Les siffleurs : Une tentative ratée de film noir à la roumaine

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Ce crédo semble tout approprié pour parler de ce nouveau film du roumain Corneliu Porumboui (Policier, adjectif, Le trésor) qui, à partir d’une trame de film noir classique avec flic corrompu, femme fatale et compagnie, tricote une intrigue courant à travers plusieurs lieux et temporalités, au point de nous perdre de façon quasi … fatale !

Cristi est un inspecteur de police de Bucarest qui se retrouve embarqué sur l’île de la Gomera, aux Canaries, où il doit apprendre le langage sifflé afin de communiquer de manière codée avec un groupe mafieux, dans le but de faire évader Zsolt. Ce dernier connaît l’emplacement d’un butin de 30 millions d’euros issus du trafic de drogue. Ce point de départ entraînera de multiples complications dues à l’implication de la police mettant Cristi sous surveillance, et d’une potentielle histoire d’amour avec la fameuse Gilda, qui a entraîné ce dernier sur cette île, et femme fatale par excellence, semblant pouvoir manipuler n’importe qui à sa guise …

De prime abord, difficile de ne pas être intrigué par la perspective de voir les codes du film noir américain transposés chez ce metteur en scène, tant ce dernier manie habituellement un cinéma ascétique, basé sur de très longs plans séquence, dans la lignée du cinéma roumain contemporain dont il aura été en quelque sorte le père fondateur de tout ce qui en constitue la base narrative et cinématographique. Et dès la scène d’introduction, sur fond de Iggy pop, on se rend bien compte que le résultat ne sera pas dans la même tonalité que ses précédents, ou en tout cas qu’il continuera à manier ses obsessions sur un rythme différent.

En vérité, le rythme global est toujours aussi neurasthénique, en tout cas par rapport à ce qu’il est communément accepté dans un cinéma de genre plus grand public, mais cette fois le découpage des scènes et le montage général entre ces dernières sera plus vif, et paraîtra le comble de la nervosité pour les fans du cinéaste. Pourtant, ceci n’est qu’un leurre, peut-être afin de séduire un plus grand nombre de spectateurs, mais le ton si délicieusement absurde du metteur en scène sera bien de la partie, à travers des personnages stoïques, imperturbables, plongés dans des situations qui les dépassent quand bien même ils rêveraient de tout contrôler. Et cette notion de contrôle est ici bien évidemment au centre de tout, la base du récit reposant sur des manipulations, et l’utilisation de ce langage ancestral afin de duper l’adversaire.

Tous ces éléments mis en place pourraient donner lieu à quelque chose de trépidant, ou tout du moins, de passionnant de bout en bout, de par l’extravagance des situations, le potentiel illimité de celles-ci ainsi que par le cadre où tout ceci est situé, cette île magnifique très cinégénique. Mais comme dit en entame, le cinéaste a semble-t-il volontairement choisi de tout complexifier dans sa manière d’agencer tous les éléments constitutifs de son récit, au point de nous désintéresser progressivement de tout ce qui se passe à l’écran.

Si certaines situations peuvent fonctionner individuellement, que la beauté des cadrages et de la photographie peut faire illusion un temps et occuper le regard le reste du temps, ainsi que la beauté ahurissante de l’actrice Catrinel Marlon, il faut bien admettre que l’hermétisme du scénario, ou de la façon dont ce dernier est raconté, nous perd progressivement de la cause du film, ce qui est bien dommage au vu du potentiel de base. On pense un peu à la façon qu’avait eu Christopher Nolan de totalement déconstruire son récit dans Memento afin de donner une impression de puzzle stimulant, sur une base scénaristique tenant sur un post-it, qui dans un ordre chronologique, aurait donné quelque chose d’une simplicité désarmante. C’est un peu la même chose ici, la banalité de ce qui est raconté, au-delà de l’originalité du cadre et de la langue sifflée, ayant sans douté poussé le cinéaste à la jouer petit malin. Ses propos recueillis dans le dossier de presse du film sont intéressants et montrent bien le travail sur le langage et la communication qu’il a voulu poursuivre, sur une autre tonalité que ses autres longs métrages, seulement cette volonté n’est pas forcément des plus perceptibles lorsque l’on se retrouve à regarder le film. Il était intéressant de pousser son cinéma et ses thématiques vers quelque chose de moins hermétique que précédemment, plus ouvert, mais le résultat, aussi séduisant puisse-t-il paraître par instants, se dégonfle progressivement comme une baudruche, au point de nous laisser au final totalement indifférents, et ce malgré un climax étonnamment violent et reprenant véritablement à son compte les codes d’usage.

Au final, il s’agit d’un objet intrigant et stimulant, sur le papier, mais ne parvenant pas à mener à terme tout ce qu’il entreprend. Le résultat est une petite chose qui a dû paraître bien vaine au dernier Festival de Cannes où il a été présenté et dont il est reparti bredouille. Une occasion manquée, en quelque sorte.

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