Une Fille Facile : Songe d’une nuit d’été

Objet très particulier que cette fille facile, nouveau film de Rebecca Zlotowski, faisant suite à Planetarium, film ambitieux et échec public assez retentissant. C’est donc avec une œuvre à priori plus modeste qu’elle nous revient, et qui a su attirer d’emblée l’attention des cinéphiles avec son combo assez risqué de film d’auteur avec Zahia Dehar. Qui ça ? Mais si, vous savez, la fameuse call girl de l’affaire Ribéry, donnant ici la réplique à des comédiens renommés tels que Benoît Magimel ou Clotilde Courau (dans un petit rôle), bref, il y avait de quoi être circonspect autant que fortement intrigué. À tel point que l’on se souciait plus de découvrir comment la cinéaste allait bien pouvoir filmer la jeune femme que de quoi parlerait concrètement le film.

Débutant du point de vue de Naïma (que l’on ne lâchera pas de tout le film), adolescente de 16 ans vivant à Cannes, le film pourra très rapidement être assimilé à une sorte de conte initiatique, dans la lignée de ce que pouvait proposer Eric Rohmer. Fonctionnant comme une comédie érotique badine, et légèrement superficielle, le résultat s’avèrera vite plus complexe que ce que cette appellation un peu facile pourra faire croire. Ne pas comprendre par là que celui-ci s’éloignera de cette atmosphère solaire si plaisante, mais plutôt que derrière la façade innocente, d’un banal récit d’été sur deux jeunes femmes libres de leurs corps et de leurs désirs, vivant tout ce que des adolescentes de cet âge sont censées éprouver, percera une profondeur insoupçonnable au début, et pourtant évidente dans le mystère entourant la fameuse Sofia (incarnée, donc, par Zahia), la cousine du personnage principal, et présence envoûtante tout autant que mystérieuse.

Comment décrire ce que l’on ressent devant un film ne prétendant pas changer le monde, plutôt nous faire partager un été tout sauf anodin, durant lequel la jeune femme va découvrir le désir mais aussi le regard que portent les hommes sur elle, et ce sans avoir recours à de grandes considérations pédantes, toujours sur ce ton faussement léger, finalement très évocateur ? Sur une mise en scène particulièrement délicate, sensorielle, jouant beaucoup sur le son, et sur les éléments (le vent, les arbres, la nature en général) pour nous immerger, simplement et élégamment. Le gros du récit se concentrera sur la rencontre avec un playboy milliardaire et un ami à lui (interprété par Benoît Magimel, et on y reviendra), les embarquant sur un yacht, pour aller rendre visite à une femme richissime à l’attitude snob (Clotilde Courau), vivant sur la côte italienne. Un pitch pas très excitant sur le papier, qui sera l’occasion pour la cinéaste de parler de lutte des classes, et plus particulièrement du mépris des classes aisées (pour rester poli) vis-à-vis des classes populaires, symbolisées, par ces jeunes femmes, qui de leur côté, sont tout à la fois fascinées et pas dupes face à cet étalage de superficialité maquillé en modèle de vie. À ce titre, un dialogue entre Clotilde Courau et Zahia fait sens d’une manière fort réjouissante, lorsque cette dernière évoque des références culturelles que la bourgeoise prend pour une pose de jeune femme ne sachant pas de quoi elle parle, et qu’elle tente de prendre en défaut. Sauf que la jeune femme ne se démonte pas et répond du tac au tac, montrant qu’elle sait bien de quoi elle parle. Un moment fort et très parlant, qui, sur un ton léger, éloigné de tout discours sentencieux, dit pourtant beaucoup sur une fracture bien plus profonde que l’on ne pourrait croire.

Parlons maintenant de l’interprétation, grande question du jour, puisque cela ne semblait pas gagné de rendre crédible une actrice non professionnelle (mais là n’est pas le problème) au pédigrée aussi atypique. Face à une Mina Farid impeccable, en témoin de ce qui se joue à côté d’elle, faisant passer toute la fascination de son personnage avec force nuances, nous la rendant immédiatement attachante, Zahia compose un personnage assez insondable, où tout doit passer par l’attitude, plus que par les mots. Mais lorsque ceux-ci sortent, la diction très particulière de la comédienne ne manque pas de frapper le spectateur ! Ce n’est pas que la jeune femme joue mal, seulement que nous revient à l’esprit la BB du Mépris, avec les mêmes tics de langage et la même attitude. Quant à savoir si cette ressemblance assez troublante est volontaire ou due au hasard, nous ne le saurons jamais vraiment, mais qu’importe au final, car l’incarnation qu’elle aura su donner à son personnage restera en nous bien longtemps après la projection, souvenir d’un personnage évanescent et profond derrière la façade un peu cruche.

Loin du tract féministe si facile en cette ère de woman washing allant dans l’extrême inverse des vieilles habitudes masculinistes, Rebecca Zlotowski va au contraire nuancer sa caractérisation de personnages, loin de toute facilité schématique, et réservera au final le plus beau rôle du film à un homme,  à savoir Benoît Magimel, transfiguré, jamais aussi bon que lorsqu’il donne l’impression de ne plus jouer, et d’être son personnage, le plus simplement du monde. Humain et émouvant, totalement éloigné des porcs ou autres pervers narcissiques dont on nous rebat les oreilles, la tendresse que lui porte la cinéaste crève l’écran et donne l’occasion de scènes précieuses et touchantes, participant au charme si particulier du film.

Au final, l’on retiendra du film une ambiance rafraîchissante, au son d’une guitare acoustique pénétrante, celle d’un été à la fois inoubliable et évanescent, comme un souvenir d’adolescente un peu modifié par le temps, aux allures de songe d’une nuit d’été. Et celui, étrange, d’une jeune femme qui aura su garder tout son mystère, s’éclipsant on ne sait où, aussi rapidement qu’elle sera arrivée.

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