Waves : Un film qui bouillonne de l’intérieur

Trey Edward Shults fait partie de cette générations de cinéastes américains que l’on pourrait considérer comme étant un tout, à l’intérieur d’un cinéma indépendant plus normatif. Grâce au studio A24, d’où sont sortis des metteurs en scène aussi différents et complémentaires que Ari Aster (l’électrochoc Midsommar) , David Robert Mitchell (It follows et Under the silver lake) ou encore Robert Eggers (The witch et plus récemment The lighthouse), ces personnalités audacieuses ayant réellement des choses à dire que l’on n’ait pas l’impression de voir empruntées à de glorieux prédécesseurs, ont fait du studio un label de qualité que l’on est toujours ravi de retrouver en entame d’un film, signe que quelque chose se jouera là qui nous marquera d’une manière ou d’une autre. Le cinéaste de « Waves », lui, en est déjà à son 3ème long métrage, auteur auparavant d’un inédit pourtant exceptionnel (Krisha, drame psychologique familial perturbant évoquant un mix de Polanski et Cassavetes), et du film d’horreur intello « It comes at night », plus inégal, mais néanmoins suffisamment radical pour laisser penser qu’une vraie personnalité se cachait derrière, même s’il pouvait paraitre un peu compliqué de déceler une cohérence narrative dans les deux métrages. Et à première vue, ce n’est pas ce film-là qui va permettre de mieux cerner le bonhomme, qui semble bel et bien changer son fusil d’épaule à chaque film. Pourtant, s’il a changé de genre à chaque film, il y a bien des thématiques communes à ces trois films, et il est heureux qu’il ait utilisé des moyens de narrations tous très différents pour les exprimer.

Tyler est un adolescent qui tente comme tout un chacun de se faire une place dans l’existence, partagé entre sa petite amie avec qui il vit une histoire d’amour passionnée, typique de ce moment de la vie où l’on ressent les choses de manière exacerbée, et les exigences paternelles, le poussant dans ses retranchements en attendant toujours plus de sa part, particulièrement dans le sport. Les scènes de lutte sont filmées de manière très charnelle et rendent bien compte de l’effort surhumain de ceux qui pratiquent ce sport, ce qui accentue encore la tension palpable entre les deux personnages. Le film est construit en deux parties bien distinctes, formant au final un tout que l’on dira palindromique, élément assumé par le réalisateur, ayant pensé le film de manière perfectionniste, de façon à ce que sa construction soit identique dans un sens ou dans l’autre, et cela na concernera pas uniquement les différentes tonalités mais bel et bien la mise en scène même, sur laquelle les changements d’humeur du récit et des personnages influeront de la plus flamboyante des manières.

Avant toute chose, autant être clair d’emblée, le film ne plaira pas à tout le monde et ses partis pris formels en irriteront certains. Trey Edward Shults ne semble pas être un cinéaste de la demi-mesure, et ses choix de mise en scène très extrêmes en laisseront peut-être sur le carreau. En effet, dans un style bouillonnant et tourbillonnant, il cherche à toucher au plus près aux émotions parfois extrêmes traversées par ses protagonistes. Dans un geste de cinéma très pur et adolescent, il exprime littéralement les tempêtes intérieures des personnages, en faisant faire à la caméra des acrobaties symbolisant l’extase amoureuse. Ne sachant pas se restreindre, il charge toute la première partie d’une émotivité et d’une sensorialité tellement exacerbées qu’il semble à chaque instant jouer sa vie sur le film, prenant le risque de déborder à chaque seconde. Dans un déluge de sons, de musiques et d’images stylisées, il créé un véritable kaléidoscope, un maelstrom d’émotions contradictoires qu’il envisage comme une mosaïque de l’existence. Et sa mise en scène s’adapte donc à chaque battement de cœur, le moindre instant de bonheur ou de souffrance étant traduit littéralement à l’écran, par le mouvement imprimé par la caméra, et par les changements de formats.

Difficile de ne pas avoir des références en tête tout au long du visionnage, et particulièrement Xavier Dolan par cette façon naïve et désarmante d’envisager chacun de ses morceaux de bravoure comme un point de rupture émotionnel, pouvant quasiment changer la vie de chaque spectateur. Cette ultra contemporanéité peut tout à la fois passer pour une facilité engloutissant le spectateur sous un déluge d’effets de style que l’on pourrait qualifier de branchouilles, ou au contraire nous éblouir par sa grâce exempte de tout cynisme et nous faire vivre un véritable ascenseur émotionnel, aux mille émotions contradictoires, se transformant au final en l’un de ces films que l’on chérira du plus profond de notre âme, et qui nous accompagnera toute notre vie.

Car passée cette première partie exaltante et parfois épuisante, le ton se fera plus apaisé, doux comme une caresse, tentant d’apaiser les âmes éprouvées par ce qui a précédé. Il nous sera bien évidemment difficile d’aller plus en avant dans les détails, le récit étant clairement électrisé en son centre par un choc dont la charge émotionnelle se fera très présente toute la seconde partie, mais c’est à cet instant précis que le tout commence à prendre son sens, que l’exercice de style formaliste un rien clinquant finit par faire sens et par nous mener à un autre état, celui du questionnement existentiel sur la fragilité de nos existences, et à quel point la moindre action, même imprévue, peut changer à tout jamais le court de notre existence, parfois de manière tragique. Et si l’on pourrait craindre un moment que le film ne vire à la leçon de morale de cul bénit, il n’en sera finalement rien et l’on devrait plutôt parler de résilience, mais pas au sens christique du terme, plutôt dans le fait de continuer à vivre, malgré les tragédies parfois à la limite de nous détruire totalement. C’est à ce moment que la construction mathématique évoquée plus haut trouve son sens autre que purement théorique, pour se transmettre au spectateur de façon fulgurante. Et c’est ainsi qu’après être passés par tous les états émotionnels possibles et imaginables, l’ivresse, l’épuisement, la souffrance et enfin l’acceptation et un nouveau départ, on est littéralement submergés par l’émotion dans le climax émotionnel du film.

Là, toutes les réserves que l’on pouvait encore ressentir, ces maladresses stylistiques, finissent par en devenir anecdotiques, et ne reste plus que l’émotion la plus bouleversante qui soit, du genre à vous faire pleurer toutes les larmes de votre corps face à des instants d’une puissance évocatrice dingue, dont l’intelligence du propos  et de la façon de l’exprimer laisse purement dévasté. Une phrase en particulier restera gravée à tout jamais en tête, un échange tout simple entre deux personnes abîmées par la vie, une question et une réponse en deux mots, et c’est absolument dévastateur. Ce que le film dit à cet instant, c’est tout simplement que nul ne mérite de finir seul avec sa souffrance et sa culpabilité, nul homme  ne mérite d’être haï, malgré ses erreurs, et chacun mérite de partir en ayant trouvé une forme d’apaisement d’avec lui-même et ses proches. Nous n’en dirons pas plus, mais à cet instant précis, la maturité d’écriture sidère et il y a carrément de quoi être jaloux de la profondeur de l’ensemble. Des réflexions pareilles, on aimerait en être l’auteur.

Face à cette succession de claques formelles et émotionnelles, plus rien n’existe autour de nous, et l’on sort de la séance essoré, anéanti et en même temps grandi, avec cette impression rare d’avoir assisté à un morceau d’humanité, bien plus éclairé que les derniers Malick. Les vagues du titre, là encore, sont à prendre littéralement, comme l’expression des tempêtes de l’existence, celles qui nous construisent avec leur lot de tourments mais également de moments suspendus, de magie pure et que l’on voudrait éternels. Que l’on regarde le film dans un sens ou dans l’autre, on en revient toujours à l’essentiel.

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