Le Déserteur : Land of Hope and Dreams

On n’avait pas eu de nouvelles de Maxime Giroux depuis 2014 et son rayonnant Félix et Meira, histoire d’amour entre un homme solitaire et une femme juive hassidique mariée. Le voilà qui revient avec une proposition radicale et audacieuse, Le Déserteur, portée par Martin Dubreuil (le Félix de Félix et Meira) mais aussi de sacrés seconds rôles comme Reda Kateb, Sarah Gadon, Romain Duris ou Soko.

Le Déserteur (ou La Grande Noirceur, son titre original que l’on préfère) se déroule dans un Ouest américain intemporel et sauvage. Quelque part, une guerre fait rage. Philippe a fui Montréal pour éviter la mobilisation et s’est réfugié dans l’Ouest, vivant difficilement de concours d’imitations de Charlie Chaplin. Il ne va cependant pas tarder à découvrir que la cruauté humaine ne se limite pas qu’à la guerre et va faire face à la violence de l’Amérique…

Difficile de classer le film, déchéance d’un homme dont les derniers remparts de naïveté (il cite le monologue de fin optimiste du Dictateur de Chaplin lors de la scène d’ouverture) vont vite s’écrouler face à la brutalité de ce monde. En choisissant de situer le film en Amérique, Maxime Giroux en dit long sur la violence inhérente à ce pays s’étant construit dans le sang, quitte à caricaturer un peu les terrifiants personnages que Philippe croise, à l’image d’un Romain Duris glaçant en marchand d’humains ou d’un inquiétant vendeur de cigarettes incarné par Cody Fern. Mais la force du Déserteur est de ne jamais situer chronologiquement son récit. Si les trains rappellent le western et que les costumes et voitures font penser aux années 40/50, le film se permet quelques sorties de route comme une chanson de R.E.M, achevant de rendre totalement intriguant l’univers dans lequel le récit se déroule, comme s’il était éloigné du nôtre, tout en étant radicalement proche.

C’est bien ce trouble sur lequel le film avance qui le rend aussi fascinant, cachant son manque de budget par un univers singulier (avec des transitions météorologiques étonnantes) mais ne sacrifiant jamais son ambition thématique, quitte à être parfois un peu didactique. La mise en scène de Maxime Giroux colle toujours à Philippe, l’enfermant (à de rares exceptions près) dans un cadre serré, l’étouffant dans un monde vaste ne lui laissant pas la possibilité d’exister. A ce niveau-là, Le Déserteur est un film assez dur, auquel il faudra s’accrocher pour ne pas en perdre le fil, se montrant aussi exigeant avec son spectateur qu’impitoyable avec son personnage, montrant la face rugueuse du rêve américain, auquel il faut être préparé pour pouvoir y survivre. De ce périple, Maxime Giroux tire un film en forme de fable, posant un regard sans concession sur une Amérique rongée de l’intérieur, face à laquelle même le plus grand des optimistes (Philippe ne représente-t-il pas l’essence de Chaplin ?) ne peut plus rien…

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