Adoration : Rencontre avec Fabrice Du Welz, réalisateur du film.

Fabrice Du Welz était invité, lors du 27e Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, dans le cadre de l’hommage rendu par l’événement à la nouvelle vague du cinéma d’horreur francophone du début des années 2000. Une rétrospective et un hommage «Dans les Griffes du Cinéma Français» où se sont joints à lui des réalisateurs tels que Christophe Gans, Alexandre Aja ou Julien Maury & Alexandre Bustillo. L’occasion donc pour nous de rencontrer l’homme, un réalisateur à vif, pour parler d’un cinéma qui nous bouscule, que l’on aime pour cela et revenir avec lui sur la sortie d’Adoration en salles depuis le 22 janvier 2020 et faire quelques liens évidents avec ses précédents films.

Vous êtes un habitué du Festival de Gérardmer, juré l’année dernière et invité cette année. Que représente le festival pour vous ?

J’ai un lien affectif avec le Festival de Gérardmer. C’est le seul qui a daigné projeter mon court-métrage réalisé en 1999, Quand on est amoureux C’est Merveilleux. Aucun festival ne voulait du film, c’était assez catastrophique, puis Gérardmer l’a sélectionné en 2000 si j’ai bonne mémoire. Le court-métrage a eu le prix du meilleur Court-Métrage. Je suis revenu quelques années après pour présenter Calvaire et je reviens de temps en temps par amitié avec Bruno Barde (le directeur du festival). C’est un festival que j’aime beaucoup.

Adoration est actuellement en salles. Après dix jours d’exploitation, quel est votre sentiment ?

Je ne peux qu’être déçu, car le film ne fonctionne pas bien. J’ai fait le maximum avec The Jokers pour soutenir le film. On a bien soigné la sortie avec une affiche superbe, mais les exploitants ne voulaient pas du film. Puis sur les salles qui nous ont été proposées, le film a du mal à démarrer, le public ne s’est pas déplacé. Je dois avoir ma part de responsabilité là-dedans. Je ne sais pas quoi trop vous dire…

Fabrice Du Welz sur le tournage d’Adoration

Je ne sais pas si c’est de votre faute, je ne le pense sincèrement pas.

Bien sûr que si, car cela à une incidence sur la suite du parcours. On nous pénalise toujours à la suite d’un échec. J’ai une réelle chance d’avoir mon prochain film en route dont le tournage commence au mois d’avril qui s’appelle Inexorable. Mais je ne fais pas des films pour faire aussi peu d’entrées. J’aimerais trouver la clef du public. Mais je comprends ce que vous me dites, mais je pense qu’il y a une mainmise des exploitants sur le cinéma français. J’espère que le schéma de la chronologie des médias va exploser un jour, car je reste convaincu qu’un film comme Adoration aurait trouvé son public s’il avait pu être disponible tout de suite. Que ce soit en VOD ou autres… C’est surtout le système qui nous pose problème, il est une chasse gardée des exploitants, un lobby très puissant en France qui ne souhaite pas changer. La chronologie des médias nous pénalise, nous qui essayons de produire un cinéma de création. Je n’ai rien contre le cinéma commercial, bien au contraire, mais il prend toute la place. Le cinéma de création pourrait avoir une vitalité, une espérance de vie si le modèle imposé de la chronologie des médias, assez imposant, pouvait être repensé. Cela va de toute façon changer un jour, car le schéma n’est plus tenable aujourd’hui. Ça va donc finir par exploser. Mais pour le moment, c’est un réel problème.

Le film est en tout cas pour nous une véritable réussite artistique. Adoration intègre une multitude de références évidentes dans le fond comme la forme, mais reste puissamment personnel. Quel a été votre moteur pour la fin de cette trilogie débuté avec Calvaire puis Alléluia ?

Il y a toujours une mémoire cinéphile dans mes films. Je ne peux pas faire autrement, car je suis d’abord profondément cinéphile. Cette mémoire n’est pas toujours consciente. Je reproduis ou je revisite de manière totalement inconsciente. Il y a évidemment des références conscientes, mais sur Adoration plus particulièrement, avec le recul d’aujourd’hui, je vois que certains critiques ou spectateurs pointent des références que je n’avais pas imaginé. Mais chez moi, cela se passe de manière organique, je ne saurais pas comment vous expliquer la méthode, outre artisanale de fabrication que j’ai bien sûr. Mais je pense que certaines choses s’impriment et relèvent de la mémoire cinéphilique. Je cherche profondément mon chemin personnel, mais je vois ensuite que le film fait écho avec d’autres films. Je l’assume totalement du moment où ils sont personnels. Mais Adoration, je l’ai souhaité sans trop de modèles. Calvaire avait des modèles très forts, Alléluia aussi. J’ai essayé de faire Adoration comme un poème. Je déplore le fait de vivre dans un monde où la poésie est de moins en moins présente. Je ne pense pas que le film soit chiant parce que l’on parle de poésie, ce n’est pas un point rébarbatif. Je l’ai souhaité comme quelque chose de particulier, avec une articulation particulière qui peut séduire le plus grand nombre par rapport à mes films précédents.
Mais finalement je ne sais pas… J’ai longtemps cru que le film serait beaucoup plus accessible et je n’en suis plus si sûr aujourd’hui. Je me demande si Adoration n’est pas un film encore plus exigeant que les précédents. Adoration est certainement un film plus lumineux qui tend vers une délivrance, mais peut-être que l’exigence de la forme, de prendre le point de vue du gamin, désarçonne quelques personnes.
Les référents existent pour répondre à votre question, mais je n’en ai pas fait grand cas. Il y a des choses qui me traversent, mais je cherche toujours un chemin qui me soit éminemment personnel. Et heureusement. 

Fantine Harduin / Thomas Gioria

La nature a un nouveau rôle prépondérant dans ce film, après Vinyan par exemple. Elle est de nouveau un refuge pour les deux enfants ?

C’est un refuge, mais peut-être un refuge hostile pour eux. Il y a un lien direct entre la représentation de la nature, ce qu’elle donne, et l’état mental du petit Paul et de ce qu’il traverse. Elle est comme une extension de son trouble intérieur. Il vit une épiphanie et elle est dans la nature qui l’entoure. Quand Gloria est de plus en plus malade, lui doute et s’inquiète de plus en plus et la nature se tord. Je n’imagine jamais la nature comme un espace indépendant. Je mets toujours la nature en perspective aux troubles de mes personnages. C’est vraiment pour moi quelque chose d’étroitement lié comme dans Vinyan de manière très particulière. C’est comme une osmose où tout converge, et donc il y avait sûrement cette opposition qui exprime tout le long du film avec la joie, l’inquiétude, la beauté, la part sombre et hostile de la nature. Puis à la fin du film, elle converge complètement, épouse le regard des deux personnages. Le dernier plan est assez significatif, ils regardent dans la même direction et tous les éléments s’articulent dans le même sens. Donc il y avait une réelle volonté de réunion de tous les éléments – l’eau, la terre et le feu – pour aller dans la même direction. 

Il est de nouveau question de révolte mêlée à un amour passionnel, mais naïf, dans Adoration, ce qui le lie avec Alléluia. Que recherchez-vous précisément dans ce thème ? 

Les émotions absolues m’intéressent beaucoup. Je bascule dans le monde de l’adolescence avec ce film, ça m’intéressait donc de traiter de nouveau les thèmes de mes deux autres films de la trilogie avec un regard à hauteur d’enfants avec une pureté et une innocence qui soient particulières. Le seul référent conscient pour revenir à la question précédente était littéraire avec L’Idiot de Dostoïevski où il y avait la figure du prince Mychkine qui est un innocent. Capable d’une empathie exceptionnelle, il n’est jamais jugeant. Cela m’intéressait de creuser cette figure-là avec le personnage du petit Paul qui est en empathie absolue avec tout. Ce n’est juste que le parcours d’un ange qui absorbe la souffrance de tout ce qui l’entoure. Cela me plaisait beaucoup dans son parcours, qu’il tende, après l’épiphanie amoureuse, vers un absolu amoureux. Je ne pense pas que ce soit naïf, ça me questionne beaucoup. Mais je pense qu’il faut beaucoup de courage, de bravoure et d’empathie pour épouser ce parcours. Il y a une grande pureté qui transcende tout jusque l’absolu de la fin. Mais ce n’est que mon interprétation, le film ne m’appartient plus du tout aujourd’hui. J’ai fait ce qu’il me semblait le plus juste possible avec la manière la plus délicate possible. Je suis ravi que le film suscite aujourd’hui des questions chez certains spectateurs. C’est un film qui va mûrir avec le temps, même si j’aurais aimé une réponse plus rapide, dans l’instantané de sa sortie en salles. Le film va infuser avec le temps, il faut lui en laisser parce qu’il a une telle particularité, une singularité. Puis les deux acteurs (Thomas Gioria/Fantine Harduin) me percutent et me touchent véritablement. 

Comment s’est justement passée la relation avec les deux acteurs ?

Très bien, tout s’est admirablement bien passé avec eux. Je suis très proche d’eux. J’ai deux gamins de leurs âges, j’en ai quatre maintenant, car nous sommes devenus très proches. Ils sont amis avec mes enfants. Je les aime infiniment beaucoup. Je pense être partie d’eux, de ce qu’ils sont, de ce que j’ai cru percevoir, projeter sur eux. Ils m’ont amené beaucoup de choses, de manière très différente.

Propos recueillis par Alexandre Coudray & Mathieu Le berre 
à Gérardmer le dimanche 1er février.
Remerciement à Gustave Shaïmi pour la possibilité de cette rencontre et 
à Fabrice Du Welz pour sa disponibilité.

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