Dirty God : La tête haute

Premier film en langue anglaise de la réalisatrice Sacha Polak, mais son troisième long métrage, après « Hemel », distribué en France en catimini en 2014, et « Zurich », inédit quant à lui, ce projet est parti pour la cinéaste d’un festival de musique où cette dernière a aperçu une femme avec des brûlures au visage, que tout le monde autour dévisageait. Ayant discuté lors de ses recherches avec plusieurs femmes brûlées lors d’attaques à l’acide, le film s’est donc construit autour de cette idée, d’une jeune femme ayant toute la vie devant elle, dont l’existence se trouve chamboulée en un instant par une attaque à l’acide perpétrée par son ex. Comment continuer à vivre avec cette souffrance psychologique et cette marque indélébile recouvrant une partie de son corps, ainsi que le regard des autres ? Là où l’on aurait pu craindre une énième chronique naturaliste grisonnante et tristoune, du genre beau portrait de femme forte qui malgré les obstacles et l’intolérance, parviendra à aller au-devant des problèmes et à se reconstruire, la cinéaste va plutôt opter pour un traitement vivant et à la forme libre, affranchie des banalités du genre, dans un geste cinématographique moderne et généreux.

Elle le dit d’ailleurs en entretien, elle a cherché, avec son directeur de la photographie Ruben Impens, à travailler les couleurs de manière à s’éloigner du réalisme documentaire trop souvent privilégié dans ce type de chronique. Visant plutôt une sorte de réalisme stylisé, évoquant les cinémas très contemporains de Lynne Ramsay ou Andrea Arnold, elle atteint ainsi une puissance décuplée, car sans chercher à tout prix une esthétique documentaire qui serait gage de vérité ultime, l’audace de cette forme très travaillée, aux couleurs très marquées, ancre le film dans une modernité du cinéma qui pourrait tout à fait toucher un public plus large que la moyenne de ce type de film. Il faut dire également que le choix de son actrice principale, Vicky Knight, est pour beaucoup dans l’effet de proximité atteint au final. Il faut avouer qu’en voyant le film sans avoir pris connaissance du dossier de presse, il est impossible de savoir que cette jeune femme si touchante évoluant devant nous sur l’écran revient véritablement de loin, et a vécu un drame similaire à celui qu’elle traverse dans le film, ayant été prise dans un incendie lorsqu’elle était jeune, et ayant donc traversé les mêmes épreuves que son personnage dans le film. Même si les brûlures ne sont pas les mêmes et qu’elle a donc du passer par une phase de maquillage, son vécu et ses marques réelles ont permis une interprétation d’autant plus intense. A la première vision, on ne voit que le travail impressionnant d’une actrice impliquée à 100% dans son rôle et faisant passer toutes les émotions possibles au spectateur, sans tomber dans un quelconque pathos ou excès. En ayant cette donnée supplémentaire à l’esprit à l’issue de la projection, le film trouve une autre résonnance, et fait réfléchir au-delà d’une simple histoire scénarisée qui toucherait le temps du film, pour quitter l’esprit ensuite.

Le risque était grand de tomber dans une sorte de sensationnalisme déplacé et un brin malsain, quant à la question de la sexualité difficile pour des personnes ayant de telles séquelles physiques. Rien de tout ça ici, et pourtant la cinéaste n’esquive pas les points sensibles de pareil postulat. Certaines images sont crues, et pourront déranger des spectateurs non avertis, mais le but n’est clairement pas de choquer le bourgeois avec des images chocs uniquement là pour faire preuve de jusqu’au-boutisme, mais au contraire pour traiter son sujet de la façon la plus honnête possible, sans hypocrisie. L’audace de la réalisatrice à traiter les problématiques de son sujet complexe jusqu’au bout, sans en rajouter dans le scabreux, en respectant la dignité physique et morale de son personnage, et celle de sa jeune actrice téméraire et courageuse, forcent le respect, et poussent à réfléchir sur des choses auxquelles on n’aurait habituellement pas cherché à accorder la moindre importance, tout simplement parce que l’on n’a pas l’habitude d’entendre parler de personnes vivant ce genre de drames, et de tout ce que cela implique. Peut-être est-ce dû à une certaine hypocrisie, qui pousse tout un chacun à ignorer des choses qui dérangent, mais ce type d’évènement propre à chambouler une existence peut, en principe, arriver à n’importe qui, n’importe quand, et l’ignorer revient à faire preuve de lâcheté. Ouvrir les yeux et apprendre à regarder des personnes qui malgré les séquelles, et l’impossibilité à revenir à leur vie d’avant, restent des êtres humains ayant droit de vivre les mêmes choses que tout un chacun, donne l’impression d’en sortir un peu grandi humainement, et ne peut donc faire de mal à personne.

Si l’on voulait chipoter un peu, on pourrait éventuellement affirmer que l’échappée marocaine, justifiée par un élément de scénario que l’on ne peut dévoiler ici, si elle est indispensable quant à l’évolution du personnage principal et à son acceptation d’elle-même, est peut-être un peu trop longue en partant du principe que l’on en connaît l’issue depuis longtemps. Sans révéler quoi que ce soit de cette partie de l’intrigue, on se contentera d’affirmer que c’était un passage obligé pour bien montrer à quel point le besoin de s’accrocher au moindre petit espoir d’un avenir meilleur, permet à certaines personnes malhonnêtes d’abuser de la fragilité humaine. Le spectateur n’est jamais dupe, mais le personnage a besoin de croire, ainsi que de cette désillusion inévitable qui s’en suit, afin de pouvoir par la suite avancer. On aura en revanche un peu plus de mal à comprendre comment l’entourage direct de la jeune femme peut à ce point ne pas réagir…

En tous les cas, le film fait preuve d’une humanité et d’une empathie admirables, sur un sujet assez rare, dont on aura bien du mal à se souvenir d’un équivalent dans le cinéma, récent ou pas, et qui fera donc office de baume réparateur pour toutes les personnes devant malheureusement vivre avec ce type de séquelles, et poussera peut-être les autres à un peu plus de tolérance, même si sur ce dernier point, il nous sera malheureusement permis de rester prudents. Quoi qu’il en soit, reste le film, aussi beau et maîtrisé dans sa forme, que touchant et nécessaire dans le fond.

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