Donnybrook : Pauvre Humanité !

Longtemps envisagé dans les salles françaises, sans doute trop compliqué à imposer aux exploitants, le quatrième long-métrage de Tim Sutton (ses trois premiers sont restés inédits) arrive enfin par chez nous, par la petite porte de la VOD ! Dommage, serait-on tenté dans un premier temps d’affirmer, pour finalement accepter l’idée que ce type de cinéma rude et hors des clous a peut-être désormais plus sa place sur nos télévisions ou ordinateurs que dans les multiplexes. Prenant d’emblée un parti pris de noirceur sans la moindre petite lueur d’espoir, il faut dire que le film ne tend pas particulièrement les bras au spectateur pour se faire facilement aimer.

Ancien marine vivant dans des conditions précaires avec sa femme et ses deux enfants, Jarhead Earl est prêt à tout pour sortir sa femme de sa dépendance et pour offrir à sa famille une vie meilleure loin de toute cette misère sociale. Pour cela, il a l’intention de participer au Donnybrook, tournoi de combats clandestins d’une violence extrême, dont le gagnant remporte 100.000 dollars. Pour pouvoir y accéder, il a besoin d’une petite base, ce qui le conduit à commettre des délits. Partant sur la route avec son fils, il va croiser sur son chemin le trafiquant d’amphétamines à qui sa femme doit de l’argent, psychopathe ultra violent ne laissant que le chaos partout où il passe. Celui-ci est accompagné de sa sœur qui a de plus en plus de mal à supporter sa bestialité et qui tentera le tout pour le tout pour s’en débarrasser …

En dire plus serait criminel, tout au plus pourrons-nous décrire le climat dans lequel le film se déroule pour tenter d’en capter ce qui en fait l’essence. A savoir la description sordide et sans compromis d’une misère sociale proprement désespérante, une plongée dans l’Amérique des laissés-pour-compte, ne semblant offrir comme alternative que la délinquance, voire pire. Cette Amérique des oubliés, déjà tant explorée par des cinéastes aussi divers et variés que Scott Cooper pour son sublime Les brasiers de la colère, Taylor Sheridan, voire même Jeremy Saulnier (auquel on pense pour la tonalité), mais qui offre des possibilités quasi infinies de développements dramaturgiques, tant elle s’avère malgré tout cinégénique. Le souci principal ici étant que l’on a un peu trop en tête certaines de ces glorieuses références, qui finissent par s’avérer quelque peu envahissantes.

On sent malgré tout que le metteur en scène a quelque chose à raconter, et qu’il a en quelque sorte posé ses tripes sur la table, en s’attachant à filmer sans fioritures et sans épargner le moindre aspect de la violence de son script à son petit monde, et particulièrement ce personnage de père de famille interprété par Jamie Bell, semblant receler en lui une violence explosive qui éclate lorsqu’il en vient à combattre. Intense et charismatique en diable, ce dernier constitue réellement le cœur battant du film, car c’est par lui que doit passer l’identification du spectateur. Si l’on ne parvenait pas à compatir pour les sentiments l’animant, le film serait mort-né. Fort heureusement, il n’en est rien, et il faut dire que l’antagoniste mis sur sa route  est si terrifiant que malgré tout ce que l’on pourrait reprocher, le plus dur semblait tout de même acquis.

Figure à peu près absolue du Mal à l’état pur, avançant presque tel un boogeyman, semblant incapable de ressentir la moindre émotion humaine, le méchant incarné par Frank Grillo fait peur. Très peur. Car on sait dès le départ de quoi il sera capable, on vit ce chemin de croix de tous les protagonistes la peur au ventre, comme si nous-mêmes allions y passer d’un moment à l’autre. Autant dire que ça ne rigole pas des masses devant ce « spectacle » dont le niveau de violence atteint un niveau tel que l’on en viendrait presque à demander grâce. Sordide, bestial, le film peut révulser par la peinture abominable qu’il fait d’une certaine humanité (ou plutôt d’uune absence d’humanité), lorsque le malheur semble être le seul horizon, et que la méchanceté humaine vient se greffer par-dessus tout ça. Le problème étant que l’on finit par douter de l’utilité de filmer aussi crûment la violence, certaines scènes semblant appuyer inutilement sur le champignon de l’horreur. A force de surenchère, le premier réflexe sera peut-être de faire barrage entre l’écran et soi, comme pour se protéger de toutes ces ondes négatives.

A cette description éprouvante de la violence s’ajoute un rythme un peu trop languissant, étirant certains plans gratuitement, comme si le cinéaste se regardait filmer, choisissant ce type de mise en scène comme pour retarder au maximum le tournoi tant attendu. On a donc la sensation parfois un peu agaçante de se retrouver devant l’un de ces films typés Sundance, à la forme léchée mais un peu chichiteuse, avec nappe musicale interchangeable, même si ici plutôt électrisante par instants, ainsi qu’une tartine de dialogues sentencieux sur notre monde qui marche sur la tête (pour ne pas être grossier). Néanmoins, on ne sera pas trop virulents concernant le résultat, car au-delà de ces scories certes dommageables, restent les performances incandescentes de tout le casting (on peut mentionner à ce titre la sublime Margaret Qualley, émouvante dans le rôle de la sœur du psychopathe), et des éclats agissant de manière fulgurante, notamment lorsque les coups se mettent à pleuvoir, et autant dire qu’en la matière, le film cogne dur et laisse sur le carreau.

On comprendra donc aisément que le film ait eu du mal à se frayer un chemin dans nos salles, même si l’on pourra toujours regretter ce manque de prises de risque de la part des exploitants. Le principal étant que celui-ci est aujourd’hui bien visible, en pleine période de confinement, et que si vous n’avez pas trop le cafard, vous pouvez tout de même vous y risquer, en acceptant sa vision nihiliste de notre monde qui part définitivement en cacahouète.

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