PIFFF 2019 : Compte rendu

Cette année, comme notre éminent Mathieu Le Berre l’avait déjà précisé dans son édito devenu mythique depuis, les habitués du PIFFF étaient inquiets. La grève dantesque ayant frappé la France entière depuis le 5 décembre dernier semblait être un sérieux rempart aux motivations les plus solides, et l’on se demandait bien comment le Festival, qui pourtant en a vu d’autres ces dernières années (les attentats en 2015, les Gilets Jaunes en 2018), tout en sachant toujours attirer un peu plus de spectateurs, allait cette fois-ci pouvoir y faire face. Et pour couper court à tout suspense déplacé, on ne vous mentira pas en vous faisant croire que les salles étaient remplies, et Cyril Despontin, délégué général du Festival, l’a bien dit en cérémonie de clôture, la fréquentation a baissé de 20% ! Ce qui, pour un Festival habituellement si rempli, est évidemment assez déprimant, doit cependant être relativisé, car malgré la baisse inévitable de fréquentation, totalement étrangère à la manifestation, les séances étaient tout de même plus que raisonnablement fréquentées, preuve que le fan de Fantastique est prêt à tout pour se prendre sa décharge de genre pendant une semaine complète (avec cette fois-ci une journée de plus de projections par rapport à d’habitude). De notre côté, la rédaction n’a pu être présente au complet, mais l’auteur de ces lignes, étant quelqu’un de très sociable, a pu trouver une solution pour rester dans le coin toute la semaine afin de profiter pleinement de la programmation une fois de plus fort stimulante concoctée par toute l’équipe, et vous en faire profiter aujourd’hui. Alors, elle est pas (plus) belle la vie ?

The hole in the ground de Lee Cronin

Pour commencer ce compte rendu, nous passerons rapidement sur les films décevants, ces œuvres pas forcément indignes mais qui, au milieu d’une programmation assez fournie, n’auront pas su se démarquer du tout venant pour se faire réellement remarquer et que nous avons déjà quasiment oubliées au moment où ces lignes sont écrites. L’horreur irlandaise de The hole in the ground, certes bien foutue formellement, mais prenant bien trop son temps pour mener à un climax expédié et bourré de trous scénaristiques assez gênants, en fait partie. Le Get out gay Spiral , malgré son interprétation solide, notamment Jeffrey Bowyer-Chapman, ne parvient pas à se départir d’un scénario manichéen se sentant obligé d’expliciter à chaque instant ses intentions, comme si le spectateur était trop con pour comprendre lui-même, menant à une conclusion totalement ratée, stoppée en plein élan. Dommage, il y avait un fort potentiel. Gundala, tentative Indonésienne de projet cinématographique à la Marvel, le pays étant visiblement très fourni en comics ayant de quoi entraîner un  BumiLangit Cinematic Universe, n’aura pas su tirer profit de ses spécificités locales, cherchant avant tout à faire de l’œil aux fans des purges Marvel, à commencer par son logo introductif ayant bien fait rire la salle. Mais du côté du cinéma, pas grand-chose à retenir de ce très convenu récit de 2 heures, dont on espérait au moins des combats de pencak silat (la présence de Cecep Arif Rahman allait dans ce sens), mais dont ces derniers semblaient un brin mollassons par rapport à ce à quoi nous avait habitués le cinéma de genre Indonésien de ces dernières années. Mis en scène comme si le réalisateur avait comme unique ambition de terminer sur Netflix (ce qui ne manquera certainement pas d’arriver), le tout s’avère donc très décevant, même pas suffisamment violent pour flatter nos bas instincts.

Gundala de Joko Anwar

Du côté des séances cultes, nous passerons également rapidement dessus, ces dernières étant moins originales que d’habitude (pas de film de la trempe du chef d’œuvre Vorace), les Vendredi 13 et Battle royale n’ayant pas besoin de nous pour être commentés. Nous retiendrons la présence de Théâtre de sang, réalisé en 1973 par Douglas Hickox, où un Vincent Price en grande forme s’en prend, dans la peau d’un acteur fan de Shakespeare, à des critiques l’ayant un peu trop malmené, dans des scènes de meurtres aussi macabres et gores que drôles. Doté de cet humour sarcastique typiquement britannique, le film n’a pas pris une ride et se découvre aujourd’hui avec un grand plaisir un brin pervers. Et les fans de Price ont de quoi être aux anges face au numéro irrésistible de ce dernier, qui s’en donne clairement à cœur joie.

Théâtre de sang de Douglas Hickox

Emprise de Bill Paxton, œuvre polémique en son temps, de par son postulat hautement sujet à débats, était la rareté de cette sélection, et pouvoir le revoir sur un aussi bel écran que celui du Max Linder Panorama était une bonne occasion pour éventuellement réviser notre jugement à son encontre. Malheureusement, et en dépit d’une forme très maîtrisée, l’inextricable débat moral qu’il engendre ne débouche que sur une impasse fort déplaisante, la finalité de cette histoire restant, malgré tout le recul dont nous pouvons faire preuve, assez indéfendable idéologiquement.

The wave de Gille Klabin

Maintenant, passons aux choses sérieuses avec les films contemporains (toutes catégories confondues) ayant réussi à se faire un chemin dans notre esprit, malgré l’enchaînement mécanique des séances pouvant parfois s’avérer fatal concernant la mémoire. The Wave entraîne un Justin Long que l’on a plaisir à retrouver sur grand écran dans un bad trip semblant ne jamais pouvoir prendre fin, embrouillant le cerveau du spectateur pour son plus grand plaisir. Certes, le film ne restera pas comme un sommet du genre, et le scénario à tiroirs, se plaisant à brouiller toutes formes de repères temporels ou de réalité, est souvent à la limite de nous perdre définitivement, mais la grande inventivité formelle dont fait preuve son metteur en scène, pour nous plonger dans ce grand huit sensoriel, réussit à nous tenir en éveil sans la moindre baisse de rythme. Au milieu d’œuvres parfois beaucoup plus posées, il faut admettre que ça réveille et que ça fait plutôt du bien.

The Nest de Roberto De Feo

Justement, du côté des films plus calmes évoqués plus haut, citons en priorité l’Italien The Nest, de Roberto De Feo, dans lequel un jeune garçon est consigné à domicile par sa mère très rigide, ayant l’interdiction formelle d’en sortir pour des raisons mystérieuses que les plus perspicaces auront néanmoins comprises avant la révélation définitive dans son trop court climax. L’arrivée d’une domestique de son âge va pousser ce dernier à braver les interdits maternels et lui faire éprouver ses premiers émois amoureux … Sublimé par une mise en scène élégante et atmosphérique, ressuscitant les plus belles heures du gothique, et une photographie de toute beauté, le film embarque le spectateur attentif dans son univers envoûtant et délicat, parfois électrisé par des instants morbides et violents du plus bel effet, jamais bousillés par le moindre jump scare. Ce qui, par les temps qui courent, est pour le moins appréciable. Certes, le tout prend parfois un peu trop son temps, pour mener à une conclusion trop expédiée nous faisant dire « tout ça pour ça », mais quoi qu’il en soit, le plaisir à se balader dans cet univers baroque aura été réel, et peut-être qu’un cinéaste intéressant est né. A suivre donc !

I see you de Adam Randall

I see you, grand Prix Ciné + frisson, est un thriller pouvant de prime abord paraître un peu bancal (et il l’est dans sa forme, ce qui est plutôt cohérent avec cette récompense dont la finalité réside dans une diffusion sur la chaîne) mais nous prenant progressivement par le col pour ne plus nous lâcher, grâce à une structure en 2 temps très bien gérée, le changement de point de vue réussissant à éviter le simple exercice de style vain qu’il aurait pu être, pour basculer dans une intrigue retorse et bien construite, et surtout, tenue jusqu’au bout, aspect qui aura plutôt été le maillon faible de cette édition, dont un certain nombre de films n’auront pas su se conclure de manière satisfaisante. Un peu trop convenu pour certains, le film aura pourtant été un bol d’air frais pour ceux cherchant avant tout à voir une bonne histoire bien racontée, et aux moments de tension très bien gérés. Seule la vision d’une Helen Hunt botoxée aura quelque peu troublé le plaisir général, donnant l’impression de porter un masque. Pour le reste, c’est du solide.

Super me de Zhang Chong

Passons rapidement sur le Chinois Super me, blockbuster très spectaculaire, au visuel léché, et prenant comme base scénaristique le monde des rêves. Bien plus ludique et stimulant qu’un Inception auquel il ramène forcément, le film prend le risque d’aller véritablement à fond dans son concept, au risque de perdre quelque peu le spectateur sur la fin, lorsqu’il en vient à jouer sur le principe du brouillage temporel ou des différents niveaux de réalité ou non, jusqu’à une ultime image nous explosant définitivement le cerveau. Néanmoins, le film est suffisamment excitant et riche visuellement pour donner envie de le revoir plusieurs fois, et recèle quelques scènes véritablement jouissives.

The mortuary collection de Ryan Spindell

The Mortuary collection était un film à sketches horrifiques comme au bon vieux temps, où le conteur interprété par le génial Clancy Brown nous entraîne dans 4 histoires macabres et, pour une fois, quasiment toutes de qualité égale, montant en puissance tout en gardant une ligne directive faisant prendre une vraie dimension à l’ensemble, contrairement à tant de films du genre se limitant à une succession de courts métrages déconnectés les uns des autres. Gore, hilarant et doté d’une perversité réjouissante par les temps qui courent, il s’agissait clairement de la proposition de genre la plus pure de cette année, et pouvoir découvrir ce type de film sur un écran de cinéma aujourd’hui n’est pas sans provoquer quelques émotions pour le cinéphage de base biberonné aux films d’horreur de vidéo clubs des 80’s.

Color ouf of space de Richard Stanley

Comme il est difficile de passer avec attention sur chaque film présenté, on se contentera de nommer les quelques titres restants avant de passer aux coups de cœur, avec juste quelques mots sur chacun pour donner tout de même un aperçu. Le film d’ouverture, Color out of space, retour aux affaires de Richard Stanley (la bombe Hardware), aura été l’occasion de faire d’une pierre deux coups, à savoir savourer une adaptation craspec de Lovecraft, qui malgré le manque de budget, aura su nous réserver quelques images organiques du plus bel effet, et surtout apprécier le jeu une fois de plus totalement autre de l’inénarrable Nicolas Cage, qui après avoir hurlé son désespoir en slip, une cannette de bière à la main, dans le navrant Mandy, aura ici ajouté une autre corde à son arc, à savoir traire des alpagas et péter les plombs dans la seconde partie, nous rappelant pourquoi il est indispensable dans le cinéma actuel.

The pool de Ping Lumpraploeng

The Pool, film Thaïlandais enfermant un homme dans une piscine avec un crocodile, est le high concept parfait, faisant preuve d’une inventivité sans limites pour enfoncer un peu plus son personnage dans la merde à chaque instant. Explorant la notion de karma de manière jusqu’au-boutiste, il s’agissait de la parfaite séance de 11h.

Why don’t you just die de Kirill Sokolov

Why don’t you just die, ayant récolté le prix du Public et le Prix du Jury Mad Movies (avec une mention spéciale pour le japonais « Vise » concernant ce dernier prix, foutraquerie typiquement nipponne qui aura fortement divisée le public, mais aux qualités indéniables, et surtout totalement originale, ce qui aujourd’hui est déjà beaucoup), est un film Russe, d’un très jeune cinéaste visiblement fan des comédies gores des 90’s, et de Tarantino. Pur produit de festival, semblant uniquement conçu pour faire réagir le public dans ce type de manifestations, ce double prix aura donc été un peu trop facile nous concernant, même si l’on reconnaîtra une certaine inventivité, supérieure à la moyenne de ce genre de films. Mais de là à sauter au plafond, il n’y a qu’un pas que l’on ne franchira pas.

Mope de Lucas Heyne

Passons maintenant aux tartes dans la tronche, et il y en aura eu 3, ce qui est déjà fort suffisant : Mope (séance Interdite)  explore un fait divers sordide survenu au début des 2010’s, dans le milieu du porno. Débutant sur la description du bukkake, pratique quelque peu dégradante (pour rester mesuré) consistant à se masturber à plusieurs sur une actrice afin de doper la quantité de sperme apparaissant à l’écran lors des climax, le récit nous entraîne ensuite sur les pas de Steve Driver et Tom Dong, deux losers rêvant de devenir des stars dans le milieu, alors qu’ils se situeraient plutôt tout en bas de l’échelle et qu’ils se montrent clairement incompétents dans leur domaine. Démystifiant totalement ce milieu décrit sans aucune ambiguïté comme le summum du glauque et de la dégradation, on pense parfois au documentaire consacré à Rocco Siffredi, dans cette façon de nous donner l’envie de rester le plus éloigné possible de tout cet univers, si tant est qu’on ait eu envie à un moment donné d’y entrer. Présentant des anti héros pathétiques mais finalement bouleversants de par leur incapacité à se rendre compte de leur situation, surtout concernant l’un des deux, le film recèle d’un paquet de moments malaisants au possible, où les humiliations subies par l’un des deux, dans lesquelles il se place tout seul, nous mortifient au possible. Étirant les situations jusqu’à atteindre une intensité peu commune, tout cela nous mène à une conclusion atroce et très gore, d’une implacabilité qui nous laisse pétrifiés sur notre siège. Déprimant, mais très impactant. Une sortie salles paraît improbable, et pourtant cela serait mérité.

Jallikattu de Lijo Jose Pellissery

La deuxième méga baffe du festival était à chercher du côté de l’Inde, avec le démentiel « Jallikattu », très éloigné de ce que le spectateur occidental imagine du cinéma Indien, à savoir Bollywood. Tourné en malayalam, dialecte très peu entendu au cinéma, le film nous entraîne dans un petit village, lors de la fête tamoule du Jallikattu, consistant à lâcher un taureau sur une place, afin que les plus courageux se lancent à sa poursuite. Cette fois, la bête va faire plus de dégâts que prévu, et entraîner une chasse à l’animal qui ramènera chacun à sa nature monstrueuse, au sens le plus littéral du terme. Difficile de s’étendre réellement en avant ici, pour vous décrire la nature du spectacle proposé, mais sachez seulement que le résultat est une bombe d’une puissance dévastatrice, un peu déroutante dans un premier temps de par sa nature chorale et son rythme paraissant un peu décousu, mais lorsque le réalisateur visiblement coutumier de ce type d’expériences lâche tout, ce n’est pas à moitié, et l’on tombe dans un survival halluciné, aux visions purement extatiques et apocalyptiques, à la caméra extraterrestre, et dont on se demande à chaque instant comment l’équipe a pu accomplir tout ça. Impossible de décrire avec des mots ce que l’on a vu, et l’expérience aura été décuplée par la projection dans une copie 4K de toute beauté, mais malheureusement le film ne sortira vraisemblablement jamais, donc les quelques heureux présents ce soir-là peuvent véritablement se considérer comme des privilégiés.

Ride your wave de Masaaki Yuasa

Pour finir avec les coups de cœur, citons le très mignon Ride the wave, anime japonais de Masaaki Yuasa (Mind game), romance mélo et fantastique, tout juste handicapée par une chanson pop insupportable qui fait saigner les oreilles, et faisant office de leitmotiv de l’œuvre (heureusement pas en complet à chaque fois). Mais pour le reste, cette histoire de deuil d’une douceur salvatrice pour ce dernier jour de festival, aura fait fondre le cœur des plus sensibles des festivaliers, bercés par les couleurs chatoyantes, et l’ambiance apaisante générale. Les choix graphiques audacieux du metteur en scène en font un sommet du genre, un peu encombré ces derniers temps, dans lequel il est préférable de faire le tri. A priori, le film sortira en France, Wild Bunch en ayant acquis les droits.

Dogs don’t wear pants de Jukka-Pekka Valkeapää

La clôture, Dogs don’t wear pants, avait déjà été vue à la dernière Quinzaine des Réalisateurs, et si la présence dans cette case d’un drame d’auteur letton, sur une histoire d’amour SM, pouvait paraître quelque peu curieuse, le résultat, que nous avions déjà apprécié lors de la reprise parisienne de la Quinzaine, se sera avéré toujours aussi séduisant, et aura convaincu l’ensemble du public, preuve du bon goût de l’équipe de sélection du PIFFF. Continuez comme ça, les gars, et espérons que l’édition anniversaire de l’année prochaine, se fasse dans des conditions plus sereines, afin de voir à nouveau la salle du Max Linder remplie à ras bord.  

Palmarès :

Oeil d’Or Long-métrage (Prix du Public) : Why don’t you just die de Kirill Sokolov

Prix des lecteurs Mad Movies : Why don’t you just die avec mention spécial pour Vise de Yasuhiko Shimizu

Prix Ciné+ Frisson : I see you de Adam Randall

Oeil d’Or du Court International : My little goat de Tomoki Misato (Japon)

Oeil d’Or du Court métrage Français : Dibbuk de Dayan D. Oualid

Prix du Jury du Court métrage Français : Boustifaille de Pierre Mazingarbe

Prix Ciné + Frisson du Court Métrage : Boustifaille de Pierre Mazingarbe

2 Rétroliens / Pings

  1. The Pool : Attention au fond, ça mord ! -
  2. The Mortuary : Mise en bière sanglante -

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