se nichant loin des poncifs du genre. Le Photographe fait preuve de pudeur, d’une humilité tuant toute magie de cinéma, mais faisant de ce long-métrage une proposition différente dans son élaboration des sentiments humains.

Ritesh Batra bafoue les codes romantiques du cinéma pour une proposition radicale et forte se révélant par le biais des tout derniers mots de Rafi dans le film : «De nos jours au cinéma, les histoires sont toutes les mêmes, les mêmes.» Après tant de romantismes et de drames, Ritesh Batra a souhaité prendre le contre-pied du classicisme de son histoire pour mieux nous conter la retenue d’un amour impossible et contrarié dès le départ. Les deux personnages sortent alors ensemble de leur séance de cinéma pour un avenir inconnu, une fin ouverte entre espoir et réalité.

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