Souvenirs d’en France : Les manières d’André

A l’occasion de la ressortie le 11 mars 2020 aux éditions Carlotta (en format DVD et/ou Blu-Ray dans une restauration 4K supervisée par André Téchiné et son chef opérateur Bruno Nuytten) de Souvenir d’en France, son deuxième – et pratiquement invisible jusqu’alors – long métrage de cinéma, nous en profitons pour revenir le temps d’un article sur le cinéma d’André Téchiné : un Art résolument inscrit dans l’inconscient collectif d’un certain cinéma d’auteur « à la française », jouant sur la mythologie des acteurs et des actrices qu’il parvient plus ou moins bien à sublimer au gré des métrages… Qu’il s’agisse de Gérard Depardieu et de Isabelle Adjani dans Barocco, de Patrick Dewaere et de Catherine Deneuve dans Hôtel des Amériques ou, plus récemment, d’Émilie Dequenne et de Nicolas Duvauchelle dans La fille du RER, le réalisateur est souvent parvenu à solidement caractériser ses comédiens et/ou ses personnages, les ancrant avec limpidité dans l’environnement social et sociétal auquel ils semblent – à priori – appartenir … Ainsi le Samson/ Depardieu de Barocco porte avec évidence l’ADN social du voyou prolo de Châteauroux, boxeur corpulent fréquentant les marges du système ; de la même façon l’héroïne veuve du somptueux Hôtel des Amériques incarnée par Catherine Deneuve cultive en permanence l’image manucurée d’une bourgeoisie chic et glamour, en parfaite adéquation avec le symbole féminin français par excellence auquel on se réfère lorsqu’on pense à l’actrice : l’égérie Marianne ; par ailleurs le personnage de jeune femme en quête d’un travail joué par Emilie Dequenne dans La fille du RER évoque immanquablement la chômeuse du Rosetta des frères Dardenne, l’actrice portant sur la figure une détermination proche de l’entêtement, ce fameux regard droit qu’on les personnes s’acharnant courageusement à continuer de sur-vivre socialement…

Retour sur Souvenirs d’en France donc, sorti au beau milieu d’une décennie de cinéma post-Nouvelle Vague (les années 70) et qui semble, pour un spectateur de 2020, outrageusement suranné. Pour son deuxième long-métrage, André Téchiné semble aspirer à accoucher d’une sorte d’épopée historique qui jouerait en permanence de son ambiguïté temporelle. Sorti en 1975, le film est supposé tenir lieu dans la France provinciale des années 1930, potentiel morceau de cinéma voguant entre les époques comme un étudiant en Histoire de l’Art se promènerait parmi les galeries d’un musée…

Nous vous épargnerons rapidement le suspense en affirmant sans vergogne avoir peu apprécié cette saga familiale péniblement lisible dans sa narration et dans sa verve emphatique pétrie de lieux communs… En quelques mots l’intrigue de Souvenirs d’en France s’articule principalement autour de la figure de Berthe (Jeanne Moreau, autre mythe éternel du cinéma français alors à l’apogée de sa carrière…), modeste blanchisseuse débarquant dans la sphère d’une famille de la haute bourgeoisie ; s’ensuivront des séquences redondantes de chants révolutionnaires proférés par des ouvriers luttant pour leur liberté, des scènes de repas collet monté chez la belle-famille (Julien Guiomar, Hélène Surgère et Orane Demazis représentent les figures nanties sans trop de difficultés) et des moments de pure distanciation théâtrale censés mettre en évidence les oppositions de classe intrinsèques au contexte (Front Populaire de 36, fantômes du bolchevisme, développement de l’industrialisation, et blablabla…).

L’ensemble est très très lourd, entièrement grandiloquent et tout à fait artificiel de part et d’autre. André Téchiné – à l’image de cette jeune brodeuse interprétée avec afféteries par Marie-France Pisier – cherche régulièrement à habiller, maquiller, enjoliver son film avec vanité et vacuité ; un art de la délicatesse au coeur duquel tout sonne faux, délibérément certes, mais totalement plombant voire indigeste. Le récit éclaté, bouleversant la chronologie historique, n’est pas sans rappeler la narration anachronique du Voyage des Comédiens de Théo Angelopoulos sorti la même année ; hélas le film de Téchiné n’atteint jamais le quart de l’excellence du chef d’oeuvre du cinéaste grec, trop épars dans son agencement global et trop visible dans ses effets. Nous pourrons cependant apprécier le magnifique travail effectué par Bruno Nuytten sur ce film : ouatées, proches de la peinture à l’huile, les images de Souvenirs d’en France semblent pratiquement éclairées par une lampe à pétrole, conférant au métrage des allures de toile mystérieuse (le chef opérateur sublime Jeanne Moreau comme dans Les Valseuses de Bertrand Blier sorti un an auparavant, tout en installant l’esthétique surréelle, quasi-fantastique du futur Barocco…). Souvenirs d’en France est donc un film dispensable, verbeux et fâcheusement emprunté, néanmoins disponible dans la belle édition DVD/ Blu-Ray de Carlotta.

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