Raoul Taburin a un Secret : Rencontre avec Pierre Godeau et Guillaume Laurant.

Lors de notre passage en septembre 2018 à Montélimar pour le festival De l’écrit à l’écran, nous avons eu l’opportunité, entre un petit déjeuner et un départ en TGV, de rencontrer Pierre Godeau, réalisateur, et Guillaume Laurant, scénariste et fidèle compagnon de Jean-Pierre Jeunet. Entre un café, un oeil sur la montre et les bagages prêts, nous avons discuté du travail d’adaptation et de collaboration avec une entité forte de la culture littéraire française, Sempé.

En tant que scénariste et réalisateur, quelles étaient vos volontés en adaptant le travail de Sempé ?

Guillaume Laurant : C’est surtout une volonté de Sempé au départ. Le récit graphique se suffisait en lui-même. Ce n’était pas forcément gagné de l’adapter pour le grand-écran et il a longtemps hésité. Sempé était moyennement satisfait dans la transposition de ses œuvres au cinéma. Il faut avouer que son travail est singulier et propre. Alors par quelqu’un d’autre et pour un autre format, ce n’est pas évident. Je l’ai rencontré dans un premier temps, nous avons beaucoup discuté, et quand c’est présenté l’étape du choix du réalisateur, la rencontre avec Pierre a été évidente et naturelle.

Pierre Godeau : La volonté était de faire un film à son image. Respecter l’image de Sempé, que cela lui plaise avant tout. On savait que c’était impossible de faire du Sempé pour le cinéma, on a donc travaillé pour s’en approcher le plus possible, mais surtout de travailler avec lui. Il a fallu le trahir pour l’histoire et les besoins du film, tenir 1h30…

GL : … pas en le trahissant, mais en nourrissant le récit, rendre le film plus explicite. Notre volonté première était qu’il vienne voir le film en ressort content et fier de notre boulot. 

Sempé tient une place prépondérante dans la culture française. Il traverse les générations. Comment trouve-t-on sa place en tant que scénariste ?

GL : Il laisse beaucoup de libertés du moment où il a donné sa confiance. On peut amener de nouvelles idées comme le père pas du tout présent dans le récit, il en était content. C’était une évidence pour lui que l’on amène des choses de l’extérieur. Ce n’était donc pas compliqué, il n’était pas interventionniste. C’est une sorte de génie de la culture française comme Molière ou La Fontaine, forcément on est un peu impressionné de se fondre dans son univers. Mais lui-même n’est pas quelqu’un qui s’impose essayant d’intervenir sur chaque détail, bien au contraire.

PG : Et c’est agréable quelque part de se mettre au service de quelqu’un. À la différence d’une histoire originale et/ou d’un projet personnel, là on se rapproche d’une forme d’artisanat avec une équipe essayant de se fondre à un univers, de jouer la partition de quelqu’un au mieux comme un chef d’orchestre.

Pierre Godeau – Réalisateur de Raoul Taburin a un Secret

Comment l’on passe d’un drame carcéral, histoire d’amour forte et sombre, à l’univers de Sempé et Raoul Taburin ?

PG : (rire) Justement pour s’échapper de cette noirceur. Raoul Taburin m’a fait un bien fou. On ne peut pas faire plus éloigner comme style et ambiance. Il n’y a aucun point commun. L’histoire d’amour dans Éperdument me touchait beaucoup avec une envie folle de la raconter. Celle-ci aussi pour les mêmes raisons en dépit du fait d’être à l’opposée du genre, du style et de l’ambiance. J’ai juste eu de la chance que l’on me propose le projet et il m’a fait un bien fou. 

Benoît Poelvoorde était une évidence en Raoul Taburin ?

PG : Oui totalement et tout le monde était raccord sur ce point. C’est la première fois que je travaille avec un scénariste. Le moment du casting est le moment bascule vers le tournage. J’organisais généralement cette étape seul sur mes précédents films. Là, la décision a été partagée et c’était une évidence pour toute l’équipe. 

GL : Tout autant plus que Benoît s’identifie beaucoup aux personnages de Sempé. Il fallait que ce soit lui qui l’interprète.

PG : Mais au-delà de cela, je ne pense pas que cela aurait été possible que le film se fasse sans lui. 

GL : Il est le personnage à la manière d’Audrey Tautou pour Amélie Poulain, et cela pour des raisons de sensibilités notamment. Benoît est sorti un jour d’un cadre de dessin de Sempé pour vivre sa vie d’acteur (rire).

On l’oublie presque dans le rôle de Raoul Taburin. Il se mue parfaitement dans le rôle, calme et posé, sans la moindre excentricité… Surtout que nous faisons connaissance avec le personnage au fur et à mesure de sa vie d’enfant à adulte.

PG : Oui cela aide beaucoup dans l’appréciation du personnage de le voir évoluer à côté de sa bicyclette. Je n’ai pas eu grand-chose à lui dire, car il connaît le personnage par cœur et toute la culture Sempé. C’est un adepte de la première heure. Sa petite amie d’enfance le surnommait Raoul Taburin. 

GL : Benoît souhaitait d’abord être dessinateur humoristique. Il a même commencé par ce métier avant de se rallier à la comédie. Son admiration première est Sempé, il voulait être dessinateur de par cette fascination. Il y a un faisceau d’évidences.

PG : C’était incroyable lors de notre première rencontre de se rendre compte que Benoît connaît sur le bout des doigts les dessins de Sempé. Lors de dîners, il était en admiration face à Sempé. Cette proximité était une bonne nouvelle pour nous , mais cela rajoutait une pression avec un tel expert de par son amour, je ne souhaitais pas le décevoir sur le résultat fini.

En parlant des dessins, vous les avez repris comme références et clins d’œil pour le film ?

GL : Au départ oui, il y avait cette intention, puis nous nous en sommes sensiblement écartés. Mais nous avions garni le scénario des dessins comme repères, puis au fur et à mesure, tout s’est effacé. Il reste quelques détails, mais c’est surtout au niveau de la couleur et des points d’échelle.

PG : Oui exactement, il y a des points de fixation, les couleurs vives par rapport au fond, des détails du décor ou des vêtements accentués pour bien insister à l’image des dessins du livre. Comme tout le monde avait Sempé en tête, c’était assez facile et fort à travailler, car il est une référence commune et universelle dans la fabrication du film. La clé a été l’épure. Sempé n’est pas une stylisation outre mesure, quand on regarde les dessins, ils sont dépouillés allant à l’essentiel. Ce qui a guidé toute la mise en scène du film. 

GL : On se rapproche plus d’un réalisme poétique. Nous ne sommes pas dans la reconstitution à l’image du Petit Nicolas, mais dans une forme de décalage. On a vraiment souhaité garder cette approche épurée et poétique du dessin.

PG : Il a fallu partir de cette poésie pour construire les décors, capter cette réalité abstraite nous plongeant dans une sorte de bulle comme à la lecture du livre. Les habitants du village nous ont beaucoup aidés à cela, capturer cette authenticité pour mieux y amener cette touche de poésie. Tout cela est parti d’une observation à savoir quoi et qui dessine Sempé  ? Il dessine des situations quotidiennes, il fallait partir de cela pour y amener un certain décalage. 

Le tournage a dû être une belle fête avec Benoît Poolvoerde et Édouard Baer ?

PG : C’était très joyeux (rire). Je n’étais pas avec eux tout le temps, mais il y avait de la joie. Le film le demandait aussi, donc c’était propice. Il fallait que cette complicité se voit à l’écran, le duo fonctionne bien donnant la force au film. On a profité de leur complicité. Le cadre était magnifique, on rigolait, il y avait une chaleur communicative, c’était plaisant. 

Propos recueillis à Montélimar le 25 septembre 2018.
Remerciement à Amandine Marécalle.

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