Port Authority : rencontre avec la réalisatrice Danielle Lessovitz

Tout comme la vie, le cinéma est une affaire de diversité. En nous plongeant dans le monde de la ball-culture et du voguing au sein d’une communauté LGBT, Port Authority vient nous conter une formidable histoire d’amour entre un jeune homme un peu perdu et une femme transgenre. Filmé avec une authenticité et une sincérité désarmante, le film surprend et émeut. Après avoir été présenté dans la section Un certain regard à Cannes, Port Authority a cette fois atterri dans la sélection du festival de Deauville où il est présenté en compétition. La réalisatrice Danielle Lessovtiz était présente pour défendre le film, de quoi nous donner envie de la rencontrer :

Comment vous est venue l’idée de Port Authority ?

Je traversais une période difficile à l’époque, mon père venait de se suicider et je ne me sentais vraiment pas bien. C’est là que j’ai découvert les ballrooms et il y avait quelque chose de très beau, de très douloureux mais aussi de très transcendant pour le corps dans la danse. Ça a résonné très fort en moi. J’ai donc poussé mes recherches plus loin et fait beaucoup de rencontres pour réaliser que dans ce milieu, des familles se forment. Pas des familles de sang évidemment mais des familles de cœur avec un père, une mère, des frères et des sœurs. J’ai réalisé que cette communauté qui est marginalisée avait trouvé le moyen de vivre en célébrant l’humanité la plus profonde et la plus belle au fond d’eux et j’ai absolument voulu en parler car c’est pour moi quelque chose qui manque vraiment à la société d’aujourd’hui.

C’est une histoire très classique, celle d’un garçon qui rencontre une fille et tombe amoureux. Elle se déroule cependant dans un milieu rarement vu au cinéma qui rend le film unique, comment avez-vous abordé votre histoire ?

Depuis le début, j’ai voulu raconter une histoire très classique se déroulant dans ce milieu. La forme de récit classique était celle la plus à même d’honorer cette communauté. Leurs danses sont de toute évidence très cinématographiques, j’avais envie de filmer ça sans pour autant perdre le spectateur. Il me fallait donc des personnages attachants comme Wye dont on sent qu’elle a souffert mais qu’elle est forte et comme Paul, qui tombe follement amoureux d’elle et qui se retrouve avec de profondes interrogations. Pourquoi se refuserait-il le privilège d’aimer quelqu’un qui l’aime ?

Une chose frappante à propos de Paul, c’est qu’il est de toute évidence amoureux de Wye mais qu’il lui ment dès le début au lieu d’assumer et de lui dire la vérité sur sa situation, pourquoi l’avoir écrit ainsi ?

Je voulais écrire quelque chose de différent sur cette communauté. La plupart des gens pensent qu’être transgenre, c’est faire preuve de duplicité, c’est cacher son identité avec une autre alors que c’est beaucoup plus complexe que ça, ils assument certainement avec plus de liberté leur identité. Avec Paul, je voulais écrire quelqu’un de très effacé, peu sûr de lui, il n’a pas de famille, il dort dans un abri avec ses SDF. Il ne répond pas aux critères qu’il sait qu’on attend de lui. Je voulais parler aussi de ce regard que l’on porte dans la vie vers nos modèles, comme nos parents, qui nous donnent une idée de comment on doit se comporter, en tant qu’homme ou en tant que femme. On a donc des idées préconçues sur comment l’on doit agir sans pour autant vraiment savoir pourquoi. C’est surtout plus fort chez les hommes où ils ont très vite une idée préconçues de comment ils doivent agir en tant qu’hommes dans la société. Avec Paul, je voulais parler de ça pour mieux m’en écarter par la suite. Je trouve ça triste que tant de jeunes personnes ressentent cette pression sur ce qu’ils pensent qu’ils doivent être.

Comment travaillez-vous avec les acteurs ? Vous faites des répétitions avant le tournage ?

Non pas vraiment, j’ai choisi les acteurs en fonction de ce que je pensais qu’ils pouvaient apporter aux personnages. Mon scénario est écrit dans sa structure globale, je connais mes personnages mais sur le tournage, je laisse beaucoup de liberté aux acteurs, je les laisse improviser, je vois où ça mène. Je ne sais pas vraiment ce qu’est un réalisateur, je sais simplement que sur le tournage, je suis mon instinct, ce n’est pas quelque chose de cérébral, c’est vraiment quelque chose que je sens.

On a vu tellement de films à New York. Comment filme-t-on New York en 2019 en pouvant être original ?

J’ai simplement filmé le New York tel que je le connais, parfois banal, parfois sale, débordant d’immeubles. Je ne me suis pas vraiment posé la question de la mise en scène, j’ai suivi mon regard. Je ne sais pas vraiment ce que pensent les gens quand ils voient le film mais je n’avais pas envie de faire de New York quelque chose d’exceptionnel. Je connais très bien la ville, je voulais qu’on ressente son quotidien, sans idées préconçues. Mais c’est une ville changeante, le temps que j’écrive le scénario et que je le tourne, Harlem avait tellement changé, c’est affolant. On a dû aller tourner dans le Bronx pour retrouver la sensation qu’on avait à Harlem à l’époque. Je suis sûre que si je tournais le film aujourd’hui, le film serait différent.

Port Authority est l’un des premiers films que l’on voit qui est si authentique sur la communauté transgenre. Vous sentiez-vous investie d’une certaine responsabilité quant à la représentation que vous en faites ?

Il n’y a pas le choix, je devais être la plus honnête possible. Après je ne prétends pas connaître tout de cette communauté, je n’ai montré que ce que je connaissais. J’ai énormément travaillé sur le scénario avec beaucoup de gens de cette communauté, notamment sur les dialogues avec Leyna Bloom qui a apporté beaucoup au rôle de Wye. Je voulais être la plus honnête mais je suis sûre qu’il y a des éléments sur lesquels je me trompe, ça ne reste que ma représentation de cette communauté, je suis loin d’être universelle. Il n’y a que dans la diversité des films sur cette communauté que l’on touchera au vrai. Et surtout je n’ai pas fait un film politique, enfin de façon subtile, Port Authority est forcément un peu politique mais c’est avant tout une histoire d’amour, j’en avais besoin pour faire adhérer le spectateur au récit et à cet univers. Le but étant bien sûr de lui ouvrir l’esprit, de lui donner envie d’en découvrir plus sur cette culture et cette communauté, de regarder Pose ou My House par exemple. Car je tiens à préciser que Port Authority n’a pas du tout la vocation d’être le film ultime sur cette communauté, il n’est qu’une porte ouverte.

Avez-vous des projets pour la suite ?

Oui ! Je ne peux pas en parler mais je travaille actuellement sur un nouveau projet.

Propos recueillis à Deauville le 13 septembre 2019. Un grand merci à Matthieu Rey et Danielle Lessovitz.

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