L’Etrange Festival 2019 : Suite et fin

En cette fin d’édition, nous avons quelque peu perdu pied face au rythme éreintant des séances, et avons préféré attendre la toute fin du festival, afin de se pencher sur ces derniers jours intenses à cerveau reposé, pour plus de pertinence, du moins l’espère-t-on. Nous allons donc passer plus ou moins rapidement selon les films sur nos dernières séances enchaînées sans répit, ce qui nous mènera de vendredi à dimanche, avec un petit récapitulatif de la cérémonie de clôture.

Koko-di Koko-da de Johannes Nyholm

Vendredi donc, nous avions débuté plus tard que d’habitude, ayant bravé le risque de soucis dus aux transports en commun, et heureusement pour nous, cela ne nous a pas empêché de nous rendre fièrement au festival, pour notre dose quotidienne de cinéphagie. Le premier film était en compétition, il s’agissait de Koko-di koko-da, du réalisateur suédois Johannes Nyholm (précédemment auteur d’un film très remarqué en festivals, mais jamais distribué par chez nous, The giant, ou Jätten dans sa langue d’origine), et nous passerons rapidement dessus étant donné qu’il est prévu dans nos salles pour le 13 novembre prochain, et que nous aurons donc l’occasion de nous y repencher plus en détails. Pour faire simple et efficace, il s’agit d’une sorte de ritournelle obsédante autour d’un concept de boucle temporelle, une sorte de Un jour sans fin de l’horreur, où un deuil du genre culpabilisateur enferme le couple au centre de l’histoire dans un enfer symbolique dans lequel ils sont condamnés à revivre sans cesse le même acte de violence gratuite, commis par trois étranges personnages surgissant toujours de nulle part, dans une forêt en pleine nuit. Plus film horrible que film d’horreur, dans le sens LVT du terme, nous sommes tout aussi impuissants que les personnages face à ce qui leur arrive, et le film s’acheminera lentement vers une conclusion plutôt habile, même si assez simpliste dans ce qu’elle évoque. Nous en retiendrons donc cette comptine obsédante que nous avons encore en tête au moment où ces lignes sont écrites, et cette violence cruelle surgissant sans raison apparente, que l’on subit au même titre que ses malheureux protagonistes. Un film perturbant à défaut d’être totalement réussi. Nous souhaitons bien du courage à son distributeur, Stray dogs.

La proie nue de Cornel Wilde

Ensuite, c’était au tour de la carte blanche à notre Maître à tous Jean-Pierre Dionnet, avec deux films rares que l’on était bien contents de pouvoir découvrir sur grand écran. Le premier, La proie nue, était l’ancêtre du survival moderne, ayant inspiré les plus grands réalisateurs du genre, à commencer par McTiernan avec Predator et Mel Gibson pour son sublime Apocalypto. En relatant cette chasse à l’homme en terres sauvages Africaines, Cornel Wilde, réalisateur et acteur principal, faisait œuvre séminale, et l’on retrouve clairement ici en germes toutes les fondations mêmes de ce qui fera l’essence du genre, jusqu’à aujourd’hui encore. Bien entendu, le film a un peu vieilli, son rythme frénétique s’avérant paradoxalement assez ennuyeux dans son aspect répétitif, et les stock shots sont bien voyants. Néanmoins, nous ne pouvons que constater que sans son existence, aucun des films mythiques réalisés par la suite n’auraient sans doute vu le jour, donc nous pouvons au moins lui accorder ça, à défaut d’être inoubliable en tant que tel.

Réincarnations de Gary Sherman

Nous avons terminé avec le chouette film d’horreur 80’s, Réincarnations (Dead and buried), petite pépite oubliée et très cruelle, à l’allure de EC comics cinématographique. Comme le disait Dionnet dans sa présentation succulente, âmes sensibles vraiment s’abstenir, même si bien entendu, tout ceci n’est pas à prendre trop au sérieux, et certaines scènes peuvent prêter à sourire, notamment dans le jeu d’acteurs un peu outré. Mais le concept efficace, dont la base même justifie les crimes les plus atroces, et le rythme alerte, nous font oublier les facilités dues au genre même, et les réactions parfois aberrantes de certains personnages. Nous en garderons plutôt de très sympathiques scènes gores, nous ramenant délicieusement à ces années bénies du genre, dont nous découvrons aujourd’hui les films les plus obscurs avec nostalgie.

Police story de Jackie Chan

Samedi aura été la journée la plus difficile nous concernant, à l’issue de laquelle nous sous serons retrouvés exténués. Débutant sur les chapeaux de roue avec la présentation de Police story, dans une version 4K, présentée par Mathieu Kassovitz pour sa carte blanche, ce dernier aura fait son Kassovitz en partant en live total, à propos des films actuels, et de jolies saillies sur Marvel et Mad Max : Fury road ! Bien entendu, ses propos étaient à prendre avec des pincettes, le bonhomme étant incapable de ne pas provoquer en continu, et ceux-ci étaient là pour expliquer à quel point les exploits accomplis par la team à Jackie Chan sur ce film ne trouvaient aucun équivalent dans le cinéma actuel. Non exempt de faiblesses narratives, notamment son humour gras du bide mais pourtant très efficace, et parfois hilarant, le film vaut de toute manière uniquement pour ses cascades kamikazes qui font toujours autant halluciner aujourd’hui, particulièrement cette descente à voitures dans les bidonvilles, et la scène du bus bien entendu, inégalable. Un vrai moment de plaisir. Ensuite, c’était au tour de la double séance Blood machines et Métal hurlant.

Blood machines de Seth Ickerman

Le premier, moyen métrage français tourné en langue anglaise, et présenté sans sous titres pour cause de première mondiale, ressemble plus à un clip sous forme de gros trip visuel qu’à un véritable film, mais la proposition, même imparfaite, ne peut laisser indifférent, de par son côté différent par rapport à la production dominante francophone. Gros délire de SF organique, propulsé haut par la musique géniale de Carpenter Brut, le résultat peut se voir en acceptant de ne rien y comprendre, juste pour en prendre plein les mirettes durant 50 minutes. Quant à Métal hurlant, nous ne nous attarderons pas dessus, le film étant suffisamment mythique, mais avouons que le résultat, aujourd’hui, pique un peu les yeux, malgré son côté joyeusement foutraque, et son mélange d’érotisme et de violence qui faisait bien évidemment de l’œil à la revue du même nom, symbole de la contre culture internationale du dessin.

Come to Daddy de Ant Simpson

La dernière séance de la journée était Come to daddy, film idéal pour terminer une longue journée, comédie noire avec Elijah Wood, nous donnant le sourire dès son apparition tant son capital sympathie est énorme. Débutant comme un règlement de comptes familial au ton doux amer, le film bifurque vers le film noir Coenien, avec quelques éclats d’une violence libératrice et hilarante. Pas un grand film, mais quelque chose de très sympa qui met plutôt en joie.

Dimanche était donc la dernière journée du festival, et avouons-le, malgré cette édition de très haute tenue qui nous aura donné pas mal de pépites, il était quand même temps que ça s’arrête, votre serviteur en étant à 38 séances en tout, au-delà de quoi il était humainement difficile d’aller. Nous aurons vu seulement 2 films en cette ultime journée, et c’était bien suffisant.

The antenna de Orçun Behram

The antenna (Bina), film turc au premier abord très austère et rappelant la scène la plus aride du cinéma d’auteur contemporain du pays, avec ses silences étirés et ses personnages déphasés errant dans des décors déprimants, bifurque dans sa seconde moitié vers un film d’horreur atmosphérique à la mise en scène ultra léchée qui n’aura pas été au goût de tous, mais nous aura de notre côté convaincus d’un vrai talent naissant, qui aura besoin de se libérer de ses péchés de jeunesse, avec cette façon de se savoir filmeur doué, et d’accentuer le moindre effet cool de mise en scène, pour atteindre une vraie maturité filmique. Pour autant, le résultat, incontestablement stylé, ménage de vrais moments d’angoisse, auxquels nous n’étions pas préparés, le programme annonçant une dystopie. Nous sommes plutôt dans du film d’horreur organique évoquant quelque peu Kiyoshi Kurosawa par son ambiance délétère, son sens de l’atmosphère et son décor principal.

The true history of the Kelly gang de Justin Kurzel

La cérémonie de clôture aura comme d’habitude été interminable, entre les discours sans fin, l’annonce des grands gagnants, les courts métrages en avant programme, et enfin le film, qui aura débuté vers 21h30, pour une soirée ayant débutée à 20h. Nous avons donc eu droit au court métrage ayant remporté le prix de la compétition internationale, réalisé par Brandon Cronenberg, et ensuite au tout nouveau court, plutôt un clip pour M83 précisément, de Bertrand Mandico, chouchou du festival. Et ce dernier n’aura rien renié de son univers avec ce ExtaZus, nous ayant offert un nouveau feu d’artifice visuel, peut-être un peu trop conscient de son propre style, bégayant un peu avec ce que l’on a déjà vu de lui, pour convaincre pleinement, mais suffisamment fort visuellement pour tenir la distance tout au long de ses 20 minutes. De toute façon, de notre côté, nous étions venus pour le gros morceau de la soirée, à savoir The true history of the Kelly gang, nouveau long métrage de Justin Kurzel (Les crimes de Snowtown, MacBeth et le catastrophique Assassin’s Creed), évocation sans doute bien remaniée des forfaits du hors-la-loi australien Ned Kelly et de sa bande, déjà au centre de plusieurs longs métrages, dont le tout premier long métrage de l’histoire du cinéma (malgré des doutes sur sa durée réelle) , un film australien réalisé en 1906 par Charles Tait, intitulé The story of the Kelly gang. Ici, nous sommes clairement dans du cinéma ultra contemporain, assumant des choix radicaux, avec une esthétique entre le naturalisme du premier film de son auteur et la stylisation lyrique, et un rythme situé entre le contemplatif et la fureur la plus totale. Raconté de manière linéaire, il s’agit au final d’un bel objet appuyant ses effets, pas forcément très finaud, mais regorgeant de cinéma de la première à la dernière image, et électrisé par quelques fulgurances de violence faisant leur effet, même si l’on n’est pas dans une crudité comme sur Les crimes de Snowtown. Le film sortira très certainement dans les salles courant 2020, donc comme d’habitude, nous nous étendrons plus dessus le moment venu. Voilà, c’en est fini pour cette belle édition plus riche que les dernières nous concernant, un 25ème anniversaire fêté de la plus belle des manières, et dont on espère que l’équipe de sélection saura s’en souvenir pour en garder le meilleur l’année prochaine. Nous serons là, comme toujours, insatiables que nous sommes.

Palmarès

Compétition internationale de Longs métrages Prix nouveau genre Canal + : Vivarium de Lorcan Finnegan

Prix du Public : The odd family : Zombie sale de Lee Min-jae

Compétition internationale court métrage
Grand public Canal+
Please Speak Continuously and describe your experiences as they come to you de Brandon Cronenberg

Prix du public (ex-aequo)
Vagabondages de Guillaume Pin
Portrait en pied de Suzanne d’Izabela Plucinska

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