Jeune Juliette : Rencontre avec Anne Émond, réalisatrice du film.

Nous avions rendez-vous au coeur du Quartier Latin pour rencontrer la réalisatrice québécoise, Anne Émond, au coeur d’une grande tournée française pour présenter son nouveau film, Jeune Juliette.
L’histoire de Juliette qui est effrontée, malicieuse, un peu grosse et menteuse. Elle n’est pas vraiment populaire au collège, mais c’est pas grave : c’est tous des cons ! Juliette a 14 ans et elle croit en ses rêves. Pourtant, les dernières semaines de cours se montreront très agitées et vont bousculer ses certitudes sur l’amour, l’amitié et la famille…
C’est rare que l’on sorte d’une projection presse avec une banane d’enfer alors que le temps est grisâtre avec une léger brume. Mais le film a agit comme un rayon de soleil pour nous, alors l’opportunité de rencontrer la responsable de ce petit bijou n’a été qu’un plus que l’on partage volontiers avec vous.

Comment est née cette Jeune Juliette  ?

Anne Émond : L’histoire est inspirée de mon vécu à son âge. J’ai beaucoup de similitudes avec Juliette. J’étais solitaire et rêveuse, grosse avec trente kilos en plus qu’aujourd’hui. Juliette, c’est moi avec cette envie irrésistible de lire, j’ai été également harcelée à l’école. Je me suis toujours dit que je ferais un film sur cette période de ma vie. Puis j’ai attendu assez longtemps avec cette période pour éviter de faire un film noir, cynique et déprimant.
Aujourd’hui, je me rends compte que cette partie de mon enfance n’a pas été traumatisante. Je n’en ai aucune séquelle, en dépit de la souffrance de l’époque, mais au contraire j’en garde un souvenir tendre, assez nostalgique. J’en souris même quand j’y repense. J’ai voulu faire un film sur cette période, sur moi à cet âge-là (14 ans). Mais il faut savoir que j’ai été beaucoup plus harcelée que Juliette. C’était plus dur malheureusement, incapable de me défendre, timide jusqu’à me réfugier sur moi-même incapable de répondre aux moqueries. J’avais les réponses en tête, mais impossible de les sortir. Jeune Juliette est un peu l’envie de réécrire l’histoire et la réinventer tout en créant un personnage inspirant pour les autres. 

à gauche: Alexane Jamieson; à droite: Anne Emond

Juliette est justement très mature pour son âge. Des lectures pointues, des discussions d’adultes avec son père et un recul bluffant. Ce qui l’atteint le plus finalement, ce n’est pas le harcèlement, mais le manque de sa mère.

Oui c’est vrai, complètement. Le harcèlement est en « vogue » malheureusement actuellement. Au Québec, on dit de « l’intimidation » plutôt que « harcèlement ». C’est un sujet d’actualité aussi chez nous, à la télévision ou au cinéma. Mais le véritable sujet de Jeune Juliette est la découverte de soi d’une jeune fille de 14 ans qui découvre ses envies et réfléchit à son futur. L’absence de sa mère est bien plus fondamentale que le harcèlement. Le moment où les moqueries l’atteignent est quand sa base est éclatée avec ses brouilles avec Leanne et Arnaud et qu’elle comprend la difficulté d’aller habiter chez sa mère à New York. Elle devient beaucoup plus poreuse aux remarques des autres. 

C’est donc un souhait de ne jamais voir la mère via les conversations FaceTime. Elle est comme un spectre tout le long du film.

On s’est posé la question pendant le tournage. Je n’ai pas de dogme au cinéma, et je n’en veux pas. Si la meilleure solution avait été de montrer la mère, on l’aurait fait. Mais avec le chef opérateur, on s’est posé la question, notamment comme filmer la technologie ? Filmer deux écrans interposés ou recréer un décor de New-York à Montréal… la réponse est vite venue en trouvant beaucoup plus puissant ce procédé de la garder en arrière en créant un univers fantasmé à Juliette, de ce à quoi elle n’a pas accès. Une voix est beaucoup plus cruelle, cela montre l’absence, donc procure l’envie de la voir et créer l’empathie envers Juliette. 

Anne Emond sur la tournage de Jeune Juliette.

Il y a des ordinateurs, des téléphones dans le film, mais le cachet est définitivement d’un autre temps, d’une autre époque. Très proche des années 80 et des années 90. 

Jeune Juliette est un film sur la jeunesse avec son lot d’amours déçus, la relation avec les parents, la recherche de soi. J’espère que cette jeunesse est intemporelle, que rien ne change finalement en dehors de l’apport d’une certaine technologie. Il y a certains films qui s’emploient à capturer une certaine époque très réussie comme le film Eight Grade de Bo Burnhan, le premier long-métrage d’un jeune Youtubeur. Je vous le conseille vivement. C’est rare les films qui capturent une époque et arrivent à toucher autre chose. Ils ne font que prendre le pouls et une photo sans le moindre fonds. Mais que reste-t-il ensuite ? On ne sait jamais. Le projet de Jeune Juliette est là au cœur d’une intemporalité, qui en même temps a un look 80′ parce qu’on tourne en 35mm gonflé avec un grain prononcé. Mais ça revient plus au choix financier pour économiser de la pellicule. On a fait des tests et cela participait au charme et à l’aspect souhaité pour le film, donc cette contrainte économique a été payante. Il y a des téléphones portables, mais ça reste gadgets. 

Le propos de Jeune Juliette reste contemporain avec des sujets forts comme l’homosexualité ou le harcèlement auprès de personnages âgés de 14 ans. C’est assez rare au cinéma un tel parti-pris.

Très vite pour moi le film traitait de la sortie de l’enfance, et non pas de l’adolescence vers l’âge adulte comme beaucoup trop de films du genre. C’est ce moment fébrile très court que j’ai souhaité capter où les poupées n’intéressent plus trop, on a hâte de quelque chose, mais on ne sait pas de quoi… Un moment fragile où l’on ne sait pas ce que l’on va devenir et où l’on se confronte à certaines questions qui nous tombent sur le coin du bec  : l’homosexualité d’une amie, l’autisme ou le harcèlement du monde adulte. J’ai essayé de les dédramatiser un maximum sans pour autant nier les choses. L’histoire n’était pas ses questions précises, car on peut faire un long-métrage complet sur chaque thème, mais plutôt la confrontation d’une jeune fille face au monde et son entourage. Une belle-mère noire débarque dans la vie de Juliette, donc la différence arrive de toute part, et elle doit gérer du mieux possible, comme le départ de son grand frère de la maison. Plein de choses arrivent dans la vie de Juliette dans ce moment crucial de sa vie. J’avais envie de traiter cela de manière légère. Ce baiser à la fin est aussi léger, même si cela signifie beaucoup de choses dans la représentation d’un premier baiser, en soi lesbien, devant toute l’école. Forcément ça peut déclencher beaucoup de choses. Mais pas besoin d’alourdir le propos, je préfère prendre le côté ludique du geste. 
Il y a 20 ans, tout cela existait déjà, mais on n’en parlait pas. C’est triste de se dire que l’homosexualité chez les jeunes existait, mais était cachée pour mieux s’intégrer. Aujourd’hui le coming-out est accepté, c’est beaucoup plus facile pour les jeunes, tout comme l’autisme aussi dont on parlait à peine. Ce sont des questions de société aujourd’hui et on les accepte beaucoup plus. Et c’est mieux, car ce n’est plus enterré, caché, mais bien une réalité à laquelle nous sommes confrontés pour l’accepter ou pas. Il n’y a plus de souffrance, ou beaucoup moins, les jeunes font face à beaucoup plus de responsabilités aujourd’hui. Ils font face aux choses et ne sont plus obligés de rentrer dans des cases. Au contraire, ils s’assument et font tout exploser. 

Alexane Jamieson – Anne Émond – Leanne Desilets

Parlons maintenant du casting. Alexane Jamieson et Leanne Desilets sont superbes. Comment les avez-vous dénichés ?

Ce fut compliqué de trouver Alexane pour le rôle de Juliette. Dans les agences de casting, nous sommes tombés que sur des profils minces, assez conformes aux besoins du marché. De petites poupées par dizaine… On s’est donc employé au casting sauvage pour trouver une petite fille dodue. Ce qui n’a pas marché non plus, les filles se trouvaient blessées malencontreusement en étant interpellé pour leurs pires complexes. On a fini par trouver Alexane, naturelle et fantastique, qui a trouvée sa place au fur et à mesure sur le plateau au fil des jours de tournage. C’était beau de la voir prendre confiance, s’améliorer et s’épanouir devant la caméra. Quelle chance avons-nous eu de la trouver. Elle a quelque chose de solaire qui nous a tapés dans l’œil tout de suite. Puis une beauté qui fait du bien avec ses grands cheveux roux, ses bourrelets ici et là, quel bonheur de voir autant de naturel sur l’écran. Mais elle est surtout très mature. Elle fait des choses extraordinaires dans le film en montrant son ventre sans gêne, mais avec aussi une certaine candeur de l’enfance. Je n’ai pas eu l’impression de l’exploiter, elle était très consciente et nous disait « C’est dur, mais c’est important pour le film.» Après un parcours compliqué, Alexane est bien dans sa peau et ça se voit à l’écran. Elle se trouve belle et elle était prête à porter le film.
Pour Leanne, c’est tout le contraire. J’ai déjà très envie de refaire un film avec elle. Chétive et belle, elle a été dure à trouver aussi. Le casting a été plus classique, on a vu une dizaine d’actrices, et on a pris la meilleure. Et cela a été pareil pour le petit Arnaud qui faisait sa première audition. 

Comment avez-vous travaillé les décors qui se comptent sur les doigts d’une main entre la maison de Juliette, le lycée… Il y a un aspect américain avec les casiers le long des couloirs et les déambulations au cœur d’une banlieue simple et commune.

Il y avait toute sorte de choix qui s’offrait à nous. On aurait pu trouver encore plus américain, mais j’essayais au maximum de trouver une forme de neutralité. Autant le lycée est à la fois moderne à l’américaine avec les casiers, mais les encadrements de portes sont en bois par exemple, il y a comme un côté chaleureux que l’on ne retrouve pas dans les lycées américains. Même chose pour les maisons typiques de banlieue avec les balcons ou les piscines très courants au Québec dans les milieux modestes. On a recherché un maximum de décors neutres avec des extérieurs de banlieue bien définissable, communs à tous. 

Un petit mot pour finir concernant le cinéma québécois. Comment cela fonctionne sur place, comment est l’état de la production ?

Il y a eu des locomotives fortes avec Matthias & Maxime de Xavier Dolan ou encore le premier film de Monia Choukri qui est passé par Cannes. Il y a eu quelques succès, mais il y a deux mondes. D’un côté la partie francophone au Québec avec 35 films produit à l’année, le cinéma est très vivant. De l’autre côté, au Canada anglais, cela se passe différemment, notamment à cause de la proximité avec les États-Unis. Il y a une culture qui existe avec des figures comme David Cronenberg et Atom Egoyan qui se sont intégrés à Hollywood. Il y a des jeunes qui émergent actuellement, mais longtemps ce fut le Québec qui fit le cinéma. Ça s’est équilibré depuis, mais cela reste deux cultures totalement différentes. Nous avons notre CNC québécois qui aide beaucoup pour la production. Il y a un gros intérêt pour le cinéma, mais en même temps, on fait face aux problèmes de salles d’exploitation qui se vident. Il y a là-bas beaucoup moins de salles de cinéma qu’en France. Netflix et autres plateformes se sont bien implantées au Québec, donc les salles se vident. Il y a de grands enjeux et beaucoup de questions actuellement. Il reste une bonne marge, mais les séries Tv prennent beaucoup de place aujourd’hui et Netflix cannibalise de plus en plus le marché. Ça va vite devenir grave je pense.

Entretien réalisé le lundi 25 novembre par Mathieu Le berre.
Remerciements à Mathilde Cellier et Claire Viroulaud pour la possibilité de l’entretien.

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