Vivarium : Rencontre avec le réalisateur Lorcan Finnegan

Présenté à la Semaine de la Critique l’année dernière à Cannes, Vivarium, réalisé par Lorcan Finnegan était également présenté en compétition au festival international du film fantastique de Gérardmer d’où il est malheureusement reparti bredouille. C’est d’autant plus dommage que Vivarium était la proposition de cinéma la plus singulière du festival, un film nous plongeant dans les cauchemars de la vie moderne standardisée avec beaucoup d’humour. D’où l’envie de rencontrer son réalisateur, Lorcan Finnegan et d’en savoir plus sur ses envies de cinéma et sa vision du monde.

Déjà dans votre court-métrage de 2012, Foxes, on trouve un jeune couple pris au piège d’un lotissement, ce genre de décor est quelque chose que l’on retrouve souvent en Irlande ?

Déjà dans mon premier court, Defaced, j’abordais cette question, très en réaction contre un matraquage publicitaire en Irlande qui incitait les gens à faire des emprunts pour enfin être propriétaires, le pays a fait ça pour relancer un peu son économie. On a donc eu une vague d’emprunts à un taux incroyable et d’un coup, il s’est construit des tas de lotissements et zones pavillonnaires au milieu de nulle part avec des maisons collées les unes aux autres qui se ressemblaient toutes. C’était très cher, tout le monde voulait y aller mais le krach de 2008 a un peu gâché le projet, ces maisons sont devenues inabordables et on s’est retrouvés avec des lotissements prévus pour 200 à 300 personnes qui n’étaient même pas finis, sans eau courante, sans électricité. Foxes s’est fait en réaction face à cette situation absurde et une fois que l’on a travaillé dessus, on a senti qu’il y avait encore moyen d’en tirer quelque chose, c’est ainsi que Vivarium est né. Dans une volonté de parler de tout ça de façon plus universelle, qui permette de dénoncer le consumérisme et le capitalisme de nos vies. Avec le côté ludique que la science-fiction permet.

C’est justement ce qui est amusant dans le film, c’est que vous prenez à priori le rêve d’une bonne partie de l’humanité : avoir une belle maison, un bel endroit où vivre et éduquer ses enfants et vous le transformez en un cauchemar…

L’intention première était évidemment de faire un film cauchemardesque, de montrer une certaine réalité, mais de l’amplifier de façon à ce qu’on puisse en voir toute la bizarrerie et l’absurdité. Tirer l’extraordinaire, aussi terrifiant soit-il, de l’ordinaire, c’est le fondement de Vivarium.

Vos films sont toujours très psychologiques, ancrés dans le genre mais jamais dans son versant gore, là où certains cinéastes aurait pu y être attirés, comment l’expliquez-vous ?

Je pense que c’est vraiment une question de goût. J’ai toujours préféré les films distillant l’angoisse et remuant notre psyché. Terrifier le public sur le coup en lui tapant sur l’épaule et en lui faisant  »bouh ! » ne m’intéresse pas, le public l’oublie très vite une fois le choc passé, moi je veux qu’il se souvienne de mon film, que celui-ci le hante encore bien longtemps après la projection.

Il y a cette année dans la sélection du festival un vrai goût pour les maisons, censées être l’endroit où l’on se sent le plus en sécurité qui finissent par devenir un vrai cauchemar, seriez-vous capable de nous dire pourquoi ?

Je ne sais pas vraiment. J’ai repéré des similitudes avec The Room effectivement, les deux films sont totalement différents et se reposent pourtant sur énormément d’éléments en commun. Je sais en tout cas que les résidences pavillonnaires de banlieue sont peut-être les endroits où sont commis le plus d’atrocités en toute impunité. Je pense à Fred et Rose West notamment, deux tueurs en série qui habitaient en banlieue et qui ont commis les pires crimes pendant des années sans que personne ne se rende compte de rien. Je pense que rendre toutes ces maisons similaires ne fait que renforcer la bizarrerie des gens, ça isole plus qu’autre chose. C’est une matière travaillée par le cinéma depuis des années, par David Lynch notamment.

Dans tous vos films, la nature joue un rôle important, y compris dans Vivarium où elle est majoritairement absente mais vous faites dès le début une analogie avec le coucou qui pique le nid des autres oiseaux. La part animale de l’être humain est quelque chose qui vous intéresse ?

Oui bien sûr, Foxes parle énormément de ça, de cette revanche de la nature sur l’être humain. Dans Vivarium c’est l’inverse, la nature est effectivement totalement absente mais ça permet de pousser les choses à un autre niveau : tout est synthétique, tout le nécessaire arrive dans des boîtes, c’est vraiment la logique actuelle de notre monde qui consomme, consomme, consomme sans trop se poser de questions. Avant Vivarium, j’ai aussi réalisé Without Name qui a vraiment mis du temps à se financer et c’est un film qui parle beaucoup de la nature, des forces qu’il y a en elle.

L’Irlande est un pays où la nature a son importance, cela vous plairait-il d’explorer plus en profondeur les mythes irlandais liés à ça ?

Foxes et Without Name sont totalement liés à ces mythes en un sens. Without Name est en tout cas très lié au folklore irlandais. Je vous conseille vraiment de le voir, je pense qu’il se complète très bien avec Vivarium.

Imogen Poots et Jesse Eisenberg sont également producteurs exécutifs du film, dans quel mesure se sont-ils impliqués dans le projet ?

Ils ont apporté leur notes sur le scénario. Leur présence au casting était une façon pour la production d’avoir plus d’investisseurs, capables de miser sur ce film au pitch étrange. Puisqu’ils ont aidé à financer le film par leur présence, c’est tout à fait normal qu’ils soient crédités en tant que producteurs. Mais ils n’ont pas apporté beaucoup de modifications au scénario, ils ont rajouté leurs personnalités aux personnages après, c’est ce qui fait toute la différence.

Le jeune Senan Jennings est particulièrement angoissant dans le film, comment l’avez-vous trouvé et comment avez-vous travaillé le rôle avec lui ?

Il a été très dur à trouver. Il fallait vraiment un jeune garçon au physique parfait, au visage de chérubin qui était également capable de faire preuve de calme dans les scènes qu’il avait à tourner et qui était assez doué en imitation. Ce n’est pas si évident que ça quand on cherche des garçons de 7 ans. Senan, qui avait déjà joué dans des téléfilms et des publicités, nous a envoyé un bout d’essai filmé qui était tout à fait étonnant. Il avait lu tout le scénario, compris le personnage et dès le début il s’est montré à l’écoute de mes directives, il a fait un travail incroyable, très professionnel. Sa mère m’a confié que des semaines avant le tournage, il s’entraînait déjà à imiter des gens qu’il croisait dans la rue ! (rires)

Comment avez-vous créé sa voix ? Elle est tout à fait particulière…

Ce n’était pas compliqué. Il jouait les scènes normalement sur le tournage et c’est au montage qu’on a tout changé, on a mélangé sa voix avec celle de Jonathan Aris, qui joue l’agent immobilier au début. Quand le gamin grandit et que Eanna Hardwicke le joue, on a mélangé sa voix avec celle de Senan et de Jonathan pour obtenir ce résultat tout à fait inquiétant.

Visuellement, on sent dans le film une influence picturale très forte, notamment celle de Magritte, je suppose que c’était voulu ?

Oui, absolument. Les tableaux de Magritte ont un côté irréel qui correspondait parfaitement à ce que je recherchais. Il fallait bien que l’on sente tout de suite l’aspect surréaliste de l’histoire, que ce décor ressemble plus à un livre d’images qu’à une véritable maison tout en étant néanmoins concret. Magritte réunit tout ça dans ses tableaux.

Pour revenir sur la notion de cauchemar du film et sur vos courts-métrages, on a l’impression que pour vous les fins heureuses sont hors de question…

Oui, totalement ! Plusieurs personnes m’ont demandé de considérer une fin plus ouverte, moins pessimiste. Mais le cycle que le film illustre n’a aucun sens s’il s’arrête, il fallait vraiment que je reste sur cette fin pessimiste mais inévitable. C’est à l’image de notre monde en fait, on tourne en rond : l’économie, la guerre, la vie… Tout le monde se plaint des guerres et des violences dans le monde mais ça fait plus de 2000 ans qu’on recommence sans cesse les mêmes choses, ce qui arrive aujourd’hui est déjà arrivé, c’est un cycle.

D’où l’importance de l’humour dans le film, pour faire passer la pilule de cette noirceur assumée ?

Oui bien sûr. La vie est une farce cruelle ! Et l’humour partage une chose en commun avec l’horreur, ce sont deux réactions inexplicables face à un événement. Vous ne vous dites jamais face à quelque que vous voyez  »tiens c’est drôle je vais rire. » Vous riez tout simplement. La peur est pareille, c’est une réaction incontrôlable. J’aime beaucoup cette zone où les choses sont à la fois drôles et flippantes. L’humour permet aussi au public de se détendre un peu et de mieux rentrer dans l’univers du film.

Pour vous, la vie se résume donc à la phrase laissée sur le carton reçu par le couple du film : élevez l’enfant et vous serez libérés ?

Mais c’est un peu ça, non ? (rires) Sur le plan biologique en tout cas ! Après attention, Vivarium reste un film, ce n’est pas une philosophie de vie. Mais sur cette planète, c’est quasiment tout notre programme : procréer et mourir.

Vous avez tout de même des projets pour la suite à part procréer et mourir ?

Oui, on a récemment bouclé un scénario sur lequel on travaillait depuis trois ans avec mes collaborateurs et maintenant nous allons chercher des financements. Ça s’appelle Nocebo, l’inverse de placebo et ça s’attaquera à l’idée de la mode, de ces vêtements qui s’arrachent un jour pour être rejetés le lendemain, sur l’exploitation des grands créateurs des travailleurs de l’Asie. Avec une dimension surnaturelle évidemment, une espèce de variation libre sur le mythe de David et Goliath et une métaphore sur l’état économique du monde. Un sacré programme mais je suis très content du scénario, j’espère pouvoir le tourner bientôt !

Propos recueillis durant le festival de Gérardmer le 2 février 2020. Un grand merci à Zvi David Fajol pour la possibilité de cet entretien.

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