1917 : 24 heures chrono

Sorti épuisé du tournage de Spectre, Sam Mendes n’y a pourtant pas perdu la moindre once d’ambition. Si avec 1917, il revient à un film personnel (le premier qu’il co-écrit, en hommage à son grand-père), il n’a pas sacrifié ses exigences techniques pour autant. Visiblement inspiré par l’expérience du plan-séquence inaugural de Spectre, Mendes décide de ne tourner 1917 qu’en suite de très longs plans, donnant l’illusion que le film n’est qu’un immense plan-séquence de deux heures en dépit d’une ellipse narrative.

On pourrait arguer que le dispositif n’est qu’un moyen technique de plus pour épater le spectateur, technique devenue courante ces dernières années, moyen sûr de glaner des récompenses lors des cérémonies de début d’année (chose bien comprise par Alejandro González Iñárritu notamment) mais c’est sans compter sur l’alchimie déjà bien éprouvée par Mendes entre technique et cœur émotionnel du récit, lui qui avait su donner du souffle à James Bond et qui a mis en scène Shakespeare au théâtre de la plus flamboyante des manières. Cette technique du plan-séquence, ou du moins de son illusion se met au service du récit et lui impose un tempo puisque 1917 ne raconte ni plus ni moins que la trajectoire de deux soldats anglais dans les tranchées françaises, chargés de rejoindre un bataillon avant le matin suivant pour transmettre l’ordre d’arrêter une attaque qui mènerait 1600 anglais (parmi lesquels le frère de l’un des deux soldats) à une mort certaine…

Ce sentiment d’urgence et la difficulté de la progression des deux hommes sont alors parfaitement retranscrits par les longs plans collant au plus près d’eux. À travers cette mise en scène, c’est alors toute la gravité de la situation dont on a une furieuse conscience et l’on peste contre tout obstacle rencontré, contre chaque minute perdue, imaginant déjà le carnage que causerait l’échec de cette mission. Mendes opère donc l’alchimie parfaite entre virtuosité technique et émotion totale puisque, ne cherchant à jamais à montrer combien il est brillant, il parvient même à nous faire oublier son dispositif lors de nombreux moments où il n’y a que l’action et l’émotion qui comptent. Et le mouvement surtout.

Car jamais la caméra n’est statique, avançant sans cesse, au gré des tranchées, des ruines et des champs, comme pour coller au mieux à l’impulsion des personnages pour lesquels s’arrêter c’est mourir. À travers ce récit court, loin de tout héroïsme (il ne s’agit que d’une mission parmi d’autres, s’étalant 24h sur les quatre ans qu’ont duré la guerre), Mendes nous montre une histoire comme il en arrivait par milliers sur le front, endroit où la seule chose à faire pour ne pas mourir, c’est continuer à avancer quoiqu’il arrive. Captant l’ambiance mortifère des tranchées et de cette guerre, Mendes parsème son film de très beaux moments de bravoure. Bourrés de tension, c’est en s’aventurant dans l’accalmie qu’il fait mouche : lors de la mort d’un soldat, lors de la rencontre avec une française dans des ruines, lors d’une chanson en pleine forêt où le temps suspend son vol…

En choisissant de célébrer les simples soldats sans héroïsme, 1917 parvient à éviter les écueils d’un genre bourré de clichés. En tâchant de retranscrire avec le plus de vérité possible le parcours de ses personnages, il évite la froideur trop calculée de Dunkerque et inscrit son film comme un sommet émotionnel, toujours à la bonne distance de son sujet et de ses personnages, tous interprétés par un fabuleux casting, George MacKay en tête. Mendes n’est évidemment pas seul dans cette tâche et peut remercier une fois de plus le fabuleux travail du chef-opérateur Roger Deakins, offrant à nouveau de fabuleuses visions imprimées à jamais sur notre rétine tandis que Thomas Newman livre une partition s’accordant au tempo que le film nous impose, captant dès le début notre attention pour ne jamais la lâcher. De là à dire que l’on tient – déjà  l’un des grands films de cette année, il n’y a qu’un pas à franchir…

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  1. Last Night in Soho : London can be a lot -

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