Alpha – the right to kill : L’ordre et la morale

Fidèle à son style de cinéma-vérité qu’il ne cesse de développer depuis ses débuts, le cinéaste Philippin Brillante Ma. Mendoza nous livre ici un nouveau film choc à la mise en scène ultra réaliste nous collant aux basques de policiers et d’une escouade du SWAT dans une opération visant des trafiquants de drogue. Démarrant pour ainsi dire sur les chapeaux de roue, il ne perd clairement pas de temps pour nous présenter ses enjeux, limpides et pouvant faire penser dans le postulat de départ, à une sorte de « The Raid » Philippin. En effet, les personnages sont clairement définis ainsi que leur rôle et leur mission, et l’on se tient prêt pour une bourrasque d’intensité nous collant à notre siège durant toute la durée de la projection. Bien entendu, nous savons où nous mettons les pieds et l’on se doute bien que le traitement sera quelque peu éloigné de la démonstration de force du film pré-cité, le but ici n’étant pas de nous livrer un film d’action grisant, mais de coller au plus proche de la réalité, dans la mouvance des travaux précédents de ce cinéaste découvert en France avec  le film John John, puis remarqué pour ses sulfureux Serbis (sur le quotidien d’un cinéma porno et de leurs habitués) et surtout Kinatay, prix de la mise en scène à Cannes en 2009, et véritable voyage au bout de la nuit, terrassant de noirceur et de violence.

Ce qui surprend d’emblée ici, c’est l’efficacité immédiate déployée par le cinéaste dans sa narration et son style de mise en scène. On est pourtant en terrain connu et ce dernier ne semble pas chercher à changer sa façon de concevoir des films, et pourtant, la fluidité de la caméra portée, et du montage très haché, nous font pénétrer un univers toujours aussi fascinant pour nous, public étranger, dans cette captation immersive de lieux labyrinthiques, dédales d’où l’impression que n’importe qui peut surgir d’un coin à tout instant se fait particulièrement prégnante. La première partie sera donc focalisée sur cette opération violente, la suite s’attachant aux répercussions morales de l’issue de cette descente de police, et notamment sur la façon dont les médias et l’opinion internationale peuvent questionner, voire condamner, les moyens utilisés pour arriver à leurs fins, en opposant à ces discours ceux du chef de la police qui se défend en affirmant clairement qu’il ne peut pas y avoir de guerre sans victimes, et que les dommages sont donc inévitables, sans signifier pour autant qu’il y ait eu des abus des forces de l’ordre. Se focalisant particulièrement sur un officier de police et un ancien dealer devenu indic, chacun ayant une raison personnelle d’agir comme ils le font, à savoir pour leur famille, le film va s’apaiser un peu dans son style, toujours documentaire, mais plus intime, débarrassé de cette tension sourde qui suintait à chaque seconde de la première partie, sentiment qui se voyait encore accentué par l’utilisation d’une bande son elle aussi très sourde, voir tapageuse sur certains passages violents, choix quelque peu déstabilisant lorsque cette dernière se met à évoquer quelque reportage TV sensationnaliste.

Ce qu’il faut également avoir à l’esprit, afin de pouvoir mieux saisir toute la complexité du film, c’est que Brillante Mendoza soutient ouvertement le président Rodrigo Duterte, en poste depuis 2016, année où se déroule le film, élection remportée largement sur la promesse d’en finir une bonne fois pour toutes avec le trafic de drogue en 3 à 6 mois, tous les moyens étant bons pour respecter sa promesse. Il n’est bien entendu pas question de faire ici dans la tribune politique, mais les organisations des droits de l’homme estiment que près de 20.000 morts sont à imputer à ses méthodes discutables, ce dernier ayant même autorisé ses braves citoyens à tirer à vue sur toute personne semblant impliquée dans le trafic de drogue. Une personnalité quelque peu controversée, donc, et il semble forcément quelque peu contradictoire qu’un cinéaste à ce point social dans ses films, sans cesse tourné vers les gens et les victimes de toutes sortes (qu’il s’agisse, pour le cas le plus extrême, de la prostituée tabassée et massacrée de Kinatay, dont les morceaux de corps éparpillés aux quatre coins de la ville alimenteront sans doute les gros titres du jour-même, avant que celle-ci ne soit oubliée au profit d’un autre fait divers sordide ; mais également des deux vieilles dames de Lola déambulant sous la pluie dans la ville, pour le salut de leurs familles respectives), oubliées de la société auxquelles il donne une voix par le cinéma, même si bien entendu, ce dernier semblera toujours quelque peu impuissant face aux injustices de toutes sortes et à la cruauté dont peut être capable l’être humain ; puisse être un partisan, sans la moindre réserve, d’un gouvernement ouvertement dictatorial. Ces paradoxes, le cinéaste ne les a jamais brandis de manière aussi frontale qu’ici, dans le sens où il se place tout le film du point de vue de personnages aux actes répréhensibles qu’il ne juge jamais, laissant le spectateur seul maître afin de décider si ces derniers méritent d’être compris ou non. On est donc forcés de s’identifier à deux personnages agissant pour assurer à leur famille un avenir sûr financièrement, qui se perdent et se retrouvent face à des dilemmes tout ce qu’il y a de plus humains, même lorsque ceux-ci leur font commettre des actes que l’on pourra difficilement soutenir, particulièrement du côté du policier.

Quoi qu’il en soit, on ne sait jamais exactement où le cinéaste se situe moralement, s’il condamne les méthodes discutables employées par les forces de l’ordre, ou s’il est tout simplement du côté de l’être humain, avec ses forces et ses faiblesses, et cherchant avant tout à survivre dans un monde qui n’a que faire des faibles ou des doutes et dont certaines personnes se sentent prisonnières et obligées de plonger dans des situations inextricables. Au final, si le doute persiste, et que la perplexité peut un instant nous envahir, nul doute que le film, avec ses qualités de cinéma indiscutables et la force de sa démonstration, restera en nous et continuera à nous interroger sur sa finalité et ce qu’il dit de la société qu’il dépeint. A voir, donc, car quelle que soit la façon dont on le prendra, il semble évident que sa pertinence et sa façon à coller au plus proche d’une actualité brûlante avec une intensité dramatique maintenant le cap tout du long, en font l’un de ces moments de cinéma rares que l’on se doit de défendre d’une façon ou d’une autre.

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