La vérité : Secrets de famille en sourdine

Auréolé de sa prestigieuse Palme d’Or pour son très beau  Une affaire de famille , le japonais Hirokazu Kore-eda nous revient déjà, un an après, avec un projet surprenant, à savoir un film tourné en France, au pitch ramenant à une tradition bien de chez nous, à savoir se déroulant dans une grande bâtisse, lors d’une réunion de famille destinée à tourner vinaigre à travers une série de révélations fissurant les apparences hypocrites. Seulement voilà, nous sommes bien chez Kore-eda, dans un film écrit de ses mains, et il devient très vite évident que malgré ces fameuses apparences, en forme de fausses pistes, le résultat sera au final très fidèle à la conception du cinéma minimaliste de ce dernier, dans un esprit très japonais donc, ce qui est plutôt pour nous ravir, et ce en dépit de quelques réserves …

La première scène met immédiatement dans l’ambiance. Après quelques plans en extérieur, captés dans une jolie lumière naturaliste restituant parfaitement l’ambiance douce et solaire environnante, nous faisons immédiatement connaissance avec le personnage interprété par Catherine Deneuve, Fabienne, actrice mythique, interviewée par un journaliste visiblement tout tourneboulé par l’icône qu’il a devant lui. Avec sa diction si caractéristique, Deneuve, elle-même icône parmi les icônes, renvoie la balle avec sècheresse et bienveillance mêlées, dans la peau de cette femme en promotion de ses mémoires tout juste publiées. A cette occasion, la fille de cette dernière, Lumir (Juliette Binoche) lui rend visite avec sa famille avec laquelle elle vit à New York. Son mari américain est interprété par un Ethan Hawke en retrait, étant un peu dans le même état d’esprit que le spectateur, à savoir l’observateur silencieux d’enjeux qui le dépassent. Avec en toile de fond le tournage d’un film de science-fiction, dont les enjeux propres permettront à tout ce petit monde d’être mis face à leurs propres rancoeurs, tout est donc mis en place pour un bon psychodrame des familles, ce qui entre des mains peu délicates, pourrait donner lieu à un règlement de comptes hystérique et grossier. Bien entendu, chez le Japonais, ce qui compte ne se situe pas dans la révélation de quelconques secrets bien enfouis, mais dans la façon  de dérouler avec une fausse simplicité tout ce qui fait le quotidien de tout un chacun. Et de ce côté-là, on était fortement curieux de voir comment le cinéaste allait s’en sortir, en tournant dans une langue qui n’est pas la sienne, et en s’appropriant une tradition du cinéma français à priori opposée à la culture japonaise.

Première surprise, essentielle à la réussite du film, la direction d’acteurs, impeccable. Les exemples de cinéastes étrangers ayant raté leur incursion dans le cinéma de chez nous faute d’une interprétation solide sont légion, inutile de les lister ici, mais généralement, il est évidemment difficile d’obtenir de la justesse de comédiens dont on ne comprend pas ce qu’ils disent. Et cela semblait d’autant plus compliqué ici que le cinéaste a bel et bien écrit tout le film lui-même, donc il a dû être compliqué d’obtenir un résultat qui soit fidèle à la façon dont il avait pu écrire les dialogues dans sa propre langue. Le résultat est assez impressionnant à ce niveau, donc, et l’on ne peut que supposer qu’il a dû se baser sur la gestuelle, les intonations, l’émotion se dégageant de chaque comédien, pour savoir s’il était sur la bonne voie. Quant à l’ambiance générale, il semblait difficile de retrouver ce qui fait le charme et la grâce de son cinéma habituellement, à savoir cette façon typiquement japonaise de sublimer le quotidien, à travers une mise en scène s’attardant sur les petites choses. Là encore, on le sent à l’aise dans la transposition de cet état d’esprit à l’intérieur d’un cadre différent, puisqu’il capte merveilleusement la vie qui se déroule, sans réels moments dramatiques, avec ses instants de simplicité, comme le plaisir à préparer à manger par exemple.

Pour autant, difficile de nier qu’il était impossible de retrouver parfaitement ce qui nous a tant fait aimer ses films japonais, car malgré le talent des comédiens à l’œuvre ici, ces deux cultures sont totalement opposées, et il semblait improbable et vain de vouloir retrouver à l’identique ce qui faisait l’essence de ses œuvres précédentes. Le type de jeu n’est pas le même, et la façon de dire les dialogues ne raisonne pas de la même façon à nos oreilles. On est ici forcément sur un terrain que l’on a l’impression de connaître par cœur, au contraire de ses œuvres japonaises, qui sont forcément plus douces à nos yeux de par cet éloignement culturel qui nous les rend uniques. Cela n’a donc rien à voir avec la qualité globale du film, mais là où précédemment, cette absence d’évènements majeurs dans la narration servait à merveille ses films, il nous a semblé ici que le tout manquait peut-être un peu trop de dramaturgie pour être totalement convaincant.

On suit le film avec intérêt, sans ennui, dans un état d’apaisement salutaire, et l’on rigole parfois, pour être ému à d’autres moments. Mais il manque ce petit rien du tout insaisissable qui donnait l’impression d’œuvres plus fournies. Il semble évident que le cadre plus intégré à notre esprit nous faisait inconsciemment attendre un déluge de rebondissements, et le début du film nous laissait clairement croire que l’on aurait à faire à un film à la Farhadi, et particulièrement au film français de ce dernier, « Le passé », où il réussissait à perpétuer ce qui faisait l’âme de son cinéma à l’intérieur d’un cadre typiquement français. Mais il semble pourtant évident à l’issue du film que cette option aurait été à l’encontre de ce qui fait le cinéma de Kore-eda. C’est donc dans la fidélité à son propre cinéma que le film aura trouvé à la fois ses forces et ses faiblesses. Une fois encore, cet état d’esprit est si éloigné de notre cinéma, que voir un film donnant l’impression dans un premier temps d’être engagé sur un terrain bien labouré, pour au final perpétuer un état d’esprit autre, a quelque chose d’à la fois rassurant et un peu déstabilisant.

Si l’on ne pourra pas nous retirer cette impression d’une intrigue manquant un peu de densité, et cette envie de retrouver au plus vite le cinéaste dans un film japonais, toujours est-il que le résultat, aussi imparfait puisse-t-il paraître, fera plaisir aux connaisseurs de la filmographie du cinéaste, car ce dernier n’aura pas failli à ce qui en fait tout le moteur. Même si celui-ci ne restera pas parmi ses œuvres majeures.

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