Fight Club : Savon, Uppercut et Philosophie

Voilà le genre de critique qu’on redoute un peu à écrire de nos jours. Il y a des films sur lesquels nous allons forcément être attendus au tournant. Des ovnis, des œuvres étranges et générationnelles qui ont profondément marquées la cinéphilie des plus érudits si bien qu’on prend le risque à chaque mot de froisser ses plus fervents admirateurs. Pour autant, Fight Club n’était pas spécialement prédisposé à devenir cet objet fascinant que l’on connaît aujourd’hui. Le film a rencontré un succès mitigé lors de sa sortie en salles en 1999. Majoritairement, et surtout en France, la presse n’a pas été tendre avec lui, dénonçant la plupart du temps un film aux idées creuses, à la violence gratuite et l’idéologie douteuse. Plus encore, les fers de lance de la critique française ont remis en cause son impact comme un ersatz d’Orange Mécanique en définissant sa violence graphique comme gratuite et tout en ne manquant pas de traîner son réalisateur, David Fincher, dans la boue en le cataloguant de « débile antipathique ». Ces mêmes auteurs qui, aujourd’hui, reconnaissent le talent de Fincher, tout comme ils adulent l’importance de l’œuvre de Kubrick. Ces même auteurs qui descendaient en flèche Retour Vers Le Futur car ils n’y voyaient qu’un conglomérat d’incohérences scénaristiques putassières englobées dans une morale faussement incestueuse… Ces mêmes auteurs que nous répugnons depuis toujours puisqu’ils n’expriment pas un point de vue à proprement parler… Ils essayent d’étaler leur bien-pensance en prêchant leurs idéaux comme l’unique et sainte parole. Nous ne citerons pas les magazines auxquels nous faisons allusion, mais vous savez de qui nous parlons.

Quoi qu’il en soit, le cas Fight Club fait parti de ces films qui laissent toute une multitude d’idées propres à une interprétation différente selon les individus qui s’y confrontent. C’est impossible d’avoir un avis bien arrêté sur le sujet. Le gamin émerveillé et stupéfait qui a découvert le film en vidéo-club à l’époque n’aura pas le même avis que celui qui vous écrit ces lignes actuellement et qui, après un énième visionnage, trouve encore de nouvelles interprétations au film de Fincher. En revanche, s’il y a bien une chose sur laquelle nous resterons d’accord, c’est que Fight Club est une expérience à vivre au moins une fois dans sa vie.

Adapté du roman éponyme de Chuck Palahniuk, Fight Club est très difficile à résumer. D’autant que nous pourrions dévoiler des éléments clés de son intrigue. Quand bien même nous aimons à penser que, 20 ans après sa sortie en salles, vous savez exactement de quoi le film traite, nous n’irons pas plus loin sur le développement de son histoire. Bien évidemment, les lignes qui vont suivre vont devoir s’appuyer sur des twists forts de Fight Club afin d’étayer nos propos. Nous vous conseillons donc de bien avoir vu le film au préalable avant de poursuivre votre lecture. Mais pour ce qui est de l’histoire de Fight Club, nous ne pouvons en dire plus puisque la première règle du fight club est qu’il est interdit de parler du fight club.

Quatrième long métrage réalisé par David Fincher (troisième pour lui puisqu’il renie totalement son premier film, Alien 3, après en avoir été privé de son final cut), Fight Club va asseoir définitivement la popularité de son auteur à sa sortie. N’ayant connu qu’un énorme succès critique auparavant avec Seven, Fincher va transcender toute la maestria de sa mise en scène à travers cette adaptation de Palahniuk. Fight Club va, dans un premier temps, assommer son spectateur. Fincher met à profit ses années d’expérience dans la publicité pour insuffler à son film un rythme nerveux, pour ne pas dire épileptique. Fight Club nous plonge d’emblée dans les errances ordinaires d’un homme ordinaire à la vie ordinaire qui cherche à trouver sa place au sein du moule sociétal dans lequel il semble avoir été jeté sans crier gare. Celui qu’on nommera le narrateur (puisqu’on ne connaîtra jamais son identité, en dépit du fait qu’il se surnommera Jack à plusieurs reprises) est interprété avec aplomb par un Edward Norton alors au summum de sa notoriété. Fincher définit son film comme un rite de passage. Le passage à l’âge adulte d’un trentenaire qui ne comprend pas encore complètement ce que la vie attend de lui. Fincher dit s’être inspiré du film de Mike Nichols, Le Lauréat, pour étayer ses propos. Si le fond de départ du sujet des deux films est assez similaire, le parcours sera bien différent sur les deux films. S’il s’agissait de sortir de l’adolescence par le prisme d’une romance interdite dans Le Lauréat, dans Fight Club, le parcours sera beaucoup plus violent et sinueux. Le narrateur essaye de trouver sa place dans un monde régit par le consumérisme de masse. Il se définit comme un produit de consommation. Il n’a pas l’impression d’exister en dehors du petit nid douillet tout droit sorti d’un catalogue Ikéa qu’il s’est créé. Il cherche un but à sa vie, à son existence. En dehors de son travail aliénant, il ne trouve aucun sens à son quotidien. En proie à des insomnies chroniques, il cherche le moyen de subsister au travers le malheur des autres. Il participe régulièrement à des séances de thérapies de groupe. Il se nourrit du désarroi d’autrui afin de trouver un semblant de sens à sa vie. Avec le personnage du narrateur, Fincher définit son sujet, il crée l’archétype de l’adulescent qui ne sait pas comment affronter la vie. Il idéalise un certain sectarisme selon lequel l’être humain doit avoir une vie monotone et rangée. Se fondre dans la masse, consommer ce que la publicité nous ordonne de consommer, être un parfait monsieur tout le monde…voilà ce à quoi pense aspirer le narrateur que l’on présente comme un personnage extrêmement introverti. Mais c’était sans compter sur sa rencontre avec Tyler Durden.

Tyler est l’antagoniste du narrateur. Profondément anarchiste et extraverti, il remet en cause le système consumériste ainsi que toute notion de matérialisme. Il se présente au narrateur comme un vendeur de savon haut de gamme. En réalité, Tyler occupe divers postes d’employés qu’il s’emploie à saborder à chaque fois. Véritable parasite du système, il dérange les bien-pensances; en témoignent les images pornographiques qu’il insert au milieu d’une bobine d’un film Disney. Il offre une alternative radicale à la vie recherchée par le narrateur. Il va distiller ses idées minutieusement en commençant par bousculer physiquement ce dernier. Selon Tyler, on ne se connaît pas soi-même sans s’être battu. C’est par la violence que Tyler entame sa thérapie sur le narrateur. C’est ainsi que naîtra le fameux fight club, sorte de structure clandestine aux règles précises qui permettra à quiconque de venir se libérer du carcan d’un quotidien monotone ou morose. Tyler véhicule des principes selon lesquels l’être humain doit se libérer de toutes ses chaînes par le biais de la violence. Tel un gourou des temps modernes, il va se créer une troupe de fidèles avec lesquels il va mettre au point des stratagèmes en vue de détruire le système capitaliste. Le narrateur sera sans cesse tiraillé entre les idées arrêtées de son partenaire et ses envies de se confondre dans une vie rangée. Et c’est là que Fight Club dévoile toute sa substantifique moelle. Fincher, contrairement à ce que beaucoup ont pu penser, ne fait absolument pas l’apologie de la destruction et de l’anarchisme. Il démontre uniquement qu’aucun des deux systèmes ne peut fonctionner en l’état. Fincher oppose en dualité permanente le consumérisme avec l’anarchisme, mais assure qu’il n’y a aucune issue favorable. Plus encore, il dénonce un sectarisme destructeur dans les deux cas. Là où la philosophie anarchique tend à se défaire de toute notion sectaire, il n’en résulte pas moins qu’elle l’est tout autant que le système capitaliste qu’elle combat. Adhérer à des idées ou des croyances est déjà un signe d’appartenance. Comment trouver sa place dans ce cas ? Peut-on réellement vivre détaché de tout ?

La réponse à la question ne sera pas donnée puisque personne ne peut se vanter d’avoir la science infuse. Mais il semble que Fincher essaie de montrer une certaine neutralité par le biais du personnage de Marla. Le narrateur définit cette femme comme un cancer. Et si Marla était réellement le prototype de personne libre que recherchent les deux héros ? Seule figure féminine du film, Fincher semble délaisser son personnage pour nous amener à nous questionner profondément sur sa valeur. Marla est la réponse aux problèmes soulevés dans le film. Elle est la Mrs. Robinson de Fight Club, la clé du savoir et de la rédemption. Le narrateur se rendra compte bien trop tard qu’il faisait fausse route depuis le début. D’ailleurs, la dernière réplique du film (« Tu m’as rencontré à un moment étrange de mon existence ») laisse à penser que le narrateur a enfin compris sa véritable quête. Après avoir annihiler ses démons, il se laisse enfin porter par l’amour. Et c’est là que le rapprochement avec Le Lauréat prend tout son sens. Fight Club est loin des conventions classiques de la romance que l’on se fait au cinéma, mais elle est bien présente malgré tout. Voir le narrateur et Marla contempler la destruction des tours financières sur la célèbre musique des Pixies offre une multitude d’interprétation qui change au fil des visionnages. Certains pensent que Tyler à gagné puisque le système capitaliste est détruit. D’autres pensent que la chute des tours n’est qu’une image de la psyché du narrateur qui se débarrasse de toutes ses pulsions schizophrènes. Une autre théorie laisse à penser que Marla est, comme Tyler, une projection du subconscient du narrateur, sa part de raison. Voilà pourquoi Fight Club possède une multitude de couches de lecture qui amène à le reconsidérer à chaque fois qu’on le voit.

Ovni cinématographique devenu culte avec le temps, Fight Club est un film qui ne prend pas une ride avec le temps. Film générationnel par excellence, le quatrième essai de David Fincher est à ranger au panthéon des films chocs que l’on se doit de croiser au moins une fois dans sa vie. Et même s’il est interdit d’en parler, force est de constater que Fight Club continue à animer les débats 20 ans après sa sortie. Son retour dans nos salles obscures est une aubaine pour quiconque désire ressentir l’uppercut de cette œuvre inimitable dans des conditions optimales.

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  1. Butt Boy : Disparitions cal(cul)ées ! -

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