Catch 22 : Les ailes de l’enfer

Roman culte aux États-Unis, véritable chef-d’œuvre antimilitariste, dénonçant avec force l’absurdité de la guerre, la bêtise des hauts gradés et l’aliénation des soldats forcés de combattre, Catch 22 de Joseph Heller avait déjà eu les honneurs d’une adaptation sur grand écran en 1970 sous la houlette de Mike Nichols. En dépit de sa belle distribution comptant Alan Arkin, Jon Voight, Orson Welles, Anthony Perkins, Martin Sheen, Art Garfunkel ou encore Martin Balsam, le film peinait à bien retranscrire la folie douce qui s’écoulait du roman de Heller, ne la captant que le temps de quelques séquences fortes, manquant malheureusement de liant.

La volonté de remettre le roman au goût du jour sous la forme d’une mini-série écrite par David Michôd et Luke Davies semblait l’occasion idéale pour donner à l’œuvre de Joseph Heller une nouvelle résonance tant l’actualité de son propos n’a pas dévié d’un iota. Soit, pendant la seconde guerre mondiale, l’histoire d’une base aérienne américaine stationnée sur une petite île de la Méditerranée. Régulièrement envoyés faire des raids pour bombarder des villes en Italie, les soldats ont un quota de missions à atteindre avant de rentrer au pays. Mais l’impitoyable colonel Cathcart ne cesse d’augmenter le quota des missions. Yossarian, seul homme vraiment lucide parmi une belle galerie d’allumés, est prêt à tout pour rentrer chez lui sain et sauf. L’idéal serait de se faire passer pour fou pour être dispensé du combat mais l’article 22 le dit : ‘’Quiconque veut se faire dispenser d’aller au feu n’est pas réellement fou.’’ Dans ce contexte, il s’agit donc de survivre, aux ennemis certes, mais aussi à la folie ambiante.

On ne vous conseillera que trop de vous précipiter vers le roman de Joseph Heller, aussi hilarant que glaçant pour vraiment saisir la portée de Catch 22 (Heller parle d’ailleurs d’expérience, l’homme ayant effectué une soixantaine de missions aériennes pendant la seconde guerre mondiale). Cela dit, cette mini-série se voit comme une adaptation fidèle, gardant l’absurdité des dialogues, pointant la bêtise totale de la hiérarchie militaire (souvent plus occupée à se tirer dans les pattes qu’à œuvrer pour ses soldats) tout en donnant un certain fil rouge au récit, le roman en étant relativement dépourvu. Le travail d’écriture de Michôd et Davies est soigné, allié à une réalisation de qualité à laquelle on retrouve Ellen Kuras mais aussi Grant Heslov et George Clooney, également producteurs et acteurs dans la série. Étrangement Michôd, réalisateur pourtant talentueux, n’aura participé qu’à l’écriture.

L’avantage de la mini-série, c’est qu’elle retrouve l’essence du roman en s’attardant largement sur les personnages, permettant de s’inscrire dans une durée plus conséquente, nous attachant peu à peu à eux avant que la tragédie ne les frappe. Car si Catch 22 respecte bien la drôlerie de l’œuvre d’Heller, elle n’en demeure pas moins lucide quant à la violence de la guerre, celle physique causant de nombreuses pertes certes, mais celle psychologique laissant de sacrés stigmates sur des hommes dont tout le monde se fiche, sans cesse renvoyés faire des raids pour qu’un colonel puisse obtenir une médaille. Aussi drôles que puissent être les saillies du colonel Cathcart (interprété par l’excellent Kyle Chandler), on ne peut que rester glacé d’effroi face à ses affirmations et ses décisions arbitraires. Même chose du côté des civils italiens. Alors que les américains se posent en libérateurs, ils ne font qu’ajouter à la misère des civils, peut-être ceux les moins bien lotis du récit. Il faut voir une femme de ménage italienne se faire violer et tuer sans conséquence et une fillette proposer une masturbation à un soldat lui donnant un bijou pour saisir l’étendue de la misère semée par les bombardements.

Parmi tous ces personnages aveuglés par leur bêtise, leur ambition capitaliste, leur violence ou leur naïveté, seul Yossarian semble être parfaitement lucide et se pose alors comme notre boussole morale. Incarné avec une belle humanité par Christopher Abbott, Yossarian, de par sa clairvoyance et son dégoût du combat permet rapidement au spectateur de s’identifier à lui et de se retrouver embarqué dans le récit, pestant contre la bêtise humaine et militaire. On saluera d’ailleurs tout le casting de la série, impeccable de bout en bout avec la présence d’une flopée de jeunes talents (Daniel David Stewart, Rafi Gavron, Austin Stowell, Graham Patrick Martin, Lewis Pullman) tandis que des vétérans comme Kyle Chandler, Kevin J. O’Connor, George Clooney, Giancarlo Giannini et même Hugh Laurie (malheureusement sous-exploité) viennent se régaler dans des seconds rôles assez irrésistibles.

Aussi drôle que terrifiante, Catch 22 est une découverte qu’il serait donc dommage de louper, ses 6 épisodes se dévorant rapidement, permettant de refaire le constat déjà bien établi mais salutaire de l’absurdité de la violence qui, c’est bien connu, profitent seulement à ceux la menant derrière des bureaux.

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