Sympathie pour le diable : Au coeur des ténèbres

Novembre 1992, en plein coeur du siège de Sarajevo, ville sur laquelle il pleut en moyenne 329 obus par jour, Paul Marchand écume les rues et ses décombres. Reporter de guerre incapable de ne pas s’impliquer face à une situation laissant la communauté internationale impassible, il compte avec exactitude les morts chaque jour, fustige certains de ses collègues journalistes dont il juge le travail stupide et gueule contre l’ONU qui a ordre de rester neutre face à des crimes tout en enchaînant cigares sur cigares. On le sent, Marchand est à l’aise dans cette situation extrême, celle où on se lève pour aller travailler le matin sans savoir si l’on sera victime d’une balle dès qu’on traverse Sniper Alley.

De ses nombreux mois passés à Sarajevo, Marchand a tiré un récit intitulé Sympathie pour le diable. Le réalisateur Guillaume de Fontenay l’adapte de façon fidèle (il connaît le sujet, ayant passé près de 14 ans à monter le projet) en décidant dès le début du film de coller au plus près de Paul, l’enfermant dès le début dans un cadre granuleux au format 1:33 qui rend toute respiration impossible. On suit alors ses incessants parcours dans la ville, ses passages aux frontières, ses coups de gueule, la façon dont il se moque des conventions en offrant des pizzas aux forces serbes pour passer les barrages. A mesure que l’on suit la routine de Paul, on est de plus en plus happés par la brutalité du conflit qu’il couvre, par ses aberrations (l’armée brûlant son trop-plein de fuel alors que la population en manque cruellement) et par son absurdité qui voit un enfant de trois ans tué tout simplement parce qu’il a eu le malheur de passer devant une fenêtre au mauvais moment.

Difficile à saisir en premier lieu, le personnage de Paul Marchand (que Niels Schneider interprète avec fièvre, offrant là sa plus belle prestation) livre ses clés au fil du récit sans jamais que le film ne verse dans l’hagiographie, montrant au contraire toutes les contradictions d’un journaliste s’éloignant toujours plus de ses zones de confort, à la fois attiré et repoussé par ce conflit. Sa rencontre avec Boba, interprète serbe incarnée par l’impeccable Ella Rumpf permettra d’ancrer le personnage à un lien émotionnel et montre bien l’incapacité totale de garder son objectivité de journaliste face à une telle situation.

De fait, en plus de saisir l’importance du besoin d’humanité dans un cadre aussi hostile, Sympathie pour le diable s’interroge sur l’éthique journalistique, tout à fait impossible à respecter dans un tel conflit. Ainsi Paul ne manquera de s’impliquer en faveur des habitants de Sarajevo et saluera l’initiative qu’a pris un Casque Bleu de tuer des hommes tentant de violer une femme et sa fille contre ses ordres, affirmant que ce soldat ayant agi en suivant son coeur dormira désormais bien mieux la nuit que la plupart de ses camarades. Toujours sur la brèche, nerveux et jamais voyeuriste, Sympathie pour le diable est une oeuvre puissante, interrogeant sans cesse notre rapport à la violence et aux images, permettant de nous remettre face à des considérations humanistes à l’heure où nos yeux sont habitués à la violence à l’écran. Brutal mais nécessaire, dur mais profondément humain, voilà bien un film à découvrir d’urgence et dont le choc ne pourra guère faire de mal.

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