L’Etrange Festival : Jour 8

Depuis quelques jours, nous sommes lancés dans les cartes blanches, pour les 25 ans du festival, et la carte blanche spéciale accordée à Jean-Pierre Dionnet. Nous voyons encore des films contemporains, mais l’essentiel de nos journées est consacré à ces découvertes de films plus ou moins mythiques qui manquaient à notre culture. Et hier, nous avons débuté avec du lourd, du très lourd, grâce au choix du cinéaste expérimental Philippe Grandrieux, L’ascension, réalisé par Larissa Chepitko en 1977. Film soviétique choc par excellence, on peut le rapprocher de la puissance traumatique d’un Requiem pour un massacre, chef d’œuvre de Elem Klimov, ce qui n’est pas un hasard, puisque la réalisatrice du film qui nous intéresse ici était l’épouse de ce dernier.

L’ascension de Larissa Chepitko

Comme nous l’a expliqué Philippe Grandrieux dans sa présentation, ce qui est passionnant ici, et pour lui dans le cinéma en général, est de sentir en regardant une Œuvre, à quel point sa conception a été rude pour tout le monde, à commencer par les acteurs, dont on sent ici qu’ils ont réellement souffert dans la neige, face aux éléments naturels. C’est un cinéma organique, sensoriel, ramené à son essence la plus pure, qui ne montre que les Hommes dans des conditions extrêmes, et dans un contexte terrible. Situé en Biélorussie, pendant la Seconde guerre mondiale, tandis que l’armée allemande avance sur le Front Russe, on suit deux partisans soviétiques partant dans la forêt afin d’assurer le ravitaillement d’un bataillon. Avec cette puissance de mise en scène qu’est la sienne, le film nous propulse au cœur de ses images, en une sorte de fusion qui opère des les premières minutes, avec ces longs plans d’hommes marchant difficilement dans la neige, chacun de leurs pas étant ressenti viscéralement par le spectateur. C’est un cinéma intime, ne se complaisant pas à filmer la souffrance, mais qui n’épargne rien de l’horreur qui se joue là. Les visages sont filmés avec une picturalité saisissante, chacun d’eux est un paysage en soi et raconte une histoire, on voit revivre ici Dreyer, c’est à la fois exigeant et accessible, dans le sens où l’on suit des personnages pour qui l’on compatit du début à la fin, malgré les réactions parfois lâches qu’ils peuvent avoir. Le contexte veut ça, et la fin terrible secoue particulièrement sur tout ce qu’elle donne à comprendre de l’abjection de ce qui se joue là. Du grand cinéma, et une découverte majeure nous concernant, quelques mois seulement après la découverte pour votre serviteur du Requiem pour un massacre évoqué plus haut. Une page majeure du cinéma mondial.

La vengeance mexicaine (Barbarosa) de Fred Schepisi

Ensuite, nous avons eu la chance d’assister à la projection de l’un des films choisis par Jean-Pierre Dionnet, et rien qu’à l’idée de le voir s’exprimer devant nous sur son choix nous remplissait de joie avant même la séance. Le film s’appelle La vengeance mexicaine (Barbarosa), et c’est une curiosité de 1982, avec un casting qui fait bien plaisir, où l’on trouve notamment l’inénarrable et ici excellent Gary Busey. Western méconnu, au ton atypique, il s’agit d’une traque absurde motivée par des envies de vengeance, comme son titre l’indique, mais disons-le tout net, celles-ci finissent très rapidement par en perdre tout sens, ce que le film entend bien démontrer. L’inanité de la vengeance est finalement rarement traitée par le western,  genre très codé du cinéma Américain, aux personnages généralement plus manichéens, malgré une seconde vague initiée par les Westerns crépusculaires de Clint Eastwood. Ici, le ton est assez curieux, puisqu’il s’agit pendant une bonne partie du film d’une comédie, pas spécialement hilarante, au tempo particulier, où la dynamique entre les deux acteurs principaux ne se fait pas immédiatement. Ce qui nous amène lentement à un discours assez cruel sur cette notion de vengeance où les personnes impliquées sont tellement enfermées dans leurs rancoeurs que rien ne semble pouvoir apaiser ce désir primaire, indissociable de l’Homme, qui depuis la nuit des temps, ne peut s’empêcher d’entretenir ce type de notion. Ici, les motifs sont à la fois la perte de tous ses fils pour l’un, et pour l’autre, plus incompréhensible, le fait de ne pas avoir digéré que sa fille se soit mariée avec le fameux Barbarosa contre sa volonté. Ce qui entraîne donc nos deux compères, interprétés par Gary Busey et Willy Nelson, à s’allier contre ces gens voulant leur perte. Nous avouerons ne pas être particulièrement enthousiastes devant le résultat, malgré le respect que l’on peut avoir pour celui qui a choisi de le montrer, avec toute la verve dont il est toujours capable, mais il est toujours bon de découvrir ce type de film, même mineur, qui ajoute toujours une pierre à l’édifice de notre culture cinéphagique. L’étrange est aussi un endroit pour ça, et le résultat est de toute façon loin d’être déshonorant, s’avérant même assez inhabituel sur certains points. Inégal donc, mais pas inintéressant.

Gwen (La terre des oubliés) de William McGregor

Pour finir, nous nous sommes dirigés vers la salle 500, pour voir un film de la Compétition, Gwen (ou La terre des oubliés en français, le film a été acheté par The jokers, encore eux, mais on doute qu’ils se risquent à une sortie salles). Œuvre atmosphérique, c’est le moins que l’on puisse dire, le film nous entraîne en pleine région désolée du Pays de Galle, pendant la Révolution Industrielle, où vit une jeune adolescente avec sa petite sœur et leur mère pour le moins sévère. Le père a disparu, et l’on ne sait s’il est mort à la Guerre ou s’il les a simplement abandonnées, et la famille ne semble pas vivre en harmonie avec les habitants alentour, notamment les hommes  de la carrière qui mettraient bien la main sur le domaine. Malgré leur refus de quitter ce dernier, la tension va monter jusqu’à l’inévitable, mais nous n’en dirons pas plus, car le film joue clairement sur son rythme ultra contemplatif, pour ne pas dire ascétique, d’une aridité qui peut dans un premier temps décontenancer, surtout à ce stade du festival et en fin de journée (la séance précédente dans la même salle était le sublime Lillian, vu pour notre part il y a quelques mois, et déjà pas le film le plus nerveux), mais pour peu que l’on soit réceptif à ce type d’ambiance, le résultat a de quoi fasciner et emporter dans son climat funèbre entretenu jusqu’au bout par un jeune réalisateur particulièrement rigoureux pour une première œuvre. Cela semblera peut-être incongru, mais nous avons presque pensé au Cheval de Turin, face à ces actes du quotidien répétés, sur une mise en scène accordant une grande place aux gestes, d’une lenteur millimétrée, où le moindre jump scare fait donc effet de vrai évènement, car contrairement aux daubes de studio sortant en masse dans les salles, ces derniers sont ici totalement justifiés, par exemple les éclairs, et plus tard une vision ayant produit son petit effet sur l’audience. Difficile d’en dire plus, si ce n’est que la maîtrise formelle a de quoi laisser pantois, avec un travail sur le cadre et la photo assez remarquable, mais également une captation du son, notamment le vent, produisant un effet très immersif. Bref, un film pas forcément accessible au plus grand nombre, mais dont le crescendo horrifique maîtrisé a fini par nous coller quelques réels frissons, dans une ambiance véritablement glaçante. A demain, si les transports nous le permettent, pour la suite de la carte blanche à Jean-Pierre Dionnet, avec deux films que l’on a très envie de voir, La proie nue et le film d’horreur à priori typiquement 80’s, Réincarnations.

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