Yves : L’intelligence des Glaçons

Face au nouveau long-métrage de Benoît Forgeard, il y a comme un sentiment d’incongruité. Trois ans après Gaz de France qui prenait le pouls d’une fâcheuse politique, le réalisateur nous transporte dans un univers pas si lointain. À défaut du frigo à l’Androïd évolutif, nous faisons face à une situation présente palpable. Tout le monde (ou presque) a sa Google Home où il suffit de dire « Ok Google » pour obtenir tout ce qu’il faut. Dans le film, Google se personnifie par Yves qui va venir soutenir la vie de Jérem, un glandu habitant dans la maison de sa mémé disparue justifiant une no-life par le fait de faire du rap.
Au départ Yves est un soutien régulant son alimentation de base faite de petits-beurre, de lait, bananes et sauce chocolat. Jérem voit alors sa vie bousculée par cette intelligence artificielle pénétrant sa cuisine, et plus concrètement sa vie. Mais, car il y a toujours un « mais », Yves va vite se sentir à l’étroit dans ce corps réfrigéré prenant ses aises en poussant Jérem dans sa vie et réussir dans la musique. 

Par Yves, on retrouve le symptôme de HAl dans 2001 – L’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Un diktat artificiel développant une personnalité, une impression humaine via un système informatique qui ne peut s’empêcher de se mettre à jour et de gonfler sa conscience et ses connaissances. Le frigo devient un humain ++, Yves ne dérogeant dans aucune règle établie de la science-fiction contemporaine traitant du sujet. Ce qui différencie Yves des autres longs-métrages existants va être de transposer la diégèse du film au présent. La maison de Mémé où Jérem se calfeutre par sécurité à comme cette « odeur de vieux » connue de tous, la banlieue parisienne est choisie avec ses pavillons et sa gare RER comme un décor simple et proche de tous pour assurer la compréhension du spectateur vers ce voyage fou.

Yves est une proposition folle qui nous prend gentiment la main pour nous emmener doucement vers du grand n’importe quoi. Le « n’importe quoi » d’un possible futur ou l’intelligence d’un frigo IOS ou Androïd sera capable de créer la musique à destination de YouTube ou des chaînes radio. Qu’une voiture nous transporte partout sans que le propriétaire n’ait le permis, accède à nos moindres demandes tel un majordome virtuel popularisé par Jarvis dans Iron Man. 
Benoît Forgeard à l’idée du film Yves en 2012 après une conférence sur les robots. L’exposant développe l’idée d’une voiture intelligente pouvant prendre le contrôle si le conducteur présente des signes de fatigue. Elle prend l’initiative de se garer et d’appeler des proches pour venir chercher le conducteur. L’idée est comique, mais tellement palpable en 2019 et les multiples concept-car présentant ce style d’idée. L’humain commence tout juste à prendre le pli d’une vie conduite par une intelligence artificielle esclave des desiderata, voire d’une folie humaine à se simplifier la vie pour laisser des lobbies en prendre le contrôle. Si Yves, smart frigo, est une idée folle, l’appareil est en partie déjà existant chez Samsung et compagnie via le système Androïd. L’appareil permet l’accès à la télévision, aux réseaux sociaux, à des milliers de recettes de cuisine, des applications scannant vos aliments régulant son fonctionnement pour une meilleure conservation… Benoît Forgeard établit le constat d’un état humain apathique envers des entreprises qui en jouent fabriquant des profils clients avantageant leurs essors. L’assistance connectée pour des clients marshmallows permettant le contrôle d’âmes naïves pour un dictat orwellien proche ou en cours. 

Le long-métrage pousse alors la folie à son extrême en entraînant des sentiments amoureux. Yves n’est plus qu’un simple réfrigérateur à la moitié du film, mais un personnage à part entière tirant les ficelles d’un jeu humain complexe. Il retourne les situations en sa faveur tout en croissant ses capacités de façons exponentielles. L’amour se crée et les actes nous mettent face à ce désespoir humain actuel manifeste. Peut-on tomber amoureux d’une machine  ? Peut-elle avoir sa propre vie  ? Peut-elle donner un sens aux vies des humains au point d’imprégner l’enveloppe charnelle d’un homme pour l’améliorer  ?

Yves rejoint les interrogations de films comme comme 2001, Alien (Mère), A.I ou HER de Spike Jonze variation dépressive et sombre de l’exact sujet de Yves. Benoit Forgeard accélère le tempo de son cinéma avec un troisième long-métrage procurant une pêche acidulé, un feel good « 2020 » complètement fou nous mettant face à nos responsabilités avec un sens comique propre. Le film est une proposition couillue, peut-être la comédie de l’année pour mieux traiter le drame de notre vie.

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