Greta : Knockin’ on hell’s door

Neil Jordan ! En voilà un nom qui fait plaisir à revoir sur un écran de cinéma. Réalisateur popularisé grâce à son adaptation d’Anne Rice en 1994, Entretien Avec Un Vampire, on lui doit des films atypiques à la poésie dévorante où le fantastique côtoie sans cesse la banalité du quotidien. Parmi ses œuvres notables, on pourra citer La Compagnie des Loups, Prémonitions ou encore son dernier film en date jusqu’alors, Byzantium. Trois films aux concepts forts, servis avec maestria par des acteurs exceptionnels et le savoir-faire indiscutable de Jordan. Car, s’il y a bien une chose que Jordan aime par-dessus tout, c’est le talent de ses comédiens. Il sait aller capter le meilleur de ses acteurs et arrive à magnifier toute la sensibilité du jeu de ces derniers pour en extirper des séquences inoubliables. Il nous revient avec un projet plus « classique » ici. Greta est un thriller psychologique où il n’y aura jamais de notion de fantastique. Nous faisons la connaissance de Frances McCullen, une jeune femme venant de perdre sa mère. Un jour, elle trouve un sac à main dans le métro et décide d’aller le rendre à sa propriétaire. Elle fait la connaissance de Greta Hideg, une professeure de piano hongroise et veuve. Les deux femmes vont nouer une amitié très forte. Frances trouve en Greta une mère de substitution, mais elle va vite découvrir les véritables intentions de sa nouvelle amie.

Ce qui stupéfait d’emblée avec Greta, c’est la nature de l’œuvre en elle-même. Nous sommes bien loin du lyrisme habituel de Neil Jordan. L’histoire est linéaire, les péripéties s’enchaînent vite, parfois pas de manière subtile… On se croirait devant le premier film d’un jeune réalisateur. Non pas qu’il soit indigeste, loin de là, mais Greta emporte d’emblée le spectateur dans une spirale infernale qui ne fait qu’accentuer encore et encore son malaise permanent afin d’y distiller au mieux son suspense. Le film révèle très rapidement les intentions de Greta dans son premier tiers. Neil Jordan ne joue avec aucun faux-semblants, il préfère la radicalité de la menace et du harcèlement poussif de son personnage. Bien qu’il peut paraître bancal de prime abord, le suspense se révèle particulièrement efficace au fil du récit, et tout ceci grâce à une seule et unique chose : le talent incommensurable de ses deux têtes d’affiche. Isabelle Huppert est glaciale, impartiale et terrifiante. Elle semble renouer avec son personnage d’Erika, la terrible professeure de piano dans le film de Michael Haneke. Un tantinet caricaturale ici, elle déploie toute la profondeur de son machiavélisme sans aucune grâce (désolé Isabelle), mais jamais sans un certain panache. Grossière dans sa manière d’aborder son rôle, elle décontenance. Ses premières scènes à l’écran sont franchement risibles. Entre son accent à mi-chemin entre le français, le hongrois et l’anglais qui sonne faux, et sa posture rigide et froide, elle ne laisse rien présager de très bon. Et pourtant, le talent dans la direction d’acteurs de Neil Jordan vient faire des prouesses. Il arrive à nous rendre crédible un personnage caricatural, on prend conscience de sa violence et on arrive à la craindre. La posture rigide d’Isabelle Huppert devient sa plus belle arme pour nous traumatiser. Elle déambule derrière sa proie façon Michael Myers avec les yeux écarquillés, on n’aimerait pas du tout avoir affaire à elle. Greta fera penser au film de Takashi Miike, Audition, dans sa manière d’aborder sa violence graphique. Une violence qui sied parfaitement à Isabelle Huppert qui nous interprète la folie comme on aime la voir au cinéma. Une folie excessive, mais crédible…on en tremble encore !

Bien évidemment, si le jeu d’Isabelle Huppert prend tout son sens au fil des minutes, il fallait quelqu’un qui puisse jouer la terreur comme personne. Force est de constater que Chloë Grace Moretz, du haut de ses 22 ans, sait convaincre de sa souffrance de manière flamboyante. Encore une nouvelle facette que la jeune actrice découvre et étoffe avec Greta, on ne l’avait pas encore vu en vraie victime (en dépit de son beau rôle dans Carrie). Elle transpire le talent par tous les pores de sa peau. Elle impressionne par tant de justesse et de précision. On sent que Neil Jordan s’est régalé à la mettre en scène. Il capte la terreur comme on ne l’avait plus vu au cinéma depuis longtemps. Chloë Moretz inspire cette sympathie quasi-immédiate chez le spectateur. On se prend vite d’affection pour son personnage et on vit à 300% le calvaire qu’elle va traverser aux côtés de son bourreau. On ne pouvait pas rêver mieux comme têtes d’affiche. D’autant que Neil Jordan n’a pas perdu de son goût prononcé pour les séquences chocs. Loin d’être un Tarantino dans l’âme, Jordan sait, toutefois, quand et comment frapper juste. Greta ne déroge pas à sa règle. Le film regorge de quelques scènes gores bienvenues qui sauront marquer le spectateur… Jamais plus vous n’oserez faire de pâtisseries en duo avec votre mère. Les scènes horrifiques savent être marquantes d’autant que la mise en scène demeure soignée et élégante. Neil Jordan soigne ses cadres. Il privilégie des grands angles, il aime capter toute l’énergie (même moribonde) qui se dégage des pièces qu’il filme. Ce qui lui permet de contraster son rythme lent par des plans serrés et vifs lorsqu’il décide de remuer le spectateur. En jouant sur ces cassures de rythme, il arrive à maintenir le suspense jusque dans son final. Un final loin d’être transcendant, voire même assez téléphoné, mais qui arrive, tout de même, à nous rassasier.

Greta est un film mineur au sein de la filmographie de Neil Jordan. Il ne révolutionne absolument pas le genre. Pour autant, il saura être ce film qui vous fera frissonner le temps de son visionnage et qui remplira parfaitement sa mission. Greta aurait pu être ce film de série B totalement passé inaperçu, mais qu’on aurait eu plaisir à conseiller et faire découvrir à l’époque des vidéo-clubs. Loin d’être dénué de qualités, Greta prévaut surtout pour ses deux têtes d’affiche complémentaires et parfaitement dirigées par un réalisateur qu’on aimerait voir plus souvent dans nos salles.

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