Face à la nuit : La routine du film d’auteur

Lauréat du grand prix du Jury au dernier festival de Beaune, Face à la nuit du Malaisien Wi-ding Ho nous parvient donc précédé d’une réputation flatteuse, et il faut reconnaître que la bande annonce séduisante augmentait notre curiosité à son encontre. Doté d’un concept fort et audacieux (sur le papier), le film nous entraîne à Taiwan, et débute dans le futur, dans une cité rappelant forcément, par sa stylisation formelle, de prestigieux prédécesseurs, Blade Runner en tête. On sent dès le premier plan impressionnant, se soldant par un suicide frontal (capté en un plan séquence), l’ambition évidente du cinéaste, dont c’est le cinquième long-métrage. Construit en 3 actes mettant en scène un homme à 3 âges de sa vie, joué par 3 acteurs différents, et montés à rebours, le film se veut une balade atmosphérique émaillée d’éléments de polar et de genre, mais dans un style très languissant évoquant là aussi pas mal de cinéastes, notamment Wong Kar-wai pour ses ambiances sophistiquées et romantiques. Il y avait donc tout pour séduire les adeptes d’un cinéma misant sur les sensations plus que les mots, où la mise en scène langoureuse enveloppe le spectateur qui se sent bien dans cet univers forcément éloigné du quotidien. Plus tôt dans l’année, nous avions eu droit à un moment de cinéma particulièrement fort avec le sublime Un grand voyage vers la nuit du chinois Bi Gan, et l’on espérait secrètement le même genre d’expérience ici. Malheureusement, on se rendra compte très rapidement que cela ne sera pas le cas, la faute à une structure générale qui nous a semblé un brin artificielle, ayant bien du mal à faire exister ses personnages, coquilles vides dont on peine à se sentir proches.

La première partie est celle qui se rapproche le plus du genre du polar, d’où la présence du film au festival du film policier de Beaune, même si l’on pourra justement discuter son appartenance au genre. Nous y faisons la connaissance de Lao Zhang, ancien flic au comportement auto destructeur dont le passé lui revient à la figure lors d’un passage dans une maison close où la jeune femme qu’il rencontre pourrait bien être la fille de son amour de jeunesse,  histoire d’amour dont nous pourrons mieux comprendre les enjeux dans la seconde partie qui se situe dans le présent, partie plus romantique, et peut-être la plus intéressante, même si là encore, il nous a semblé que l’émotion avait un peu de mal à se transmettre au spectateur. La troisième partie met en scène l’histoire familiale de notre personnage principal, censée expliquer ses comportements futurs et nous le rendre définitivement attachant.

Le souci principal semble justement se situer dans cette construction prometteuse sur le papier, qui peut dans le meilleur des cas, en étant très maîtrisée, accentuer les effets dramatiques et entraîner des sommets d’émotion. Ce n’est pas le cas ici, car l’on sait très vite ce qu’il adviendra du personnage, et sa personnalité opaque a du mal à nous toucher pour le reste, ce qui impacte forcément le film dans son ensemble. Des exemples de structures inversées, le cinéma contemporain en propose un certain nombre, et le film peine justement à nous les faire oublier et à faire entendre sa petite musique personnelle. Même l’esthétique censée être séduisante finit par lasser, car on a déjà contemplé ce type d’ambiance et d’éclairages au néon, le cinéaste ayant du mal à nous emporter de manière sensorielle dans son univers. On se retrouve donc dans un film n’assumant pas son appartenance au genre, et dont les éléments de science fiction ou de polar ne semblent être là que pour faire de l’œil à un certain type de spectateurs, mais dont on se dit que s’il en avait été expurgé, cela n’aurait pas changé grand-chose à sa finalité.

Car c’est bien là selon nous le plus gros problème du film, à savoir qu’il se contente au final d’une histoire familiale dramatique comme on en a déjà vu des centaines, avec ce rythme confondant un peu langueur (pouvant être fortement séduisante) et mollesse générale, qui finit quelque peu par nous anesthésier, par manque d’une vraie proposition formelle qui soutiendrait le tout. Les scènes paraissent donc étirées pour rien, et le film de brasser du vide, sur fond de musique évoquant ces films indépendants de type Sundance, tous interchangeables.

Dire qu’il s’agit d’un navet serait exagéré, car l’on sent malgré tout une envie de cinéma non concluante, et provoquant plus de frustration que d’agacement. Car le cinéaste a visiblement les mêmes goûts que nous, mais se contente trop de son petit drame d’auteur calibré pour les festivals prestigieux, au lieu d’exploiter à fond le potentiel infini de son univers et de son concept. On peut sauver l’interprétation de la française Louise Grinberg, mystérieuse et envoûtante, capable en peu de scènes de donner une certaine épaisseur à son personnage. On en ressent d’autant plus fortement le manque lorsqu’elle disparaît fatalement de l’intrigue, le film paraissant victime à ce moment là de son concept auquel le cinéaste est obligé de s’accrocher, donnant lieu à cette conclusion nous laissant quelque peu perplexe.

On ne sait qu’ajouter, le film décevant fortement là où l’on attendait une vraie proposition de cinéma. On se contentera donc d’une toute petite œuvre, pas antipathique, loin s’en faut, mais donnant l’impression d’un gâchis pour un potentiel infiniment plus prometteur. Le cinéma est ainsi fait, les déceptions en font partie, et l’on s’en remettra facilement …

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