Cape et Poignard : Destins fragiles

Quand ils ne sont pas occupés à agrandir notre collection Billy Wilder, Rimini Editions ne chôment pas pour autant, la preuve avec Cape et poignard de Fritz Lang, édité par leurs soins dans une très belle copie HD depuis le 15 octobre dernier. Comme avec Wilder, Lang fait partie de ces cinéastes dont on ne boude jamais une œuvre tant elle recèle bien des surprises.

En effet, quand Fritz Lang réalise Cape et poignard en 1946, il a déjà derrière lui de sacrés films de propagande anti-nazie (Chasse à l’homme, Les bourreaux meurent aussi, Espions sur la Tamise) mais cette fois la guerre est finie et les États-Unis ont marqué le coup d’une terrible façon avec Hiroshima et Nagasaki. Le cinéaste va donc s’intéresser à un récit trépidant au cœur duquel en pleine seconde guerre mondiale, un scientifique américain se retrouve promu espion dans le but de retrouver un savant italien prêt à mettre au point la bombe nucléaire pour les allemands. L’occasion pour Lang de glisser un tacle sévère au projet Manhattan (il fait dire à son héros que les millions de dollars utilisés pour le développement de la bombe pourraient être utilisés pour quelque chose de vraiment utile comme soigner le cancer) et d’alerter, dès 1946, sur les dangers du nucléaire.

Ce n’est pas la seule idée innovante du film puisque Cape et poignard, comme tous les films de propagande du cinéaste, est largement bien plus que ça. Farouchement anti-nazi certes, Lang n’en est pas moins conscient que les humains sont faillibles et que les espions américains ou résistants italiens sont des êtres comme les autres. De fait, il pose un regard très réaliste sur la situation pendant la guerre. Ainsi notre héros, scientifique avant d’être espion, se fera largement griller par l’ennemi, échouant au passage sur certains plans de sa mission tandis que la résistante qu’il rencontre fait un état peu reluisant de sa condition de femme dans la résistance dont les missions se bornent à séduire des officiers nazis ou réconforter des officiers alliés. Lang porte le même regard réaliste sur les scènes d’action, le moment d’anthologie du film voyant Gary Cooper (impeccable dans la peau du héros) aux prises dans un combat à mort dans le hall d’un immeuble. La violence sèche qui se dégage du film, ainsi que sa lucidité permanente sur les situations présentées (sans aucune once d’héroïsme) achèvent de faire de Cape et poignard un récit d’espionnage palpitant.

Car si le cinéaste a bien conscience du destin fragile de ses personnages (disparue à jamais sous l’impulsion du studio qui ne voulait pas de cette fin, la dernière bobine du film voyait le héros découvrir les camps de la mort et apprendre que les nazis avaient déplacés leur usine atomique en Amérique du Sud), il n’en emballe pas moins tout ce récit avec son savoir-faire habituel et un rythme trépidant, les péripéties s’enchaînant sans jamais en faire trop. Lang s’autorise même une pause en milieu du film pour s’attarder sur la relation entre Gary Cooper et la belle Lilli Palmer, résistante décidée à ne pas s’attacher aux hommes qu’elle croise. Ce creux dans le récit, bien loin de lui donner un coup de mou, vient au contraire donner encore plus de relief à un film loin d’être simpliste et dont les couches de narration se redécouvrent toujours avec un grand plaisir. Comme toujours avec Fritz Lang, ce serait dommage de passer à côté.

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