Nina Wu : Aboie pour moi, tu auras peut-être le rôle !

Ces deux dernières années, on ne peut presque plus échapper, dans le cinéma américain particulièrement, aux sempiternelles références au mouvement MeToo ayant vu le jour à la suite de l’affaire Weinstein. Ce séisme ayant sérieusement atteint l’image de Hollywood dans l’inconscient collectif a entraîné toute une vague de pseudo prise de conscience de la profession, en réalité des réactions de protection bien hypocrites de personnes se réfugiant derrière leur bonne conscience pour ne pas avoir à affronter leur incapacité à avoir regardé le problème en face toutes ces années. Quoi qu’il en soit, on a donc eu à subir depuis ce déferlement de révélations, un certain nombre de films reprenant à leur compte de manière le plus souvent totalement artificielle, ce discours « féministe » qui se retrouve généralement hors de propos. Il ne serait donc pas exagéré d’affirmer sans l’ombre d’une hésitation que le véritable film sur cette triste affaire restait à faire. Le cinéaste taïwanais d’origine Birmane Midi Z s’y est donc attelé ici, sous l’impulsion de la scénariste et actrice Wu Ke-Xi, et le résultat est assez remarquable, dans cette façon de parler frontalement des choses en se référant sans ambiguïté à tout ce que l’on sait désormais du célèbre producteur déchu, tout en empruntant des voies éloignant le film du piège de l’œuvre à thèse lourdingue assénant un propos sans penser au cinéma.

Le début est assez déstabilisant, car nous collons aux pas du personnage central, Nina Wu donc, sans trop savoir sur le moment où l’on se situe dans le récit et quels en sont ses enjeux. Dans l’étirement des scènes, on finit par se positionner dans l’histoire, à suivre cette actrice n’ayant jusqu’à maintenant joué que dans quelques publicités, qui se voit proposer un jour par son agent Mark, le rôle principal dans un film d’espionnage qui pourrait changer sa carrière. Inquiète à l’idée de devoir tourner des scènes de sexe explicites, elle finit néanmoins par se rendre à l’audition …

Toute la première partie du film consistera en le déroulement du tournage du film, fait d’humiliations par un réalisateur tyrannique se prenant pour un maître démiurge. La seconde sera beaucoup plus déconstruite, faite de bribes de scènes sur le modèle du cauchemar psychotique, nous plongeant dans la psyché détruite de son personnage ayant visiblement vécu un choc traumatique. Si, en lisant le synopsis et ce à quoi se réfèrent le réalisateur et son actrice-scénariste, il semble assez évident de ce vers quoi le scénario se dirige, il faut avouer que l’on se retrouve plutôt largué quand on se rend compte que c e que l’on prenait pour l’acte central du film ne survient pas. On suit donc avec intérêt et de façon déroutante le déroulement d’un récit imprévisible, mêlant présent et passé, fantasmes et réalité, dans un style formel pouvant à la fois évoquer la stylisation un poil glacée d’un Nicolas Winding Refn (une référence avouée du cinéaste dans son interview présente dans le dossier presse) tout comme le style de narration déstabilisant d’un David Lynch période Lost Highway et Mulholland Drive.

Mais tout ceci n’est évidemment pas vain, consistant à nous placer dans le même état de tension que son personnage, s’enfermant, plus ou moins consciemment, dans un enfer personnel dont elle ne peut s’échapper à force de déni évident de ce qui lui est arrivé. Un acte fondateur que l’on ne verra qu’en toute fin de métrage, pour une ultime scène choc dont est coutumier le réalisateur puisqu’il terminait son film précédent, Adieu Mandalay, d’une manière similaire, sur une scène très violente. Ce que l’on aurait tort de prendre pour une posture de cinéaste chic et choc, puisque tout d’abord, redisons-le, le scénario n’est pas de lui, et c’est d’ailleurs une première le concernant, et ensuite cet acte choquant est évidemment indissociable du reste du récit qui est une réaction à cette scène inaugurale que l’on ne verra donc qu’à la toute fin. Pour en arriver là, on en passera donc par des scènes pouvant donner l’impression de verser dans une certaine surenchère, plastique, voir même d’ordre moral, lorsque l’on se retrouvera à subir tout comme l’héroïne des humiliations particulièrement dégradantes.

Pourtant, nulle trace de complaisance ici, puisque ces scènes ne sont que le reflet de ce que bien trop d’hommes de pouvoir se sont permis pendant des décennies, sans jamais être inquiétés, et l’on peut d’ailleurs penser à d’autres histoires que celle de Weinstein devant certains passages. De plus, il paraît difficile de qualifier le résultat de complaisant lorsque l’on a à l’esprit que Wu Ke-xi a réellement subi une humiliation similaire à ce que l’on peut voir dans le film à un moment clé, il y a plusieurs années, sur le tournage d’une pub où elle n’était que figurante.

La construction est assez audacieuse également dans le fait qu’elle est clairement scindée en deux parties, et que la première consacrée au tournage agit presque comme un commentaire de ce qui va suivre. Le personnage s’interroge sur la nécessité de tourner une scène de triolisme explicite la mettant fortement à contribution, et la seconde partie, qui ne consiste plus en une mise en abîme, donc le véritable film que l’on est venu voir, va dérouler une sorte de programme que l’on croirait tout d’abord un peu calibré pour le festival de Cannes, tout comme le producteur du film dans le film affirme ne faire que des films à récompenses ; pour que l’on se rende compte finalement que le cinéaste va contourner cette potentialité de caricature de cinéma d’auteur, en se confrontant de biais à des sujets potentiellement sulfureux mais dont le traitement ne tombera jamais dans l’exploitation, au contraire du film dans le film.

Une preuve donc de l’intelligence avec laquelle le film a été conçu, due évidemment en premier lieu à la pertinence toute personnelle du scénario concocté par l’actrice principale, mais également au regard sensible posé sur elle par Midi Z. Disons donc tout le bien que l’on pense de la prestation de la comédienne, charismatique en diable, et quasiment de tous les plans, et du film en général, qui malgré quelques scènes pouvant prêter à discussion dans leur finalité, et ce côté nébuleux pas loin de nous perdre à plusieurs reprises, aura su nous captiver avec son rythme lent, sa stylisation plastique agissant comme un véritable élixir pour les sens, et son propos percutant qui aura su nous interpeller sans en passer par ce discours moralisateur et infantilisant de bien trop de films prétendant se référer au sujet. On peut donc sans problème affirmer qu’il s’agit certainement du premier véritable film conçu en réaction à l’affaire Weinstein, n’ayant pas oublié l’essentiel : le cinéma !  

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