Once upon a time… in Hollywood : QT nous ouvre son coeur !

Film le plus attendu de l’année par les cinéphiles du monde entier (et même les autres), nouveau long métrage (et peut-être le dernier à en croire les dires de l’intéressé) de Quentin Tarantino, rare exemple de cinéaste star, ayant imposé au fil des ans un style tout personnel, et engendré une descendance de copieurs incapables d’imposer leur patte, on peut dire qu’il s’agit de l’un des réalisateurs phares en activité, capable de créer une attente démesurée à chaque annonce de projet. Pensez donc, une peinture du Hollywood de 1969, l’année de transition, entre les années hippie, avec ses espoirs d’amour universel, et la prise de conscience brutale qui aura suivi, avec les 70’s nihilistes, dont on peut dire que l’assassinat abominable de Sharon Tate aura été le déclencheur. Forcément, lorsque le pape de la cinéphilie hardcore, n’ayant jamais cessé de clamer son amour du cinéma bis, alternatif, tout autant que classique, s’attaque à une année aussi charnière, on pressent déjà l’œuvre somme, mixant discours amoureux envers l’industrie de l’époque, et beaucoup plus amer sur la fin de l’innocence, avec dans un même film, les personnages de Sharon Tate (forcément), Bruce Lee, Charles Manson se mêlant à des créations sorties du cerveau de Quentin. Tout cela suffisait à faire monter l’excitomètre au-delà de ses limites, laissant espérer l’œuvre pop ultime, et le condensé orgasmique de toute la filmographie de son auteur.

Présenté en grande pompe au dernier festival de Cannes, occasionnant files d’attente épiques, avec forcément spectateurs refoulés, l’évènement aura été total, accentué forcément par la venue sur le tapis rouge du réalisateur accompagné de son trio star de choc, à savoir Leonardo DiCaprio, Brad Pitt et la sublimissime Margot Robbie. Comme souvent avec ce type d’évènement, la réception critique du film aura été, non pas médiocre, mais quelque peu décontenancée, et le film sera reparti les mains vides à l’issue de la cérémonie de clôture. Alors, comment aborder un film sur lequel ont déjà été dites pas mal de choses, par des journalistes forcément un peu paralysés par l’impossibilité à dévoiler les éléments clés du scénario (sur demande de Quentin lui-même), tournant autour du pot, et ne permettant donc pas de se faire une idée claire du résultat ? Tout simplement en y allant vierge de tout à priori, en essayant de ne pas se laisser influencer par quelque avis que ce soit, et en acceptant le voyage que nous propose son créateur. C’est parti, donc, pour 2h41 de pur cinéma, Tarantinien en diable, tout en proposant des choses assez rares dans sa filmographie, ce qui aura participé à la déception de certains.

Débutant sur une interview télé des deux protagonistes principaux du film, à savoir l’acteur Rick Dalton (campé par Leo) et Cliff Booth (sa doublure cascades, l’impérial Brad Pitt), nous expliquant avec un brin de désinvolture en quoi consiste le métier de chacun, on est d’emblée projeté dans le monde du film, et l’on retrouve ce sens inné du dialogue qui claque, chaque réplique étant balancée sur le timing parfait, par des acteurs que l’on sent déjà comme des poissons dans l’eau, totalement à leur aise chez le cinéaste (il faut dire que les deux avaient déjà eu l’occasion de s’échauffer, le premier dans Django Unchained, l’autre dans Inglourious Basterds). Construit comme une sorte d’instantané d’une époque, le film se déroule sur un court laps de temps, essentiellement sur une journée, avant de faire un saut de plusieurs mois lors de son épilogue. Véritable mosaïque où se mêlent les destins individuels, mélangeant personnages fictifs et réels, et saupoudré de nombreux extraits de la série dans laquelle joue l’acteur fictif Rick Dalton, et parfois de films réels, Quentin nous livre ici sa déclaration d’amour à l’industrie du rêve, telle qu’il la voudrait éternelle. Ce n’est un secret pour personne, nous vivons actuellement un bouleversement assez considérable du monde du cinéma Hollywoodien, totalement chamboulé par l’arrivée des nouvelles plateformes ayant modifié en profondeur la perception du public sur ce que devrait être l’expérience cinéma pure.

On ne peut qu’imaginer à quel point le cinéphile ultime qu’est Tarantino vit ça comme une déchirure, lui qui aura grandi en fréquentant les salles les plus mal famées spécialisées en doubles programmes, et il n’y a rien donc rien d’étonnant à le voir prendre la défense du cinéma dans son ensemble, à savoir tant le cinéma « noble », que les séries B, mal vues par la plupart des cinéphiles « de bon goût », et pourtant, selon lui, essentielles à la compréhension totale du cinéma dans sa globalité. Il cite donc, comme à son habitude, des cinéastes oubliés (si ce n’est des purs et durs), tels que Antonio Margheriti ou Sergio Corbucci, qui auront contribué au même niveau, si ce n’est plus, que les plus grands, à ce qu’il a construit comme Œuvre. Ses détracteurs habituels ressortiront donc les éternels arguments vaseux, de ceux qui parlent sans connaître et pour ne rien dire, sur la supposée absence de talent d’un cinéaste se contentant de piller sans recul et en prenant la pose ses cinéastes de chevet, sans rien proposer de personnel. Nous laisserons donc les éternels grincheux, incapables de revenir sur leurs à priori rances, à leurs idées faussées, pour savourer comme il se doit la magnifique déclaration d’amour d’un cinéaste mûri, ne brandissant plus ces références uniquement pour le plaisir du cool (ce qui n’empêchait pas ses films d’être géniaux), mais bel et bien comme outils narratifs servant à la perfection le discours parcourant le film dans son ensemble. Jamais théorique, ou en tout cas, pas dans le sens froid et auto centré du terme, toujours tourné vers son public et une envie de préservation d’une idée de la cinéphilie de moins en moins partagée, le résultat s’avère étonnamment très émouvant, voire mélancolique sur les bords. Vendu comme un film léger à la reconstitution réjouissante, il s’agit en vérité d’une déambulation dans un L.A. à la veille d’une sacrée gueule de bois, comme une sorte de rêve de petit garçon fantasmant le réel, où justement le réel et l’imaginaire ne cessent de fusionner dans un ensemble d’une grâce et d’une élégance rares.

Il est assez étonnant de constater que finalement, contrairement à ce qui a pu être dit, le film est un peu moins dialogué que ce à quoi nous avait habitués Quentin jusque là. Certes, les dialogues sont toujours là, et raisonnent toujours aussi bien à nos oreilles, certains d’entre eux pouvant d’ores et déjà prétendre au panthéon déjà bien fourni du cinéaste. Cependant, celui-ci laisse cette fois une large part aux plages atmosphériques, voyant par exemple le personnage de Brad Pitt dans sa voiture, avec la radio en fond, ou encore les scènes mettant en scène Sharon Tate, alias Margot Robbie, irrésistible au-delà de tout, dont on met au défi n’importe quel spectateur de ne pas tomber amoureux d’elle illico. Et toutes ces scènes, dont nous ne dévoilerons rien, sont une pure déclaration d’amour aux actrices, véritables muses, sans lesquelles les metteurs en scène ne sont rien. Iconisée et immortalisée avec un respect qui provoque une émotion fulgurante, il s’agit à la fois d’un geste bouleversant envers la comédienne au destin tragique, et un rôle en or pour Margot Robbie, qui pourtant n’est pas beaucoup présente à l’écran.

Centré pour une grande partie sur le désœuvrement de Rick Dalton, acteur has been de séries western dans lesquelles il est condamné à jouer éternellement les méchants, en pleine remise en question, et sur l’amitié qui l’unit à son homme à tout faire, l’arc central est là encore, une façon pour QT d’affirmer que le cinéma ,et en l’occurrence dans ce cas précis, la télévision, ne sont rien sans ceux qui les font, des acteurs principaux aux techniciens, auxquels hommage est rendu comme il se doit. Louant l’artisanat à l’ancienne, le film n’est pourtant jamais enfermé dans un discours bêtement passéiste, et tente d’accepter l’avenir, tout en affirmant qu’il faut savoir regarder en arrière, et ne pas se contenter de vivre les choses au présent.

On pourrait dire beaucoup sur les prestations exceptionnelles de tout le casting, d’un DiCaprio une fois de plus phénoménal, à la fois pathétique et bouleversant, d’un Brad Pitt en retrait, dont le jeu modeste épouse parfaitement la trajectoire de son personnage, et qui par la moindre nuance dans les expressions de son visage, parvient à évoquer un tas d’émotions, nous touchant littéralement au cœur et nous rappelant quel immense acteur il est ; et bien sûr de Margot Robbie, divine, douce et incarnation de l’innocence, sans oublier le moindre second rôle, ayant pour chacun au moins un moment n’appartenant qu’à lui. On pourrait également évoquer le soin maniaque accordé à la reconstitution d’époque, ne laissant rien au hasard, jusqu’au moindre élément disposé dans le décor. Tout est exécuté avec un respect du spectateur qui force une admiration de plus en plus rare dans le cinéma actuel. Que ce soit la mise en scène virtuose, toujours juste, alternant mouvements amples de caméra et plans fixes sur certains dialogues, gestion impeccable de l’espace, le tout servi par une photographie miraculeuse, aux couleurs chaudes rappelant « Pulp fiction », tout est sublime et un régal pour les yeux.

En vérité, il est encore trop tôt pour partir dans des analyses approfondies, surtout en devant garder le secret sur l’épilogue (CHUT), tout juste finirons-nous en affirmant qu’il s’agit bel et bien du poème de Tarantino, comme un souvenir de ce qui a été, ou qui aurait dû être, un conte dont la sincérité et le respect dont il peut faire preuve à chaque instant envers ses personnages (inventés ou ayant existé), font ressembler le film à un rêve éveillé, totalement cohérent dans la filmographie de son auteur, et dont il est quasiment impossible de remettre en cause la foi absolue en ce qu’il raconte et en le medium en général dont il fait preuve à chaque instant, au point de nous faire croire profondément en tout ce que l’on voit. On a beaucoup évoqué Jackie Brown pour évoquer le ton général, plus doux amer et tendre qu’habituellement, et il est indiscutable que Tarantino, pour son peut-être ultime film (on frémit rien qu’en écrivant ça), a fait preuve d’une douceur qu’on ne lui connaissait que peu. Au final plus émouvant que réjouissant, à la fois doux et triste, moins violent qu’à l’accoutumée, le film ne se consomme pas comme n’importe quel autre. On en savoure chaque instant (hormis peut-être une ou deux scènes poussives), les 2h40 (le montage a été légèrement revu depuis Cannes, un peu remanié et allongé) passent en un éclair, et l’on a comme une envie immédiate de le revoir. Une densité peu commune, suffisamment unique aujourd’hui pour en profiter, et saluer définitivement son instigateur comme l’un des plus grands réalisateurs du cinéma Américain (et du cinéma tout court) de tous les temps, à l’origine de l’une des œuvres les mieux pensées et pertinentes que l’on puisse imaginer.