Miracle en Alabama : L’enfant sauvage

C’est une histoire vraie comme les américains en raffolent, preuve de la belle détermination de l’esprit humain face aux épreuves. Helen Keller, jeune fille devenue sourde et aveugle à la suite d’une congestion cérébrale lorsqu’elle n’était qu’un bébé. Sa famille, issue d’une riche lignée du Sud des États-Unis, incapable de communiquer avec cet enfant sauvage, ne sait plus quoi faire. Alors qu’elle a sept ans, Helen reçoit l’enseignement d’Anne Sullivan, jeune femme autoritaire elle-même malvoyante. Le travail d’Anne est colossal : il s’agit d’apprendre à Helen le langage, lui faire comprendre que chaque chose correspond à un mot. Cela ne se fera pas sans heurts, Helen étant une enfant à qui ses parents cèdent tout, mais l’enfant finira par apprendre à communiquer et à parler.

Cette fascinante histoire vraie ne pouvait qu’intéresser le cinéma et c’est ainsi qu’en 1962, Arthur Penn réalise Miracle en Alabama, grand film bouleversant, trop oublié dans l’histoire du cinéma, un peu à l’image de son cinéaste que l’on réduit trop souvent à ses deux films les plus connus : Bonnie and Clyde et Little Big Man. La sortie du film en Blu-ray et DVD, disponible chez Rimini Editions depuis le 16 avril dernier entend remettre le film sur le devant de la scène et prouver la pertinence des choix de catalogue de son éditeur.

Quand Arthur Penn réalise Miracle en Alabama, il en est à son second long-métrage mais il est déjà familier de l’histoire d’Helen Keller. En effet, avec le concours du dramaturge William Gibson, fasciné par le parcours de Keller, il a déjà réalisé un téléfilm et mis en scène une pièce de théâtre sur la relation entre Helen et Anne Sullivan. Gros succès à Broadway, la pièce attire les faveurs du cinéma. Penn, refroidi par les problématiques rencontrées sur Le Gaucher, négocie farouchement la production de son film : il se tournera en dehors d’Hollywood avec deux actrices non bankables, à savoir Anne Bancroft et Patty Duke, qui ont créé les rôles au théâtre. Qu’importe que Duke soit désormais trop âgée pour le rôle, elle en a la pleine connaissance et les deux actrices sont rodées.

A l’aise avec son sujet, Arthur Penn expérimente les joies de la mise en scène de cinéma. On a souvent qualifié son Bonnie and Clyde comme l’un des précurseurs du Nouvel Hollywood. Miracle en Alabama témoigne déjà de l’envie du cinéaste de casser les codes, de ne pas faire du cinéma au sens hollywoodien classique. Influencé par le cinéma européen, Penn se permet quelques audaces formelles, inscrivant son film dans un mélange de réalisme saisissant (avec de très longues scènes, notamment une incroyable séquence d’affrontement entre Helen et Anne sans dialogue de près de dix minutes où Helen apprend par la manière forte à se servir d’une cuillère) et de symbolisme fort, avec une introduction quasi-onirique et une utilisation du flash-back en surimpression et en flou.

Tout le film transpire l’envie du cinéaste de faire les choses différemment, de casser les codes cinématographiques, d’utiliser un autre langage, aussi bien sur le plan de la narration (avec deux personnages principaux forts mais de prime abord peu sympathiques et de façon générale des personnages moralement complexes) que sur celui de la mise en scène et du montage.

Les détracteurs d’Arthur Penn pourront toujours arguer qu’il a toujours eu tendance à un peu trop souligner son propos. Le fait est que son approche est celle qui évite à Miracle en Alabama de sombrer dans la lourdeur. La grandeur de son sujet est telle que la plupart des autres cinéastes se seraient pris les pieds dans le tapis avec un film larmoyant, grande leçon de vie et de résilience. Avec l’aide précieuse de William Gibson à l’écriture, Arthur Penn évite ces écueils et fascine de par les affrontements incessants (et violents) entre Helen et sa préceptrice. Celle-ci, qui a connu une enfance difficile et n’avait que vingt ans à son arrivée chez les Keller, se montre intransigeante et brutale, n’hésitant pas à remettre les parents à leur place pour mieux apprendre les choses à Helen.

Cette relation, véritable pierre angulaire d’un film tout à fait bouleversant, fascine de bout en bout et ce jusqu’au dénouement du récit. En collant au plus près d’Helen, d’Anne et de la violence de leurs rapports dans les premiers temps, Penn évite la larme facile et offre une œuvre proprement palpitante où les rapports de force servent aussi d’apprentissage. L’ouverture d’Helen au monde ne se fait pas sans violence mais elle est nécessaire (une chose récurrente dans le cinéma d’Arthur Penn). Une belle leçon de vie, dispensée sans emphase par un cinéaste déjà maître de ses moyens, offrant à ses deux actrices des rôles pour lesquelles elles seront justement oscarisées, leur travail corporel se montrant proprement hallucinant. A l’image de tout le film.

1 Rétrolien / Ping

  1. Alice's Restaurant : La fin d'une utopie -

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*