Mindhunter Saison 2 : Parle-moi de mort

La première saison de Mindhunter avait fait forte impression, jouant avec la fascination morbide que l’on peut éprouver pour les serial killers. Dirigée de main de maître par David Fincher et son équipe, il aura fallu pas moins de 2 ans, pour que cette suite voit le jour. Inutile de le cacher plus longtemps, l’attente fut longue (pour les standards de Netflix) mais indispensable pour avoir une saison 2 à la hauteur de son ainée. Mais qu’en est-il réellement de son contenu : on prend les mêmes et on recommence ? Ou une nouvelle trajectoire s’offre à nous ?

Un savant mélange des deux ! Si la première saison nous a conditionné à attendre fébrilement les fameux entretiens avec les tueurs, à la manière des discussions Clarisse/Hannibal du Silence des Agneaux, le reste de l’action bénéficie du même soin à l’écriture. On conserve tout de même le magnétisme qu’exercent ces monstres sur nous, avec le teasing fait sur l’apparition et la confrontation de Charles Manson. Vendu comme une véritable rockstar avec un nom qui fait écho dans le réel même chez les profanes, l’entretien avec ce dernier parvient habilement à nous « décevoir » pour mieux nous recadrer. Cette confrontation, littéralement au centre de cette saison, aussi délicieuse soit-elle (avec une performance dingue de Damon Herriman, qui campe aussi le rôle du célèbre criminel dans Once Upon a Time in Hollywood), regorge de trouvailles pour faire descendre Manson de son piédestal. Un peu comme s’il était ce passage obligé (et quel passage !) avant de retourner à l’intrigue. Dans le même ordre d’idée, nous ne revoyons Ed Kemper que quelques courtes minutes (où il décrédibilisera un peu plus Manson), avant de passer à autre chose, tout comme BTK qui, comme dans la saison 1, continue d’apparaître le temps de quelques scènes. Les tueurs en série bénéficient de moins de temps d’exposition mais leur aura n’en est pas entachée pour autant et continue de planer de plus belle. La parole étant aussi donnée aux victimes, les témoignages sont un terreau fertile pour notre imagination. Tout comme lorsque les inspecteurs arpentent les lieux de crime en essayant de reconstituer la scène : point de flashbacks tapageurs ici, juste une description qui nous pousse à nous faire notre propre film intérieur des actes sordides ainsi décrits. Le reste du casting peut alors s’exprimer plus longuement que les tueurs, toujours au cœur de dialogues ciselés avec une précision chirurgicale.

En effet, l’accent est mis sur l’avancée des recherches sur le profiling, encore tâtonnantes, de notre trio de tête, mais aussi sur leurs problèmes personnels. Ceux-ci sont toujours mis en exergue par la force des dialogues. Bill Tench n’en finit pas avec ses drames familiaux et ses engueulades avec sa femme ; Holden Ford doit batailler ferme avec son ego pour imposer son point de vue novateur, sans pour autant empiéter sur les méthodes des autres ; enfin, Wendy Carr se voit progressivement relayée au second plan (jusqu’à n’apparaître que quelques secondes lors de l’épisode final) tout en devant jongler entre sa vie privée et sa vie professionnelle (en cachant son homosexualité à ses collègues). Ces scènes, quelles qu’elles soient, passent toujours par le verbe et dans ce domaine, cette deuxième saison n’a pas à rougir devant la première. Les échanges fascinent alors qu’ils sont délivrés avec la maestria que l’on connaissait déjà à la série. Le registre de langage, le ton, la verve, l’intonation ou encore le rythme : rien dans la forme n’est laissé au hasard, tout comme dans la mise en valeur des propos. Certaines interactions s’apparentent à des combats (pression, attaque, riposte…) en opposition à celles plus empathiques qui retranscrivent l’impuissance des victimes et leur colère sincère, comme le bruit qui s’oppose au silence (dont la valeur est amplifiée ici) ou la vérité s’oppose à la langue de velours des charmeurs (tueurs, mais aussi les politiciens). Tout est affaire de dynamique, de prise de pouvoir (Manson qui monopolise la parole), de rhétorique, de séduction (Tench conteur d’anecdotes hors pair) et bien entendu de mise en scène.

Que ce soit ces décors froids et confinés (habitacle de voiture, bureaux vétustes, salles d’interrogatoires…) si aseptisés que notre attention n’est jamais dispersée, ces musiques viscérales qui se juxtaposent discrètement à la bande son (tout comme certains bruits ou voix en hors-champ) ou le jeu sur l’espace (les séparations par le vide ou par le cadre, la position des personnages, le jeu sur les flous ou bien les plans qui se font écho), rien n’est laissé au hasard, tout est millimétré. Le ton est toujours juste, que l’on rentre dans l’intimité de l’un des protagonistes ou que l’on continue avec leur vie professionnelle. Le tout est appuyé par les performances des acteurs dont le sous-jeu nous oblige à guetter la moindre micro-expression, comme un bon petit profiler qui devra se fier à son jugement. A l’instar de Holden dont les convictions seront mises à mal, notamment avec l’intrigue des meurtres d’enfants à Atlanta qui prendra toute la seconde partie de la série, dénonçant au passage la ségrégation que subissent les habitants sans jamais alourdir bêtement le propos. Au contraire, on y découvre quelques enjeux politiques qui ne manqueront pas d’épaissir encore le bourbier de cette enquête.

Avec tous ces éléments si justement agencés, Mindhunter s’impose comme une véritable réussite sur tous les plans, sachant conserver sa ligne directrice tout en se renouvelant dans son traitement. Petite merveille d’écriture, cette saison 2 est un cours pour qui veut apprendre à écrire et mettre en scène des dialogues. La série sait habilement retranscrire le pouvoir de fascination qu’exercent les tueurs en série, tout en nous mettant à nouveau en garde, plus frontalement cette fois, quant à celui-ci. S’il faut attendre encore 2 ans ou plus pour avoir à nouveau une suite de cette qualité, ainsi soit-il.

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