L’État Sauvage : Un western français !

Face à la perspective d’un projet comme celui-là, il est difficile de faire la fine bouche. Un western européen, en 2020, plaçant son intrigue durant la guerre de Sécession, cela a de quoi mettre l’eau à la bouche. Le cinéaste à la barre, David Perrault, avait auparavant réalisé un film remarqué à la Semaine de la Critique à Cannes, en 2013, Nos héros sont morts ce soir, apprécié mais passé inaperçu lors de sa sortie en salles. Ce qui était bien dommage au vu de la proposition qui était faite, un hommage à toute une imagerie populaire des 60’s, où des catcheurs masqués en mode « Santo », palabraient dans des bistrots comme dans un bon vieux film avec Jean Gabin. Une vraie envie de cinéma à l’ancienne, avec de la personnalité, qui laissait espérer qu’un cinéaste intéressant et hors des clous était né. Malheureusement, il aura fallu attendre presque sept ans avant de pouvoir avoir à nouveau de ses nouvelles, via cet état sauvage qui sentait bon sur le papier …

Etats-Unis, 1861, la guerre de Sécession fait rage. Une famille de colons français décide de fuir le Missouri, le père de famille s’inquiétant de plus en plus du sort de ses trois filles. Devant traverser tout le pays pour rejoindre un bateau qui les ramènera en France, ce dernier fait appel à un ancien mercenaire, Victor, pour veiller à ce que tout se passe au mieux face aux dangers que cette traversée implique…

Un point de départ dont la simplicité est à priori sa plus grande force, puisque promettant un récit concis filant droit vers sa destination. Dans un premier temps, le metteur en scène fera le choix conscient et sans douté motivé par un budget que l’on devine serré, de rester confiné dans des espaces clos, avant de nous parachuter, par une ellipse très maîtrisée, en décor naturel, faisant renaître en nous plein de sensations liées à toute une mythologie alimentée par le cinéma Américain depuis des décennies ! Mais autant calmer tout de suite les ardeurs, le rythme restera tout du long très contemplatif, ce qui n’est évidemment pas synonyme de chiant, mais s’avère plutôt révélateur d’une pauvreté budgétaire dont toute l’équipe a du s’accommoder, pas toujours pour le meilleur.

Là où David Perrault s’en tire le mieux, c’est dans sa mise en scène très vivante, toujours en mouvement, évitant tout statisme, ce qui donne un vrai dynamisme à l’ensemble, notamment dans les scènes d’intérieur, basées essentiellement sur des personnages qui parlent. Là encore, ce n’est pas un défaut en soi, juste une constatation que passé un certain cap, le récit a du mal à passer la seconde et qu’une fois les enjeux assimilés, on aimerait tout de même que le tout prenne un peu plus d’ampleur. Lorsqu’on lit le dossier de presse, on a envie à l’avance d’adorer le résultat, car les intentions du cinéaste sont aussi pures que ses propos sont clairs et limpides. Il a une idée très claire de ce qu’est son film, et nul doute que le laps de temps séparant ses deux films n’a pas été passé à se tourner les pouces, mais bel et bien à développer un projet que l’on devine très compliqué à mettre en place, tant dans son scénario que dans son enveloppe budgétaire. Et si l’on n’en voudra évidemment pas au metteur en scène d’avoir du réduire la présence des scènes de fusillades, il sera en revanche plus difficile de s’accrocher à une narration parfois assez hasardeuse, dans cette difficulté à dépasser ses enjeux de base, compris dès le départ. Pour être clair, disons que le film dans son ensemble a un peu de mal à dépasser le stade des intentions, ces dernières ne s’incarnant que rarement au final chez ses personnages ou dans son récit global.

Et pourtant, le film recèle de moments forts esthétiquement, qui laissent entrevoir ce qu’il aurait pu être dans son ensemble, si le rythme général avait été mieux maîtrisé. Lorsque deux personnages sont isolés dans le cadre par une contre plongée vertigineuse, ne faisant plus qu’un avec le ciel, la vision sidère. Lorsque le chariot les transportant se retrouve dans une situation compliquée, obligeant tout le monde à traverser un précipice, ce sont encore des sensations liées à tout un pan du cinéma qui nous reviennent. Mais ces instants de pur cinéma, dévoilant chez son cinéaste de vraies intuitions de mise en scène, sont systématiquement suivis d’interminables palabres ne disant rien de plus que ce que l’on savait déjà. Un western intimiste basé sur les dialogues, nous n’avons rien contre, mais il aurait fallu pour cela opter pour une direction d’acteurs moins théâtrale, car il faut bien le dire, la plupart des dialogues sonnent, non pas faux, mais un poil forcés, et il est difficile de s’y accrocher tout du long, au point d’en être un peu assommés au bout d’un certain temps, surtout sur un film durant deux heures. Reste le personnage de la servante noire, vecteur non seulement d’un discours moral jamais asséné lourdement, mais apportant également toute une mythologie et un questionnement sur la croyance auxquels on s’accroche entre deux passages un peu plus ronflants.

Heureusement, comme évoqué plus haut, le cinéaste garde quelques atouts dans sa manche, et ces derniers concernent l’atmosphère globale, alimentée par un esthétisme lorgnant vers le gothique, David Perrault assumant certaines influences telles que Mario Bava, et le cinéma italien en général, sous son aspect baroque. Et cela se ressent particulièrement dans le traitement octroyé aux antagonistes du film, une bande de contrebandiers dépersonnalisés, menée par une femme inquiétante, Bettie, interprétée par Kate Moran, muse de Yann Gonzalez, ici méconnaissable et très iconique. Et la façon de mettre en scène ces personnages sans visage, comme s’ils n’étaient même plus humains, a clairement quelque chose du cinéma d’épouvante transalpin de l’âge d’or. Sans rien déflorer de l’intrigue, disons au moins que le climax fantasmagorique est une réussite et redonne des couleurs au film, mais a également comme conséquence d’en révéler d’autant plus les faiblesses de fabrication, et de nous frustrer car l’on aperçoit là ce qu’il aurait pu être du début à la fin. Nul besoin d’un budget Hollywoodien pour orchestrer des morceaux de bravoure esthétiques, et l’on voit que le cinéaste a tout à fait les compétences pour cet aspect purement formel. Il aurait donc été souhaitable qu’il se focalise davantage sur la création de ce type d’ambiances, pour élaguer un peu dans l’aspect plus verbeux de certains passages.

Au final, on voit l’ambition et il y a de beaux restes, qui nous empêchent d’être trop amers, en plus de la démarche estimable qui nous donne envie d’encourager son auteur dans cette voie d’un cinéma à l’ancienne, piochant sur ce qu’un certain cinéma populaire a pu donner de meilleur, tout en étant personnel dans ses thématiques. Ne manquent qu’un budget plus généreux et une meilleure gestion du rythme, et l’on pourrait avoir droit au très grand film dont il rêve certainement et à côté duquel on est passé ici .

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