Sibyl : Virginie Efira au sommet

En seulement deux films, Justine Triet s’est imposée comme l’une des valeurs sûres du jeune cinéma d’auteur français, de celui dont est fier, sachant se mettre dans la poche la presse branchée parisienne et un public habituellement réfractaire, assimilant de façon primaire « film d’auteur » à « film pour bobos » ! Avec l’énergique La bataille de Solférino et le sophistiqué Victoria, qui nous avait définitivement fait tomber amoureux de Virginie Efira, il était donc naturel que la cinéaste se retrouve au plus haut niveau, à savoir dans la compétition Cannoise, en lice pour la Palme d’or si convoitée. Et lorsque l’on voit le casting 4 étoiles réuni ici, tous les fantasmes sont permis, concernant le résultat final.

Dans une veine bien plus névrosée que son précédent, rejoignant quelque peu l’état d’esprit chaotique de son premier long, mais en plus contrôlé, on suit donc Sibyl, anciennement romancière, reconvertie dans la psychanalyse, rattrapée subitement par ce désir intense d’écrire, et décidant donc de quitter la plupart de ses patients du jour au lendemain. Alors qu’elle cherche l’inspiration, Margot (Adèle Exarchopoulos, qui pleure beaucoup, mais avec talent), jeune comédienne, l’appelle dans un moment de détresse avancée, la suppliant de l’aider. Au fil des séances avec cette jeune femme tourmentée, elle va trouver la base de son nouveau roman, en intégrant dans celui-ci les confidences de sa patiente. Embarquée sur les supplications de Margot sur un tournage à Stromboli, son passé amoureux va refaire surface, entraînant une suite de situations de plus en plus incontrôlables …

Sur ce canevas très français, qui entre des mains peu délicates, pourrait sombrer dans une caricature de drame auteuriste et auto centré, autour des problèmes de cœur et de cul des riches, la cinéaste, avec patience, va au contraire viser une forme de romanesque au montage fragmenté mais fluide, électrisé par les flashs mémoriels de Sibyl, se rappelant les moments érotiques avec son ex campé par Niels Schneider, intervenant au moment de confidences de sa patiente, le passé de chaque personnage se répondant bien évidemment, pour un résultat quasiment sensoriel dans le sens où le montage fait clairement appel au passif de chaque spectateur, qui pourra éventuellement y mettre de lui-même. Dans un style assez déprimé, moins évident dans l’immédiat que ses précédents films, on sent clairement la cinéaste consciente de son statut, visant un cinéma plus cérébral, comme si elle pensait déjà à une éventuelle sélection Cannoise. On peut trouver le résultat un peu trop intellectualisé, moins facile que Victoria, moins grand public, mais pour peu que l’on accepte son ton angoissé et ne prêtant pas franchement à la rigolade, il sera permis de se plonger avec plaisir dans son dédale amoureux, et d’admirer la qualité globale des dialogues, dont le côté très écrit pourrait donner un aspect trop littéraire à l’ensemble, et donc faux, mais qui dans la bouche de tous les acteurs formidables, se transforment en petit lait.

On ne dira jamais assez tout le bien que l’on pense de Virginie Efira, mais elle trouve clairement ici un rôle lui permettant de prouver définitivement toute l’étendue de son talent, chaque dialogue semblant avoir été écrit sur mesure. Nuancée, classe et désirable, avec une facilité à balancer des dialogues compliqués avec un naturel admirable, un prix d’interprétation féminine semble clairement à sa portée. Si à l’heure où nous écrivons ces lignes, la cérémonie de clôture n’a pas encore eu lieu, on guettera donc ça avec impatience, en espérant que son talent soit reconnu par le plus grand nombre. Mais bien entendu, tous les comédiens du film sont à la hauteur, ayant chacun leur propre partition à jouer, sans laquelle l’édifice construit avec perfectionnisme par la cinéaste pourrait s’écrouler.

Pensé dans les moindres détails, on est toujours dans cette vision élégante de la comédie, même si, redisons-le, le ton est ici plus aigre que précédemment, et il ne faut pas y aller en s’attendant à y rire à gorge déployée. Tout juste sourira-t-on lors de certaines situations, pas loin de l’hystérie, mais parvenant toujours de justesse à rester dans un équilibre sans lequel l’on pourrait rester à distance des personnages et de ce qu’ils vivent. Que l’on se sente proche ou non du milieu évoqué ici, il sera difficile de ne pas se sentir attachés par ce personnage totalement paumé, à un stade transitoire de sa vie, et semblant à chaque instant s’enfoncer un peu plus dans les soucis, à un point qu’on pourrait presque croire qu’elle se complaît dans les galères. Mais au final, c’est l’empathie de la cinéaste pour son personnage qui transpire à chaque instant, se transmettant du même coup sur le spectateur.

En sortant de la salle, on n’est pas aussi enthousiaste que sur Victoria, on a la sensation d’un trop plein, d’un tout un peu trop maîtrisé, parfois un peu théorique, notamment sur la partie tournage du film dans le film, parfois un peu poussive. Le personnage de réalisatrice à bout de nerfs interprétée par Sandra Hüller (dont certains se souviendront pour son rôle dans Toni Erdmann) peut agacer, mais se révèle bien évidemment indispensable à l’intrigue générale. Rien qui ne puisse entamer le talent présent à chaque instant, bien servi par des comédiens donnant le maximum, donnant vraiment l’impression de jouer chacun l’un pour l’autre, pour mettre en valeur ses partenaires, et non pour tirer la couverture à soi. S’il est difficile de dire si le film restera longtemps en tête, on pourra au moins se satisfaire d’une comédie dramatique (bien que le terme ne veuille plus dire grand-chose), intelligente et brillante, peut-être un peu trop. On peut juste souhaiter que pour le prochain, Justine Triet retrouve ce parfait équilibre atteint sur son film précédent.

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