Koko-di koko-da : L’enfer du deuil

On déplore trop souvent le manque de prise de risques de la part des distributeurs pour ne pas mettre en avant la sortie par la société Stray dogs distribution, de ce film Suédo-Danois le 13 novembre prochain. En effet, dans un cinéma dit de genre qui a plutôt déserté les écrans ces dernières années, hormis pour les films de franchises grand public, voir arriver une œuvre si audacieuse et, d’une certaine manière, radicale, a de quoi ravir, même si le nombre de copies n’aura vraisemblablement pas grand-chose à voir avec le dernier Annabelle, pour n’en citer qu’un. Réalisé par le Suédois Johannes Nyholm, remarqué précédemment avec un film ayant fait le tour des festivals, resté inédit de par chez nous, Jatten (The Giant pour l’inter), le film propose un concept déjà éprouvé moult fois par le cinéma, dans tous les genres, dont le plus grand titre de gloire restera sûrement pour longtemps Un jour sans fin où notre pauvre Bill Murray était condamné à revivre encore et encore cette maudite journée de la Marmotte. Nous suivons un couple détruit par la mort accidentelle de leur petite fille, qui part quelque temps après la tragédie, camper dans des bois, afin de se ressourcer et peut-être créer à nouveau des liens mis à rude épreuve, comme souvent dans ce type d’épreuve. Dès la première nuit, un évènement horrible survient, et à partir de là nous éviterons d’en dire plus tant ce que va mettre en place le cinéaste aura de quoi surprendre !

A vrai dire, en évoquant Un jour sans fin, et même si les films sont évidemment à l’opposé d’un point de vue thématique, on en a sûrement déjà trop dit, mais il semble impossible d’évoquer le film, même de manière succincte, en évitant totalement ce qui tient lieu de concept principal, qui survient rapidement dès lors que les personnages arrivent dans cette forêt. Ce qu’il est important de mentionner, sans rentrer dans des analyses qui défloreraient tout ce qui en fait la profondeur, c’est qu’il s’agira pour le couple d’affronter son passé, d’accepter de se parler à nouveau pour affronter une situation inconcevable, les enfermant dans une sorte d’enfer symbolique exploitant leurs souffrances les plus intimes pour enfoncer le couteau dans la plaie déjà béante qu’est leur vie.

A première vue, on peut avoir l’impression de se retrouver dans l’un de ces films devant beaucoup à l’école autrichienne, celle des Seidl et Haneke, avec cette mise en scène rude, à base de plans séquences éprouvants, du genre la caméra vissée à l’arrière de la voiture, suivant le voyage en temps réel, durant lequel les deux protagonistes sont incapables de décrocher un mot. On veut nous faire éprouver cette chape de plomb qui s’est emparée de l’existence de ce couple, et l’on se prépare déjà à souffrir pendant 1h26, d’autant plus que lorsque le concept principal se met enfin en place, on se trouve cette fois dans un petit cirque du sadisme, où les personnages seraient des pantins au service d’un Maître démiurge, le cinéaste lui-même, qui pourrait leur faire subir tous les outrages d’ordre moral et physique, car son statut le lui permet. Un petit théâtre de la cruauté que l’on a l’impression d’avoir déjà trop subi dans ces films de festivals dits radicaux, mais qui ici se trouve teintée d’un gros zest de bizarrerie qui éloigne le film de toute réalité tangible. En effet, on lira sûrement ici et là que le film est Lynchien, et si les styles formels sont à l’opposé le plus total que l’on puisse imaginer, il est tout de même difficile de ne pas penser aux univers déglingués du génie auteur de Mulholland Drive ou Lost Highway, à travers une galerie de personnages tout droits sortis d’un songe, mais un songe cauchemardesque, et une comptine à l’air de ritournelle, qui obsède littéralement le spectateur au sortir de la salle. Disons qu’on devrait plutôt parler d’un Lynch naturaliste, comme si les Dardenne ou les cinéastes cités plus haut avaient décidé de faire dans le cinéma de l’étrange, tout en gardant leurs tics de mise en scène.

S’il n’est pas particulièrement agréable ou facile à appréhender, le résultat n’en demeure pas moins une vraie proposition de cinéma, de celles que l’on cherche désespérément, dans les festivals et ailleurs, et que l’on aurait donc tort de bouder ou taxer un peu trop vite de coquille vide tout juste bonne à exciter le festivalier chic moyen. Certes difficile d’accès, voir un peu hermétique dans sa finalité, le film reste suffisamment profond et dérangeant (l’évènement en question est vraiment perturbant dans ses effets) pour ne pas s’effacer de la mémoire et continuer à nous triturer les méninges bien après la projection. On vous conseille de rester particulièrement attentifs lors de la scène du théâtre à la fin, bourrée de symboles difficiles à interpréter sur le moment, mais qui méritent que l’on y repense après coup. Une belle curiosité, donc, et pour le coup, ce n’est pas une expression utilisée en l’air.

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