Bacurau : Peuple, levez-vous !

Brésil, dans un futur proche. C’est ainsi que débute le nouveau long métrage de Kleber Mendonça Filho (Les bruits de Recife, Aquarius), cette fois coréalisé avec son chef décorateur Juliano Dornelles. Et au vu de l’actualité politique brûlante du pays, et du contenu de ce qui va suivre dans le film, on peut dire que cette petite phrase introductive prend un sens particulièrement ironique. Comprendre par là, si le peuple ne prend pas les choses en main, et plus précisément, le « petit » peuple, les premiers touchés par la politique aberrante à l’œuvre actuellement, le scénario imaginé par les cinéastes ne sera peut-être plus de la science fiction, bien plus vite qu’on ne l’imagine. Un propos révolutionnaire ? Pas loin, et le gouvernement n’a semble-t-il pas trop apprécié le vilain portrait qui leur était fait.

Bacurau est un petit village fictif situé dans le sertão. Le film débute alors que les habitants du village font le deuil de leur matriarche, décédée à l’âge de 94 ans. Peu de temps après, ces derniers se rendent compte que le village a disparu des cartes. Des touristes étranges font leur arrivée, tandis que des drones survolent le paysage. Très rapidement, des évènements violents surviennent …

On dit souvent sur ce site ou ailleurs, l’importance de ne pas trop révéler d’éléments du scénario, tant il semble indispensable d’arriver le plus vierge possible de toute information afin de savourer au mieux tout ce qui en fait la substantifique moelle. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le film présent rentre dans cette catégorie, plus que n’importe quel autre, tant son déroulement s’avère imprévisible, pas forcément toujours pour le meilleur, qualitativement parlant, mais avec suffisamment de rage et d’énergie cinématographique pour garder le spectateur attentif quoi qu’il en soit. Débutant comme un film d’auteur « classique », c’est-à-dire en prenant le temps de présenter ses protagonistes ainsi que son contexte, géographique et politique, on est très rapidement plongé dans cet univers comme hors du temps, les habitants du village du titre vivant de plus en plus difficilement, entre la canicule et la rareté de l’eau. On comprend rapidement que ces derniers ont été quasiment abandonnés du gouvernement, ce qui n’empêche pas un politicien bien soigné par le script de tenter désespérément de se mettre les gens dans la poche, en faisant régulièrement irruption avec des provisions, car après tout, il ne veut que leur bien (et accessoirement, être réélu). Ces petites piques bien sarcastiques font tout le sel de la première partie, et même si la finalité politique s’avèrera progressivement plus métaphorique que réellement ancrée dans un contexte particulier, il ne faudra pas être une lumière pour constater que l’on n’en est déjà pas loin. Toute l’astuce des instigateurs du film consistera à pousser une situation de départ paraissant tout à fait plausible dans ses retranchements, par le prisme du cinéma de genre.  Et c’est là que survient la seconde partie du film, la plus surprenante, avec l’arrivée de ces éléments perturbateurs dont on ne dira rien de plus, si ce n’est qu’on bascule à cet instant du film d’auteur Cannois plutôt classique,  à une fable dystopique furieuse et sanglante, allant crescendo jusqu’à un final insurrectionnel qui rue dans les brancards bien comme il faut.

Comment décrire un film et rendre compte de ses saveurs comme de ses limites, en en disant le moins possible ? Tout simplement en affirmant que le goût de Mendonça Filho pour un cinéma baroque, fou, est toujours visible à chaque plan, de manière évidemment moins romanesque que sur son précédent, plus frontale, de par le sujet et le genre investi. Là où Aquarius nous emportait dans un tourbillon nostalgique et bouleversant, avec son héroïne ne baissant jamais les bras, fière et droite dans ses bottes, Bacurau propose quelque chose de plus rentre dedans, presque grotesque dans ses excès que l’on suppose volontaires, et du même coup encore plus surprenant, même si moins immédiatement séduisant. Objet curieux, ne rentrant pas dans une case précise, mélangeant western contemporain, fable politique, survival violent et énervé, et enfin charge révolutionnaire s’achevant dans le sang, et sur un dialogue lourd de sens, le film déborde de tous les côtés, ce qui est à la fois sa grande force et son principal défaut. Car à trop vouloir en faire, et à trop chercher une certaine complicité chez le public, il arrive que l’œuvre nous perde quelque peu. On prendra comme exemple principal la dichotomie entre le jeu sobre et naturel des habitants du village, et celui beaucoup plus bis et « autre » des étrangers, s’exprimant en anglais, et semblant tout droit sortis de la première série Z venue. Décalage sans doute volontaire, occasionnant des moments dont on ne sait, sur le moment, dans quelle case les ranger, et comment les appréhender. Ce qui pourra passer, selon notre sensibilité, pour une qualité ou un défaut.

Néanmoins, au milieu de ces acteurs que l’on dira poliment « décomplexés », trône, royal, Udo Kier, avec son regard perçant, en mercenaire mystérieux. La figure même de l’acteur évoque forcément beaucoup de choses auprès des cinéphages, du fait qu’il a toujours, tout au long de sa carrière, alterné rôles chez des cinéastes confirmés et respectés, tels que Fassbinder, et films bis, voir ultra Z, juste pour le plaisir du jeu. Un acteur dont tout le monde connaît le visage, et qui semble trimballer son corps de vampire dandy décadent depuis la nuit des temps, donnant l’impression d’avoir la même tête depuis des années. Un plaisir réel de le retrouver donc, surtout qu’il est ici impeccable, sobre, impliqué jusqu’au bout.

Ce qui surprend le plus, c’est bel et bien cette impression que ce qui aura intéressé avant tout les cinéastes, c’est l’aspect genre de leur film, l’allégorie politique semblant presque plaquée pour coller aux impératifs des festivals Internationaux. On sait que les journalistes cinéma dits sérieux, adorent coller de la politique partout, et la nationalité même du film semble accréditer cette thèse, quand bien même celui-ci a été conçu avant l’investiture de Jair Bolsonaro. Mais il paraît tout de même difficile d’éviter cet aspect là du film sous prétexte qu’il s’agirait avant tout d’un film de genre, et un bon, et la menace présente depuis un certain temps a forcément infusé dans le processus d’écriture, cette inquiétude transparaissant à chaque instant du long métrage. Malgré son aspect bancal, parfois déstabilisant, et pas toujours totalement maîtrisé dans ses excès, le film est suffisamment original et, une fois encore, imprévisible dans son déroulement, pour emporter l’adhésion, et que l’on se félicite de pouvoir encore, de temps en temps, assister à l’épanouissement de cinématographies devant tout à elles-mêmes, se servant de certaines références (ici Carpenter), tout simplement comme moyen et non comme une fin en soi, pour développer des thématiques infiniment plus personnelles. Reprenant des tropes de ce dernier en les recontextualisant dans une modernité du cinéma assez jubilatoire, le résultat, aussi inégal soit-il sous certains aspects, s’avère parfaitement concluant, et même très marquant au fil du temps.

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